Ukraine : l’insupportable charnier du vol MH17

Mykola Cuzin, président du comité Ukraine 33 et du Comité pour la défense de la démocratie en Ukraine commente dans cette nouvelle tribune libre le drame du 17 juillet.

Alors que les familles des victimes du vol Ouagadougou-Alger accidenté le 24 juillet vont sans doute attendre de longues semaines avant de connaître les circonstances du drame, les proches des 298 passagers du vol MH17 Amsterdam-Kuala Lumpur abattu le 17 juillet entre Debaltsevo et Torez (oblast de Donetsk), en plein cœur du territoire contrôlé par les terroristes “pro-russes”, voient se profiler chaque jour un peu plus une perspective insupportable : celle de devoir faire leur deuil sans que jamais les coupables et les responsables, pratiquement tous identifiés à ce jour, ne soient poursuivis puis jugés par la justice internationale.

Les faits sont pourtant clairement établis : le 17 juillet dernier, vers 1h du matin, un camion portant un système de lanceur de missiles sol-air de type BUK SA-11 a traversé la frontière russe pour pénétrer en territoire ukrainien près de Louhansk. Le convoi l’accompagnant a été détecté à 9h dans le centre de Donetsk, où le lanceur a été déchargé de sa plateforme. Le lanceur, seul cette fois-ci, a été repéré à 13h05 rue Karapetya, dans le centre de la petite ville de Snizhne située à 10 km à l’est de Torez, par des journalistes de l’AP et des riverains. Trois heures plus tard, les habitants de Torez ont eu leur attention attirée par deux fortes explosions, suivies une minute plus tard de la chute interminable de débris métalliques et de corps humains…

Les fuites d’informations de la part des républiques “autoproclamées” de Donetsk et Louhansk et les interceptions de communications téléphoniques ont permis d’obtenir les indications suivantes : à 16h18, un observateur a informé le personnel du lanceur de missiles de l’approche d’un avion à haute altitude (le message disait très exactement “Un oiseau vient dans votre direction”). Au bout du fil, Igor Bezler alias Bes, lieutenant-colonel de la Direction centrale des renseignements de l’état-major général des forces armées de la Fédération de Russie et chef des terroristes pro-russes de la région. Ce dernier a alors demandé la précision suivante : “Un avion de reconnaissance ou de ligne ?” Il lui a aussitôt été répondu : “Impossible à savoir, les nuages sont trop épais.” Deux minutes plus tard, le Boeing 777 des Malaysia Airlines était abattu. La nuit suivante, le lanceur de missiles sur lequel manquaient deux ogives a repassé tranquillement la frontière en direction de la Russie…

Les interceptions d’échanges de conversations sur les téléphones cellulaires des terroristes démontrent que ceux-ci pensaient manifestement tirer sur un avion militaire ukrainien AN26 et que leur affolement n’a eu d’égal que leurs tentatives frénétiques de dissimuler et d’éparpiller les éléments matériels de preuves sur le site du crash, y compris en soustrayant temporairement les boîtes noires, qui ont pu faire l’objet d’une tentative de manipulation électronique, avant que la pression internationale et du Kremlin ne les oblige à les restituer, devant les caméras du monde entier.

Cette mise en scène ne change rien à l’horreur de la situation. Ces terroristes qu’on qualifie par facilité de “pro-russes” (1) n’ont, comme tous les terroristes, aucun respect pour la dignité, la vie humaine, les conventions internationales, l’éthique. Ils n’ont pas pensé un seul instant qu’un avion civil et des innocents pouvaient être atteints par leurs missiles. Tout ce qui comptait pour eux, c’était de faire un “carton” de plus (2) sur des Ukrainiens que le maître du Kremlin leur a appris à haïr viscéralement, au prix d’un savant lavage de cerveau. Peu importe qu’il y ait eu méprise sur la “cible”.

Il y a eu crime de guerre, un de plus, un de trop. Et la liste ne cesse de s’allonger. Le 25 juillet, dans la ville de Sloviansk tout récemment libérée, une fosse commune a été découverte. À l’intérieur, des corps de combattants anonymes, que personne ne réclamera jamais, et aussi des civils portant des traces manifestes de sévices. Combien d’autres suivront ? (3)

Ce jour (mardi 29 juillet), les terroristes ont tiré sur un car évacuant des enfants dans la banlieue de Donetsk, faisant un mort et dix blessés. Près de là, à Berestove, ce sont huit autres enfants qui ont été blessés par une mine terrestre installée par les séparatistes. Un neuvième est mort. Et que dire de ces clichés parus sur Instagram quelques jours après le crash, avec des propositions éloquentes de revente d’articles de maquillage récupérés sur le lieu de la catastrophe ? De ces téléphones mobiles et de ces cartes de crédit volés au même endroit et réutilisés dans les jours suivants dans la région de Torez ?

Par son soutien matériel (armes lourdes, logistique, argent, carburant…) et humain (officiers de liaison, agents secrets, espions, mercenaires) inconditionnel à ces meurtriers pillards, le président russe démontre qu’il a fait le choix de se placer délibérément à la tête d’une multinationale du terrorisme à l’égal d’Al Qaïda (5). Le Monde titrait fort justement il y a quelques jours qu’il était en passe de devenir le paria du monde libre. Manifestement, c’est ce qu’il cherche. Il a compris depuis longtemps que la “coalition” de l’UE est beaucoup trop tiraillée entre des intérêts très divergents (le droit international, par principe, contre les intérêts économiques de certains pays) pour prendre des mesures fortes et concrètes susceptibles de compromettre ses desseins criminels.

Adam Michnik, le directeur du quotidien polonais Gazeta Wyborcza (4), résume parfaitement la situation actuelle en Ukraine : “Aujourd’hui, l’Europe garde le silence devant la politique impérialiste agressive de Vladimir Poutine… L’Union européenne se comporte comme une version grand format de la très neutre Suisse… Et, pendant ce temps-là, le Kremlin ne cesse de franchir toujours plus de lignes rouges… Une politique de conciliation ne mènera à rien ici. La véritable réponse à la crise ukrainienne, c’est la solidarité contre Vladimir Poutine… car en Ukraine se joue probablement l’avenir de toute l’Union européenne.”

1. Puisqu’ils sont dans leur très grande majorité russes et en lien avec le FSB ou le GRU s’agissant de leurs responsables, comme A. Girkine et A. Borodaï de la “République populaire de Donetsk”. Girkine a dans un premier temps revendiqué la responsabilité du crash sur son compte personnel, avant de retirer précipitamment le commentaire.
2. Depuis le mois d’avril, plus d’une dizaine d’hélicoptères et d’avions militaires ukrainiens ont été abattus dans cette région, faisant au total près de 80 morts.
3. On peut voir là une continuité troublante entre ces nouvelles fosses communes et celles, dénombrables par centaines, qui ont été découvertes depuis l’écroulement de l’URSS, fruits combinés des atrocités commises par les nazis et le régime stalinien sur le sol ukrainien…
4. Le Monde en ligne, 26/07/2014.
5. La morgue militaire géante de Rostov-sur-le-Don accueille également les “Convois 200”, ces convois de cercueils ramenant les dépouilles des mercenaires russes tombés en Ukraine, à l’abri des regards indiscrets.

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