Syndicats : le jeu dangereux de Hollande

Enterrement du rapport Perruchot sur le financement des syndicats, amnistie sociale élargie puis retoquée, marché juteux des complémentaires santé offert aux partenaires sociaux : le Gouvernement navigue en eaux troubles avec les syndicats. Le calcul politique est-il sa seule boussole ?

L’amnistie des syndicats étendue aux délits financiers avant d’être (sans doute) enterrée, le juteux marché des complémentaires santé offert aux partenaires sociaux et, avant cela, le vote “contre” des socialistes à la publication du rapport Perruchot sur le financement des syndicats… Quelques exemples – pour ne citer qu’eux – du jeu étrange joué par le PS envers les syndicats.

Le gouvernement Hollande paraît danser une valse-hésitation, au gré des dossiers, de l’urgence du moment, de la médiatisation de ses décisions. Le projet de loi amnistiant les délits financiers des syndicats, tel qu’approuvé au Sénat après modification par une sénatrice (PS), aurait-il passé la rampe de l’Assemblée nationale si les médias ne s’étaient faits l’écho des nombreuses protestations qui ont aussitôt éclaté ? Le dossier des complémentaires santé, contenu dans le lourd débat sur la loi de sécurisation de l’emploi, a connu moins de retentissement… et passé la rampe sans trop de difficulté.

La loi d’amnistie sociale ressemble bien à un renvoi d’ascenseur, estime Nicolas Perruchot, conseiller régional (UMP) du Centre et auteur du fameux rapport qui porte son nom : “Jean-Luc Mélenchon a obtenu 11,1 % des voix au premier tour de la présidentielle 2012. François Hollande n’aurait jamais été élu au second tour sans les voix des syndicalistes et des proches du Front de gauche, sans parler de la CGT, qui s’était engagée à faire perdre Nicolas Sarkozy. Cette amnistie était une façon de payer la facture.”

Après que le gouvernement socialiste eut retiré son soutien à ce texte lors du passage à l’Assemblée, Jean-Luc Mélenchon n’a-t-il pas affirmé à qui voulait l’entendre que François Hollande lui avait promis l’amnistie sociale “les yeux dans les yeux” ? L’affaire Cahuzac, notamment, est passée par là… “Tout n’était plus possible”, résume Nicolas Perruchot. Et le renvoi en commission n’est qu’un “enterrement de première classe”, prévient-il.

Une amnistie pour acheter les syndicats au bon moment ?

Le plus étrange est encore le changement de discours du Gouvernement sur ce sujet. Les sénateurs votent de justesse, par 174 voix pour et 172 contre, un texte juridiquement imprécis et moralement déséquilibré ? Christine Taubira, ministre de la Justice, n’en apprécie pas moins un “acte de très grande qualité, de très grande justice, un acte qui honore la République et le Gouvernement”.

Quatre mois plus tard, le même gouvernement retourne sa veste et, par la voix d’Alain Vidalies, ministre délégué chargé des Relations avec le Parlement, déclare ne pas être favorable, “en l’état, au principe de la loi d’amnistie”. Il considère en effet que, dans la situation “que la France vit aujourd’hui, il ne doit y avoir qu’une seule réponse, qui est au cœur de la République : c’est le respect de la loi républicaine”.

Or, si la loi républicaine suffisait pour répondre aux actions (et exactions) syndicales de ces derniers mois, pourquoi avoir fait travailler sénateurs et députés sur un projet d’amnistie ? La question en entraîne une autre : qu’est-ce qui a changé durant ces quatre mois ? La simple opinion publique, aussi puissante fût-elle parfois, n’explique pas tout.

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Nicolas Perruchot a sa propre idée : “L’amnistie sociale était un coup politique destiné à faire passer la loi sur la sécurisation de l’emploi, une loi très mal perçue par les syndicats. Certains d’entre eux m’ont dit : même Sarko n’était pas allé aussi loin. On observe une rupture totale entre un électorat très populaire, encore ouvrier, et les représentants d’en haut.” C’était aussi, selon lui, une façon d’envoyer un signal au Front de gauche et de l’instrumentaliser, mais également d’acheter politiquement les syndicats.

“Je ne suis pas contre une amnistie sociale dans l’absolu, mais pourquoi le PS s’arc-boute-t-il dans ce dossier ?” s’interroge Jean-Luc Touly, conseiller régional (EELV) d’Ile-de-France, membre du conseil d’administration d’Anticor et coauteur du livre L’Argent noir des syndicats en 2008. “Il n’y a pas d’équilibre, poursuit-il. Avec le PS, c’est le tout ou rien : Si on le fait pour les uns, on doit le faire pour les autres. Pourtant, par mesure de justice, le Gouvernement devrait amnistier certains faits liés à des actions syndicales.”

Le “drame” des relations financières entre l’État et les partenaires sociaux

Une fois la loi sur la sécurisation de l’emploi signée, il n’était plus besoin de défendre une amnistie sociale qui, décidément, ne “passait” pas auprès du public. Au grand dam des syndicats… même si la loi sur la sécurisation de l’emploi contenait, elle aussi, un cadeau potentiellement énorme pour les partenaires sociaux : les complémentaires santé, rendues obligatoires au sein des entreprises.

Les deux dossiers ne sont toutefois pas semblables, prévient Nicolas Perruchot, “tombeur” de Jack Lang à Blois en 2001 : “Le texte de l’amnistie était une ânerie ; celui sur les complémentaires santé démontre le pouvoir énorme des partenaires sociaux sur les lois et les accords. C’est le drame des relations financières entre l’État et les partenaires sociaux : elles sont bipartites – elles se font uniquement entre eux – et donc opaques.”

Selon le conseiller régional (UMP), ces dérives éclateront sous forme de scandale dans quelques années : “Les partenaires sociaux devront alors changer les dispositifs de financement. Mais le pouvoir en place se dit aujourd’hui : il faudra un à deux ans pour montrer que cela pose des problèmes ; où serai-je à ce moment-là ? Il ne faut pas oublier que le poste de ministre, c’est un CDD…”

Le gouvernement Hollande “vendu”, mais à qui ?

D’un point de vue politique, les dégâts pour le PS se sont déjà produits, souligne encore Nicolas Perruchot : “Quand la cote de popularité descend sous la barre des 35 %, on ne remonte pas. Pourquoi laisse-t-on faire de telles choses alors que tout le monde dit “Attention !” ? À chaque fois, les partenaires sociaux sont derrière. On devient suspicieux… Ils sont très doués en lobbying !”

Jean-Luc Touly, ex-délégué syndical CGT, déplore lui aussi le “jeu dangereux et délicat” du Gouvernement à l’égard des syndicats : “Cela va se sentir durant les élections municipales. J’entends beaucoup de gens dire : Droite et gauche, c’est la même chose. De fait, la gauche molle et la droite avancent la même analyse, les mêmes solutions, de mauvaises solutions. Cela augmente encore la désaffection des gens envers le syndicalisme et la politique.”

L’élu écologiste ne voit décidément pas de cohérence dans les actes du Gouvernement : “Avec la succession d’affaires de ces derniers mois, on ne voit même plus les individus (comme Cahuzac) mais un système qui prend l’eau de partout. La politique exemplaire, on ne la voit plus. En quelques mois, le point fort du gouvernement Hollande a disparu. Et l’on ne distingue guère d’alternative crédible, concrète. Je ne serais pas étonné si l’abstentionnisme explosait.” Voire le vote FN…

L’absence de cohérence se ressent notamment dans les réactions provoquées par les décisions de l’exécutif. Le PS amnistie au Sénat les délits financiers des syndicats ? La droite crie à un gouvernement vendu à l’extrême gauche. Le PS retoque le même texte à l’Assemblée ? Le Front de gauche dénonce une équipe vendue au Medef. À moins qu’il ne soit vendu à tous les acquéreurs, il est en effet difficile de comprendre sa logique.

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