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Le nouveau défi du CSA : Altice au pays des merveilles

Après l’abrogation de la chaîne Numéro 23 pour “abus de droit entaché de fraude”, les Sages du quai André-Citroën, emmenés par leur président Olivier Schrameck, doivent faire face à un nouveau challenge. Il s’agira, d’ici à la fin de l’année sans doute, de se prononcer sur l’agrément de la vente de NextRadioTV, le groupe d’Alain Weill, à Altice, la bulle de dettes de Patrick Drahi.

Patrick Drahi, pdg d’Altice, lors d’une conférence de presse le 7 avril 2014 à Paris © Fred Dufour / AFP

© Fred Dufour / AFP
Patrick Drahi, pdg d’Altice, le 7 avril 2014 à Paris.

Fraus omnia corrumpit. “La fraude corrompt tout”, comme l’a rappelé en fin juriste Olivier Schrameck, auditionné il y a quelques jours par le Sénat pour expliquer en détail la décision historique d’abrogation. Il semble en effet bien loin le temps où Alain Weill s’en allait répétant à tout bout de champ aux différents patrons de l’audiovisuel et à quelques journalistes dociles que tout était “plié” et que “l’agrément du CSA ne serait qu’une formalité” car il y avait “des précédents”. Tout ? Comprendre la vente de Numéro 23 à son groupe, puis de son groupe à Altice, le conglomérat sans cesse recomposé de Patrick Drahi, qui n’est en fait qu’une accumulation vertigineuse de dettes frisant aujourd’hui les 50 milliards d’euros.

Furieux et sous la pression de Patrick Drahi, qui demande à son ami de vingt ans un “rabais” suite à l’accident de parcours Numéro 23, Alain Weill répète aujourd’hui à qui veut bien l’entendre que Vincent Bolloré a racheté Virgin 17 (devenue D17) à Lagardère pour 70 millions d’euros en mars 2010 et l’a revendue 135 millions fin 2011. Oui mais voilà, les temps ont changé, Bolloré inquiète, Drahi interroge et, à l’inverse de son prédécesseur, Schrameck ne tremble pas, qui s’est même payé le luxe de faire taire de façon spectaculaire les rumeurs les plus ignobles distillées dans le tout-Paris médiatique sur sa propre personne, en faisant au passage triompher le droit ET la morale.

Fin des mensonges et des dénégations

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Il semble loin aussi le règne de Michel Boyon, qui, à l’instar du roi de Ionesco, pourrait se retrouver tout nu. Plus personne pour habiller d’un drap de lin blanc ses mensonges et ses dénégations (l’appel à candidatures d’octobre 2011 était une mascarade décidée à l’Élysée), si ce n’est un conseiller de l’ancienne équipe qui intrigue encore un peu en coulisses pour défendre les agissements de son meilleur ami (et a fortiori les siens, sur le mode “on n’a rien vu et on s’est fait avoir par Houzelot”) comme en audition publique pour tenter de donner le change en haussant le ton et le menton. Mais le cœur n’y est plus… ou plutôt il s’emballe, tant la peur de rendre des comptes publics a remplacé l’arrogance usuelle*.

Après les révélations de Lyon Capitale sur le pacte d’actionnaires (avec la présence d’un oligarque russe qui tirait les ficelles et d’un ancien émir du Qatar qui, semble-t-il, se contentait d’alimenter les comptes en espèces sonnantes et trébuchantes, sans doute par altruisme) mais aussi sur le fait que toute cette affaire était scénarisée, jusqu’à la revente espérée, depuis le jour de l’attribution du canal TNT, il devenait difficile pour le CSA de faire “comme si” et d’invoquer une sorte de jurisprudence Bolloré ou Berda. La fraude a effectivement tout corrompu sur son passage et, de revente de Numéro 23, il n’est donc plus question.

* À l'inverse, Michel Boyon vient de déclarer à L'Obs que le CSA était conscient des risques en matière de pérennité, que lui-même assumait pleinement le choix Numéro 23 et qu'il ne regrettait pas d'avoir offert un canal TNT à Pascal Houzelot.

Altice, c’est mille fois Numéro 23

Comparé au tsunami qui arrive, Numéro 23 n’est que la crête d’une vaguelette. Quand Pascal Houzelot disait avoir investi 50 millions dans la chaîne (avec quel argent, le secret des affaires imposé par la loi ne permet pas aujourd’hui de le savoir précisément et c’est regrettable), Patrick Drahi voit les choses mille fois plus grand, son mystérieux agrégat “tuyaux-contenus” étant endetté à hauteur de quasiment 50 milliards d’euros. À titre d’exemple, cela correspond à un trimestre de la richesse nationale produite par le Portugal ou à dix fois le bénéfice mondial du groupe BMW (BMW, Mini, Rolls-Royce).

Outre les problèmes juridiques déjà soulevés relatifs à la nébuleuse Drahi (lire ici), l’action Altice continue de chuter en Bourse : un tiers depuis la mi-septembre ! Les marchés s’inquiètent de plus en plus de la montagne de dettes accumulées, comme de la baisse inversement proportionnelle des ventes de SFR : perte d’un million de clients, incapacité à honorer ses engagements vis-à-vis de la métropole européenne de Lille, mauvaise couverture 4G et problèmes techniques récurrents ou encore crise à L’Express et quasi-disparition de Libération.

Une dette jugée “très spéculative” par Moody’s

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La dernière opération (la reprise du câblo-opérateur américain Cablevision) n’est pas pour les rassurer, bien au contraire, et pourrait même être l’opération de trop. En effet, Altice a d’abord lancé une augmentation de capital de 1,8 milliard d’euros pour laquelle seul 1,6 milliard a été récolté, et ce en dépit d’une décote de 30 % par rapport au cours de Bourse. Altice a ensuite placé pour 8,6 milliards de dollars de dette à un taux de 7,6 % (alors qu’il avait emprunté entre 5 et 6,5 % pour l’acquisition de SFR et Portugal Telecom).

Altice a enfin racheté en urgence le solde des actions SFR de Vivendi pour que personne ne puisse venir lui poser de questions embarrassantes, puis a cédé en catastrophe 30 % de Cablevision aux fonds Canada Pension et BC Partners pour tenter de retrouver un peu d’oxygène et quelques (petites) marges de manœuvre. L’agence d’évaluation financière Moody’s a ainsi dégradé la note d’Altice, dont la dette est désormais B1, c’est-à-dire faisant partie de la catégorie dénommée “très spéculative” – la perspective présageant de l’évolution future de la note étant négative. Par ailleurs, la notation de la dette de Numericable SFR a été abaissée d’un cran.

Voilà donc l’immense chantier qui attend le Régulateur de l’audiovisuel, re-situé dans son contexte et son environnement. À la différence de Pascal Houzelot et de ses (déjà ex ?) amis –conseillers au cabinet de l’ancien président Nicolas Sarkozy, acteurs centraux de l’affaire Bygmalion ou encore marionnettistes réfugiés dans la pénombre chuchotante du “secret des affaires” –, la Bourse se nourrit de lumière crue. Après l’éblouissement passager, la vision finit généralement par revenir (les ophtalmologistes appellent cela un phosphène). Cette fois, personne ne pourra dire qu’il n’était pas au courant : persistance rétinienne fortement déconseillée.

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