Il avait 78 ans. Max Schoendorff est mort samedi 20 octobre. Non pas “à midi juste*”, mais à l’heure exacte du petit-déjeuner. D’une attaque. À table, donc. Lui l’esthète, le gourmet – ah, son rully blanc ! –, le gourmand, l’hôte parfait, le fumeur de gigantesques havanes : “Ma “fortune” part en fumée”, s’amusait-il à glisser, de son humour caustique. Lui qui avait abandonné les Celtique, dont il avait collectionné des milliers de paquets dans son si bel atelier-appartement de la rue Victor-Hugo, qui fut, auparavant, celui de Paul Chenavard…
Max Schoendorff est l’intellectuel accompli qui initia et accompagna la culture pendant un demi-siècle à Lyon – ville qu’il ne quitta jamais –, et bien ailleurs. Il défendit la modernité chaque jour, chaque fois, à chaque joute. Il fut une sorte de Voltaire de son temps, fréquentant les puissants pour mieux les fustiger, lui l’homme d’immense culture, le citoyen engagé, l’écrivain brillant, le théoricien libertaire, l’artiste. Il fut du surréalisme. Il fut de l’aventure du TNP à Villeurbanne. Il fut l’ami ou le compagnon des surréalistes, de Fautrier, Pietro Sarto, Bernard Chardère, Roger Planchon, Mado Lambert, Jean-Jacques Lerrant, Annie Salager, et de tant d’autres ! Toujours accompagné par sa femme Marie-Claude, aussi discrète qu’efficace, aiguë, et relectrice de grand talent.
Pourfendeur des zoïles
Max Schoendorff fut encore l’inlassable pourfendeur des zoïles, polymusclés intermittents, mufles, suçailleurs de notables assoupis, ubuesques bouffres, “cogne-rentre-tranche montagne”, commis, grossiers personnages, opportunistes de sous-préfecture, canailles rétroactives, sottisiers hippomobiles, gourous de salon, Rastignac de latrines, provinciaux obsolètes… et autres ascenseurs pour les fachos. Jusqu’à la polémique. D’ailleurs, au temps où l’“art contemporain” flambait – c’étaient les années 1970 et encore 1980 –, le peintre Jean-Philippe Aubanel, à peine sorti des beaux-arts, vécut une fameuse passe d’armes avec lui. Plus tard, je me trouvai moi-même dans l’œil du cyclone lors d’une diatribe terrible, digne des meilleurs anathèmes surréalistes, à l’occasion d’une exposition de son ami Klossowski à l’IUFM.
Militant
Max Schoendorff a retenu les enseignements du Bauhaus, mais également du Front populaire, lui le communiste sincère des Beaux Quartiers**, le militant de la décentralisation, d’une culture qui soit l’affaire de tous, de l’ouverture d’une “maison des artistes” avec leur couverture sociale, du 1 % artistique, etc. À Lyon, dans les années 1970, le conseil d’administration de l’Union des arts plastiques, décida d’une présidence collective avec Max Schoendorff, Josef Ciesla et Alain Lovato pour arriver, en 1983, à ce qui est aujourd’hui la Mapra [Maison des arts plastiques Rhône-Alpes]. Auparavant, en 1978, l’association URDLA, après avoir racheté le matériel d’une imprimerie de lithographie commerciale qui partait à la casse, fut créé le “premier atelier collectif”. La présidence en fut confiée à Max Schoendorff. Aujourd’hui, l’URDLA (Utopie raisonnée pour les droits de la liberté en art) est labellisée Centre international de l’estampe et du livre. Elle est vite devenue un lieu de référence en matière de défense de l’estampe, du livre et du multiple. Artistes français et étrangers, de toutes origines, de toutes générations et de toutes écoles sont venus y travailler et constituent un catalogue impressionnant.
In-abstinent
Artiste, à l’huile, aux pinceaux, aux outils de graveur, de décorateur de théâtre ou aux crayons de couleur (ses “crayons de douleur”), Max Schoendorff dessine, peint, grave un univers qui ne connaît aucune abstinence. Ou : quand les tripes font avec l’esprit la plus hyperbolique et la plus incongrue des anagrammes de la langue française et, en l’occurrence, de l’art dit, aujourd’hui, plastique. De jeu de mots (D’ébauches, Fête accomplie, Chute de riens, Fée d’hiver…) en jus des mots, l’enjeu, sur la toile ou le papier, est la quête obsessionnelle d’une intériorité tour à tour visible, détournée, étonnée ou irrattrapable dans ses fameux entrelacs déclinés à l’infini. Tantôt pastel, tantôt d’arrachement voire d’énervement, la couleur fait surgir des labyrinthes oniriques à couilles, vulves, viscères et circonvolutions du cerveau ; à moins qu’elle n’obéisse au trait. En tout cas, au Moi et à l’œil.
Le musée des Beaux-Arts de Lyon lui rendit un bel hommage en 2007. En juin dernier, après l’assemblée générale de l’URDLA, dans Ça presse, son si intelligent opuscule, il écrivait : “Et si grandissait une certaine angoisse de la perte du futur ? Si s’éteignait le désir d’imaginer ? (…) Nous avons édifié l’URDLA dans la prospective citoyenne d’aider à la réconciliation et enfin à l’union de la création, nécessairement subversive, et du corps social asservi à ses pesanteurs.” Le trahir serait le tuer une seconde fois. Définitive. L’oublier ; lui, l’inoubliable.
* L’expression sert de rendez-vous pour chacune des invitations de l’URDLA.
** Roman de Louis Aragon (1936).
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L’œuvre de Max Schoendorff est exposé à la galerie Mathieu, à Lyon, ainsi qu’au musée Paul-Dini à Villefranche, entre autres.
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Stani Chaine est critique d'art, membre élu de l'AICA (Association internationale des critiques d'art), commissaire d'exposition, professeur et écrivain.
Bel article, très complet. Mes sincères condoléances à la famille de Max Schoendorff et ma vive sympathie à Marie-Claude, son épouse. Nous n'oublierons pas non plus Madeleine Lambert ainsi que Michelle et Jean Janoir.