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De l’égalitarisme progressiste au risque d’eugénisme positif

À l’occasion d’un édito intitulé Du mariage au mirage pour tous : en route vers la fabrique d’enfants adoptables, j’ai reçu quelques (rares) protestations, parce que j’ai utilisé le terme “eugénisme”. “Naturellement, la dérive sur l’eugénisme finit de disqualifier l’auteur”, écrit ainsi un internaute sur notre site. Quoi ? Cette gauche sociale-démocrate si timorée se rendrait coupable d’une telle horreur, en France, en 2013 ? Je souhaite ici préciser encore mon propos, ne serait-ce que pour démontrer que les mots ont un sens.

Au-delà de l’ironie présente dans la seule juxtaposition de l’adverbe “naturellement” et du substantif “eugénisme”, je voudrais m’arrêter sur ce dernier terme. Aujourd’hui, à l’époque de Twitter, il devient de plus en plus difficile d’échapper à la simplification, et l’eugénisme est par conséquent immédiatement accolé au nazisme. Pourtant, il vient de bien plus loin et… reste encore solidement enraciné dans de nombreux esprits contemporains. Ce mot, dont l’étymologie est grecque – eu (bien) et gennân (engendrer) –, signifie littéralement “bien naître” et fut employé pour la première fois dans cette acception par le psychologue et physiologiste anglais Francis Galton. Pour ce savant (cousin de Darwin), “si l’on mariait les hommes de talent à des femmes de talent […] on pourrait, génération après génération, produire une race humaine supérieure”. Nous sommes en 1865, et c’est la première fois que Galton s’exprime sur la question…

De la théorie à la pratique

Plus tard, il définira l’eugénisme comme la “science de l’amélioration des lignées [humaines], permettant de conférer aux races et aux souches les plus convenables une plus grande chance de prévaloir rapidement sur celles qui ne le sont pas”. Une “science” qui s’appuiera sur la théorie de l’hérédité et la théorie de l’évolution par la sélection naturelle, tout juste émise par Darwin. La pratique de l’eugénisme remonte cependant à la Grèce antique : dans la cité guerrière de Sparte, par exemple, on éliminait déjà les enfants mal conformés. Platon lui-même a élaboré un programme de mariage eugénique et, bien plus tard, Thomas More et Campanella s’en préoccuperont dans leurs travaux. En 1779, un médecin allemand, J. Peter, ira encore plus loin dans son Système complet de police médicale. Dès le début du XXe siècle, l’eugénisme cessera d’être une simple théorie fumeuse pour devenir une pratique tout à fait légale. Aux États-Unis, plus de 50.000 personnes seront stérilisées en 1907 et 1949 au nom de lois eugéniques ; en Allemagne, plus de 70.000 “malades mentaux” seront exécutés entre 1939 et 1941 ; en Scandinavie, on votera en 1930 une loi sur la “stérilisation des criminels et des malades mentaux” qui sera appliquée avec une précision toute chirurgicale.

Le vieux débat de l’inné et de l’acquis

Cette même idée viciée trouvera un prolongement inédit au XXIe siècle, chez Nicolas Sarkozy, qui déclarera en avril 2007, juste avant d’être élu président de la République et à l’occasion d’un débat avec Michel Onfray dans Philosophie Magazine : [J’incline] à penser qu’on naît pédophile, et c’est d’ailleurs un problème que nous ne sachions pas gérer cette pathologie. [...] Il y a 1.200 ou 1.300 jeunes qui se suicident en France chaque année, ce n’est pas parce que leurs parents s’en sont mal occupés ! Mais parce que, génétiquement, ils avaient une fragilité, une douleur préalable.” C’est qu’il n’est pas rare de trouver encore quantité de personnes qui croient dur comme fer que la part de l’inné est bien plus importante que celle de l’acquis, ce qui, de mon point de vue, est désespérant : c’est ça, le vrai racisme. Et le discours de Dakar, lu quelques semaines plus tard, sera sous-tendu par la même croyance, celle d’une supériorité inscrite dans les gènes, individuellement et, par voie de conséquence, au fil du temps et de la reproduction, collectivement. La noblesse n’a-t-elle pas vécu des siècles sur ce mythe, elle qui avait même du “sang bleu” dans les veines ?

Eugénisme négatif et eugénisme positif

Francine McKenzie (1937-1988), présidente du Conseil du statut de la femme du Québec, a écrit au sujet de l’eugénisme : Les progrès de la génétique ont permis de relativiser, en en montrant la complexité, la plupart des phénomènes de transmission héréditaire ; ils ont aussi permis de démythifier le concept de race ; mais ils ont du même coup, paradoxalement, créé de nouvelles conditions favorables à l’eugénisme. Les fous voulant créer une race pure ou saine par la stérilisation des indésirables ne sont plus à craindre. On ne les prendrait plus au sérieux. On peut donc considérer d’un bon œil les manipulations ponctuelles de gènes et d’embryons : elles apparaissent comme de simples mesures préventives. Le libéralisme renaissant apporte sa propre légitimation à cette approche. Puisque les personnes qui choisissent les mères porteuses et les pères donneurs, ou qui décident d’éliminer un fœtus infirme, agissent sur une base strictement privée et individuelle, sans visée totalitaire apparente, de quel droit entraver leur liberté ? Ne sont-ils pas des adultes consentants ? C’est ainsi que l’idéologie néolibérale pourrait jouer insidieusement le même rôle que l’idéologie nazie il y a cinquante ans. En s’acheminant vers la population parfaite via une accumulation de choix individuels présentés comme innocents, plutôt que sous la férule d’un État totalitaire, on gagne sur tous les tableaux. On évite le génocide et les stérilisations scandaleuses sans s’éloigner du but ultime. (…) Pour toutes ces raisons, l’eugénisme négatif a été abandonné mais l’eugénisme positif est en pleine vogue. On ne fait plus d’élimination ni de mutilations, mais on choisit soigneusement ses donneurs et ses porteuses ; surtout, on déprogramme allègrement la naissance d’individus qu’on aurait ensuite été tenté d’éliminer si la nature avait suivi son cours.

On se marie en tant qu’homme ou femme

Plus près de nous, le Sénat, qui poursuivait ses auditions en commission autour du mariage pour tous, recevait le 14 février deux philosophes, Thibaud Collin et Sylviane Agacinski, tous deux opposés au projet de loi Taubira, avec des arguments heureusement plus consistants que ceux de Frigide Barjot. Sous quel rapport se marie-t-on ? Est-ce en tant qu’homme et femme, ou bien en tant qu’hétérosexuel et demain en tant qu’homosexuel ? s’est ainsi interrogé Thibaud Colin. Pour étayer la construction juridique qu’est le mariage civil, le référent choisi par le législateur a été la transmission de la vie humaine par l’union sexuée d’un homme et d’une femme, chacun assumant la charge de l’éducation, a-t-il développé. […] La revendication homosexuelle part du principe que le mariage a été pensé de manière discriminante. C’est ce que je remets en cause : on ne se marie pas en tant qu’hétérosexuel, mais en tant qu’homme ou femme. Considérant qu’il est difficile de s’opposer à un projet se présentant comme nécessaire à l’aune des principes républicains, en l’occurrence celui d’égalité, il a néanmoins fait sienne la phrase de Montesquieu : Une chose n’est pas juste parce qu’elle est loi, mais elle doit être loi parce qu’elle est juste.Le philosophe s’est également penché sur les notions d’homoparentalité et d’“homofiliation. Selon lui, le projet de loi revient à dire que l’homme et la femme sont interchangeables, que la présence du père et de la mère sont équivalentes. […] Il me semble qu’on considère alors que le fait d’être père ou mère est une pure construction sociale et que, pour un enfant, l’important est simplement d’être élevé par deux adultes, qu’ils soient hommes ou femmes.

Un modèle biologique et qualitatif

Une argumentation reprise et développée par Sylviane Agacinski. La philosophe a ainsi expliqué : La filiation n’est pas une forme vide. C’est une réalité qui repose sur les générations, qui elles-mêmes reposent sur une relation sexuée. Il existe une interdépendance des sexes dans la transmission. Selon elle, le modèle de la filiation n’est ni logique ni mathématique : ce n’est pas 1+1. Il est biologique et qualitatif : un homme et une femme. Ce schéma serait remis en cause par l’adoption conjointe par deux parents de même sexe, ou par l’adoption plénière de l’enfant d’un des deux conjoints au sein d’un couple de même sexe. Favorable à un statut du beau-parent, Sylviane Agacinski craint l’effacement des notions de filiation paternelle et maternelle. Ce n’est plus le sexe qui fait le parent, c’est la sexualité : c’est la proposition de la théorie des genres, a-t-elle affirmé. On serait donc mère en fonction de sa sexualité, et non pas parce qu’on est femme. La question se pose de savoir si, dans le droit civil, la sexualité peut ou doit remplacer le sexe, et si on ne serait pas conduit à définir la personne en raison de son orientation sexuelle, et non plus de son sexe. Surtout, la question de la GPA est celle qui me paraît la plus grave. Cette pratique, même si elle existe ailleurs, me paraît totalement intolérable, et en contradiction avec les principes du droit français.

Vers les enfants garantis sans maladie ?

Comme j’ai moi-même pu l’écrire en octobre 2012 dans un éditorial, en fait de mariage – et on le voit avec l’opération gigogne du PS –, il s’agirait plutôt du faux-nez de l’adoption et, dans un futur déjà programmé sans doute, de la gestation pour autrui. Il s’agit en effet de préparer les esprits – “il faudra davantage de temps concernant la parentalité au sens large”, a elle-même concédé la ministre de la Justice, Christiane Taubira. Autoriser dans un premier temps la PMA, puis, très rapidement, la GPA, pose donc la double question de la marchandisation du corps humain et de l’eugénisme. Car, si l’on accepte de briser ces tabous, comment fixer ensuite la moindre limite ? Est-il possible ou même concevable de n’ouvrir les vannes que jusqu’à un certain point ? Que faire du lien entre la “gestatrice” (quel vilain mot !) et l’enfant durant la grossesse ? Acceptera-t-on l’accident de parcours, l’imprévu du vivant, accueillera-t-on l’enfant handicapé ne correspondant pas au “cahier des charges initial” ? Y aura-t-il un nuancier pour la couleur de la peau et des yeux du futur enfant, y aura-t-il, après les OGM, des EGSM – enfants garantis sans maladie ?

Personne ne veut voir le cheval de Troie

On le voit bien, si l’eugénisme négatif semble plutôt appartenir au passé, l’eugénisme positif pourrait quant à lui connaître un développement fulgurant, à la faveur d’un tri discret des donneurs et des porteuses, dépendant de la seule volonté et de l’épaisseur du portefeuille des futursparents (appelons-les provisoirement les “déclarants”), hors de toute espèce de contrôle puisque, avec la circulaire Taubira, les tribunaux ne pourront plus s’opposer aux régularisations et devront systématiquement délivrer les certificats de nationalité française y afférents… une fois les enfants rapatriés sur notre territoire. C’est ce qui s’appelle une désincarnation totale : après la négation des liens biologiques, la seule logique de circulation sera prise en compte, comme une simple marchandise dans l’espace Schengen. Un droit du sol hors sol en quelque sorte, emballé dans un discours doucereux et pseudo-juridique d’égalité des droits et de mariage pour tous. Or, ce n’est pas parce que l’emballage est magnifique que le cadeau n’est pas empoisonné. Cadeau qui concernera au final tous les couples, homosexuels comme hétérosexuels, et, au-delà des couples, tous ceux qui auront un vague projet éducatif et qui se déclareront administrativement a posteriori (eux, ou leurs amis, ou leurs voisins, ou des personnes qu’ils paieront).

Le plaidoyer pour la GPA publié par la gauche en 2010

Il est bon de rappeler que de nombreux socialistes, pour certains d’entre eux aujourd’hui ministres ou influents conseillers (Najat Vallaud-Belkacem, Gilles Bon-Maury, Aurélie Filippetti, Alain Vidalies…) avaient publié une vibrante tribune dans Le Monde daté du 13 décembre 2010, afin de promouvoir la gestation pour autrui. On pouvait notamment y lire : Parenté et filiation n’ont rien de naturel, ce sont des liens institués. (…) Ce n’est pas le fait de porter un enfant qui fait d’une femme la mère de cet enfant, mais le fait de le vouloir, de s’engager à l’élever et de s’y préparer. Voilà trente ans que les techniques médicales permettent aux femmes de porter l’enfant d’une autre. Il y a vingt ans, alertés par les dérives qui pouvaient affecter cette pratique en l’absence de toute loi, le juge puis le législateur français ont préféré mettre un terme à la pratique elle-même, plutôt qu’à l’absence d’encadrement. C’est ainsi que toute gestation pour autrui est prohibée dans le droit français depuis 1991. Le texte concluait ainsi :Au XXIe siècle, la fondation d’une famille est l’expression d’une volonté, c’est-à-dire de la conjonction d’une liberté individuelle et d’un projet partagé. La venue au monde d’un enfant résulte de cette liberté et de ce projet. Encadrer la gestation pour autrui, c’est reconnaître que cette liberté et ce projet ne s’arrêtent pas aux frontières biologiques. Des parents, des géniteurs, une gestatrice peuvent permettre, ensemble, la venue au monde d’un enfant. Il revient à la société de fixer le cadre nécessaire à la protection de cette liberté.

Voilà, pour une fois, qui avait le mérite d’être clair et sans ambages. Personne ne pourra dire aujourd’hui ni demain qu’il n’était pas au courant des plans socialistes, que ces plans n’existent pas, que l’on joue ici les Cassandre ou les messagers de l’apocalypse. Plus j’y réfléchis, en mon âme et conscience, plus je me concentre sur ma seule raison, plus j’ai envie de dire : attention, danger. Seul réconfort : je ne peux imaginer que le Conseil constitutionnel valide cette folie.

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