L’État envisage la construction d’une seconde ligne de TGV entre Paris et Lyon, via Orléans. La Coordination des associations du Beaujolais organise, ce jeudi 25 octobre, à Villefranche-sur-Saône, une conférence-débat intitulée "Faut-il sacrifier le pays des Pierres Dorées sur l'autel de la grande vitesse ?". Avec Marc Fressoz, auteur de "F.G.V. - Faillite à grande vitesse". En pleine grève à la SNCF...
Une seconde ligne à grande vitesse entre Paris et la Capitale des Gaules, ça fait des lustres qu’on en parle. Mais c’est cette année que le dossier sort véritablement des tiroirs. Le projet en question, dont le débat public est aujourd'hui clos, porte sur la liaison Paris-Orléans -Lyon*, soit 530 à 545 kilomètres selon le scénario (lire Les 4 tracés retenus). Sur le papier, l’objectif affiché est de désenclaver le centre de la France, jusqu’ici parfaitement ignoré de la grande vitesse. En réalité, la cible concrète de ce second Paris-Lyon est la desserte du sud de la France, tous les projets d’extension vers Nîmes-Montpellier-Barcelone et Toulon-Nice-Italie n’ayant de sens que si les nouveaux trafics peuvent être absorbés sur une nouvelle ligne Paris-Lyon.
Or, la SNCF prévoit, à l’horizon 2025, une saturation complète de la ligne actuelle, avec 50 millions de passagers annuels. Raison pour laquelle elle pousse fortement au doublement de sa ligne la plus fréquentée et (surtout) la plus rentable. Tout le monde parle d’itinéraire bis. Non, puisque, selon toute vraisemblance et quel que soit le tracé arrêté, le TGV ne passera pas par Lyon intra-muros mais via son aéroport. Un auguste coup de fouet pour la gare fantôme de Saint-Exupéry, qui ne voit passer que deux à trois mille voyageurs par jour – moins que la gare de Bayonne (!).
Côté RFF (Réseau ferré de France, le maître d’ouvrage), l’idée est que cette ligne permette, à long terme, de proposer des sillons à de nouveaux opérateurs (Veolia, DB Shenker Rail, etc.). Ce qui est certain, c’est que ce doublement du Paris-Lyon renforcera Lyon en tant que hub ferroviaire national et européen, avec des possibilités d’arroser l’aéroport de Genève et l’Italie, via le (probable futur) TGV Lyon-Turin.
La Coordination des associations du Beaujolais sont très vite intéressées à cette ligne de TGV car dans son parcours vers Lyon, plusieurs hypothèses lui font traverser la région du Beaujolais (toutes les communes des cantons du Bois-d'Oingt et d'Anse et une partie des communes des cantons de Neuville-sur-Saône et de Gleizé.
"Nous nous posons des questions sur le contenu et l'opportunité d'un si vaste et si coûteux projet, dont on nous dit qu'il n'est pas économiquement rentable et que nous devrons le financer à tous niveaux par nos impôts, écrit la coordination. Nous alertons élus et décideurs sur leur responsabilité, étonnés de voir l'unanimité des interventions en faveur de cet énorme chantier, qui augmenterait de 10 milliards d'euros les dettes publiques, impacterait sur son passage les milieux naturels et agricoles et perturberait des centaines de milliers d'habitants dans leur cadre de vie".
* Un raccordement devrait permettre de relier Clermont-Ferrand.
Un précédent autoroutier
Il y a quelques mois, la mobilisation des habitants du Beaujolais avait permis d'envoyer aux calendes grecques – si ce n'est aux oubliettes – le projet d'autoroute entaillant le Beaujolais sur 25 kilomètres, entre Arnas, au nord de Villefranche-sur-Saône et Les Olmes, près de Tarare. Le tracé avait été acté à la majorité en séance plénière du conseil général du Rhône. Le projet d'autoroute beaujolaise s'avérait en réalité être le tronçon nord du COL (contournement autoroutier de Lyon), vieux serpent de mer de la fin des années 90 dont l'objectif est d'extraire le transit du centre-ville de Lyon, complètement asphyxié par les grands trafics nord-sud. "On parle de protection du patrimoine naturel, de poumon vert de l’agglomération lyonnaise, de développer le tourisme... Mais on se tire une balle dans le pied ! tempêtait à l'époque la Coordination des associations du Beaujolais. En plus, le Beaujolais a été classé Zone verte : aucune grande infrastructure de transport ne peut être construite".
Les 4 tracés retenus
Scénario est
Paris-Lyon en 1h45
> Variante sud (530 km)
Coût : 13,1 milliards d’euros (24,7 millions le km)
Gain de voyageurs : 6,5 millions
> Variante nord (535 km)
Coût : 12,5 milliards d’euros (23,4 millions le km)
Gain de voyageurs : 6,2 millions
Scénario médian
Paris-Lyon en 1h45
> Variante sud (535 km)
Coût : 12,8 milliards d’euros (24 millions le km)
Gain de voyageurs : 6,5 millions
> Variante nord (535 km)
Coût : 12,2 milliards d’euros (22,8 millions le km)
Gain de voyageurs : 6,1 millions
Scénario ouest
Paris-Lyon en 1h55
> Variante sud (530 km)
Coût : 12,9 milliards d’euros (24,3 millions le km)
Gain de voyageurs : 5,7 millions
> Variante nord (550 km)
Coût : 12,5 milliards d’euros (22,7 millions le km)
Gain de voyageurs : 5,3 millions
Scénario ouest-sud
Paris-Lyon en 1h55
545 km
Coût : 14 milliards d’euros (25,7 millions le km)
Gain de voyageurs : 5,1 millions
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Entretien avec Marc Fressoz, conférencier et auteur de F.G.V. Faillitte à Grande Vitesse (Éd. Documents)
La France envisage de construire 2 000 kilomètres de voies de TGV supplémentaires. Une facture de 80 milliards d'euros. L'État a-t-il les moyens de ses ambitions ?
Non, évidemment. C'est pour cela qu'une commission vient d'être installée - elle compte d'ailleurs un lyonnais, avec le professeur Michel Crozet - pour mettre la pédale douce à cette folie. Face au manque d'argent public, le pis-aller qui a été utilisé lors du quinquennat de Nicolas Sarkozy qui a lancé la construction de 3 LGV ( Tours-Bordeaux, Le Mans-Rennes, Nîmes-Montpellier) a été d'utiliser la recette soi-disant miracle des partenariats public privés.
C'est à dire privatiser des bouts du réseau en en confiant la construction et l'exploitation aux majors du BTP, Vinci, Eiffage, Bouygues, ce pendant plusieurs décennies. L'effet boomerang va être terrible car il va falloir rémunérer ces groupes en échange de leur petit apport au démarrage. Tout en sachant que les collectivités locales et l'Etat n'ont pas été dispensés de verser des subventions de départ. Les PPP, ce sont des fils à la patte terribles. Aujourd'hui, j'ai entendu que la Cour des comptes enquête sur le PPP de la ligne Tour Bordeaux car le contrat a été conclu dans la plus grande opacité et on n'en connait pas toutes les conséquences financières pour le contribuable.
Quelle sont, aujourd'hui, les situations financières respectives de la SNCF et de RFF, le gestionnaire du réseau ?
Le système ferroviaire est dans l'impasse. 30 milliards d'euros de dette du rail ont été logés chez RFF pour éviter que cette dette soit requalifiée de dette d'Etat, la SNCF supportant de son côté 8 milliards d'euros. Un désendettement de RFF par le contribuable est évidemment impossible vu l'état des finances publique. Si on avait pu utiliser cette baguette magique, on l'aurait déjà fait ! Dans le même temps, on sait que cette dette du rail va doubler d'ici 2025, 2030 par effet mécanique et en raison des nouvelles lignes lancées sous Nicolas Sarkozy. On peut dire que le mal est déjà fait. L'actuel gouvernement, comme le précédent, ne sait par quel bout prendre le problème.
Par la force des choses, le gouvernement Ayrault va donc lever le pied et mettre au placard les projets de LGV et porter les efforts sur le réseau existant. Reste la solution de fond. Celle qui consiste à faire des économies et des gains de productivité dans le fonctionnement du rail - remettre à plat les conditions de travail des cheminots - et mieux articuler les rapports SNCF-RFF qui sont diaboliques depuis le départ pour être plus efficace. C'est l'idée du gouvernement pour économiser 1 milliard par an. Bon courage pour mettre cela en musique ! Car le hic c'est que lorsque les syndicats cheminots entendent le mot réforme, ils sortent leur grève ou obtiennent des contreparties qui renchérissent le système.
La ligne LGV Paris-Clermont-Lyon agite la région beaujolaise. Cette ligne est-elle, selon vous, indispensable ?
Si on estime qu'une LGV est un outil d'aménagement du territoire, comme le pensent la plupart des élus, et sert à reconnecter des villes ou des régions qui voient passer de très loin le TGV sans y avoir droit, oui. Et on peut aussi croire que dans 20-30 ans, le tuyau central de Paris-Lyon risque d'être saturé et qu'il faudra une sorte d'itinéraire de délestage. Mais tout cela a un prix énorme. On parle de 15 milliards d'euros à trouver dans les caisses de l'État des collectivités car, a priori, cet axe n'est pas éligible aux fonds européens. A mon avis, la ligne se fera par petit à petit par petit bout. Peut-être qu'on commencera par aménager des bouts où les besoins de déplacements sont les plus importants, comme entre Lyon-Saint-Étienne et l'Auvergne.
Vous écrivez que "trop de TGV risque tout simplement de précipiter à grande vitesse la faillite du rail français". Comment ?
Par le phénomène que je décris plus haut. Le système s'asphyxie financièrement et la crise ne simplifie rien. Il suffit de voir que les régions qui sont devenus les sponsors des TER de la SNCF depuis la décentralisation n'en peuvent plus. Elles ont fait de gros efforts et ces dernières années en jouant les bons samaritains mais la facture que leur transmet la SNCF enfle sans cesse alors que les budgets des régions stagnent. C'est intenable. Du coup, il faut s'attendre à voir certaines régions transférer des dessertes TER sur autocar pour faire des économies.
Par choix politique, les régions qui sont majoritairement de gauche ne veulent officiellement pas entendre parler de mise en concurrence de la SNCF, comme cela se fait par appel d'offre dans les transports urbains. En Allemagne, avec cette concurrence bien tempérée, la facture des trains régionaux a baissé de façon sensible, le trafic a augmenter, la DB qui s'est réformée ne s'est pas effondrée et le dumping social annoncé n'a pas eu lieu. L'autre problème en France, c'est que l'alternative à la SNCF acceptable par les élus, c'est-à-dire Veolia Transdev, est en pleine déconfiture.
Autrement dit, selon vous, il faut laisser la place à la Deutsche Bahn, et autres opérateurs étrangers, dans le cadre de l'ouverture du rail à la concurrence ?
On a laissé la DB s'installer dans le fret en France via sa filiale ECR où elle taille des croupières à l'entreprise publique qui ne s'est jamais intéressée au fret ou sinon trop tard. Mais dans le trafic voyageur, c'est autre chose. Dans le TER, à mon sens, il se passera un certain temps avant de voir un jour une grosse région confier son argent à un opérateur étranger. Peut-être que l'alternative à la SNCF pour les TER sera un jour sa filiale Keolis. Sur les liaisons TGV internationales qui sont ouvertes à la concurrence, on attend toujours de voir la DB pointer son nez pour aller en Angleterre.
La crise a ralenti toute les velléités de prise d'assaut des TGV de la SNCF, car s'installer dans un autre pays c'est faire des investissements considérables. Et il faut s'adapter à une réglementation protectionniste. La France est un pays ferroviaire très fermé et tout est fait pour protéger le plus longtemps possible la vache à lait de la SNCF, c'est à dire le TGV. Cette activité dégage des marges considérables or elles ont eu tendance à s'effriter ces dernières années. D'où le danger pour la SNCF.
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> "Faut-il sacrifier le pays des Pierres Dorées sur l'autel de la grande vitesse ?"
Conférence-débat. Jeudi 25 octobre à 20h au cinéma Les 400 Coups, à Villefranche-sur-Saône.
Inscription souhaitée : association.bvabo@orange.fr ou 04 74 71 66 68.
Plus d'infos sur https://associations-beaujolais-pierres-dorees.fr