Les Tsiganes demandent la reconnaissance de leur internement de 1940 à 1946

Le 6 mai, à Lyon, sera organisée une cérémonie de commémoration en hommage aux Tsiganes internés durant la Seconde Guerre Mondiale dans des camps administrés par les autorités françaises. Sans la présence de l’Etat, qui ne reconnaît toujours pas cette page sombre de l’histoire de France.

C’est une page d’histoire inconnue de tous ou presque. En 1940, sur ordre de l’occupant allemand, près de 6500 Tsiganes furent internés dans des camps. Soixante-dix ans plus tard, les associations de Tsiganes, épaulées par des historiens, veulent qu’enfin soient reconnue cette persécution et le rôle des autorités françaises. Une implication totale puisque les camps étaient administrés et gardés par les Français. Surtout, comme l’explique l’historienne Marie-Christine Hubert (co-auteure d’un des rares livres sur la questions. Entretien intégral à écouter à la fin de l’article), c’est la loi de 1912 qui a rendu possible la rapidité de l’assignation à résidence puis de l’internement.

Cette loi obligeait tous les "nomades" à disposer d’un carnet anthropométriques (avec photos de face et de profil) et à le faire viser par les autorités dès leur arrivée dans une commune, et à leur départ. Une fois la France entrée en guerre, les Tsiganes ainsi fichés, ont été facilement assignés à résidence (par un décret signé le 6 avril 1940 par le président de la République), puis internés en octobre, essentiellement dans la zone occupée. Il faudra attendra 1946 et non la Libération de 1944, pour que les derniers Tsiganes sortent des camps. Le gouvernement provisoire de De Gaulle "préférant garder sous surveillance" cette population.

Des lois d’exception qui perdurent

Malgré cette persécution co-organisée par les autorités françaises, la loi de 1912 n’a pas été abrogée au sortir de la guerre. Toilettée, elle a été remplacée par un nouveau texte, en 1969. Cette loi oblige désormais à être rattaché à une commune et, surtout, à disposer d’un livret ou d'un carnet de circulation. En fonction des revenus, les Gens du Voyage, comme on les nomme désormais, sont obligés de faire tamponner leur carnet par la police tous les ans voire tous les trois mois. Ne pas posséder ce titre de circulation peut conduire à une amende ou une peine de prison. De nombreux Tsiganes se considèrent comme des "citoyens de seconde zone". Particulièrement, sur la question du droit de vote puisqu’il faut attendre trois ans de rattachement à une commune avant de pouvoir glisser un bulletin dans l’urne.
Autres conséquences du carnet de circulation, sont inscrites sur les cartes d’identité, la mention "SDF" et la commune de rattachement.

Ce qui permet de repérer aisément un voyageur d’un sédentaire. "Nous avons les plus grandes difficultés à contracter une assurance, à ouvrir un compte en banque voire à un inscrire nos enfants à l’école parce que nous sommes repérés comme voyageurs", explique Franck Sicler le président de l’ARTAG (Association régionale, en Rhône-Alpes, des Tsiganes et de leurs Amis Gadjé).
Regroupés en associations, les Tsiganes ont demandé l’abrogation de cette loi discriminatoire. Sans résultat. "Depuis la seconde guerre mondiale, finalement, ça n’a pas beaucoup changé, nous sommes toujours traités comme des sous-citoyens", n’hésite pas à affirmer Gabi Jimenez, artiste-peintre gitan, membre de l’association francilienne ADVOG.

Commémorer le passé pour changer le présent

Regroupées au sein du collectif "Mémoires Tsiganes", les associations tsiganes, soutenues par des historiens*, la Ligue des Droits de l’Homme, la Cimade et, à Lyon, la Maison des Passages et le Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation (CHRD), ont choisi 2010 pour qu’enfin soit connue et reconnue cette histoire particulière des Tsiganes français. Cette année commémorative a été lancée en février par la sortie du film "Liberté" de Tony Gatlif. Grâce au réalisateur, les historiens Emmanuel Filhol et Marie-Christine Hubert ont pu trouver un éditeur pour le livre qui raconte la persécution des Tsiganes. "Il y a dix ans, quand je démarchais des éditeurs, on me répondait que ça n’intéressait personne et que “les Tsiganes ne savent pas lire"", glisse Marie-Christine Hubert. Des événements culturels sont depuis programmés sur tout le territoire.

Mais la commémoration reste modeste. C’est à Lyon, le 6 mai à 18h30, place Antonin Poncet (2e arr.) que sera organisée la première cérémonie du collectif "Mémoires Tsiganes", sous la présidence d’honneur de l’ancien ministre socialiste de la Justice, Robert Badinter. Cependant, outre le député (PS) Jean-Louis Touraine, ne seront présents que les représentants des maires de Lyon et du président de la Région Rhône-Alpes. Aucun représentant de l’Etat.

Promesses ministérielles et lois aux oubliettes

Au-delà de la cérémonie du 6 mai, le collectif "Mémoires Tsiganes" espère une prise de position du gouvernement français. Dans un courrier envoyé à la fédération des associations tsiganes (la FNASAT), le secrétaire d’Etat aux anciens combattants Hubert Falco a promis de s’exprimer sur la “tragédie vécue par les Tsiganes” le 16 juillet prochain, lors de “la journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l’Etat français”. Ce serait une première. Parallèlement, les deux propositions de loi déposées par les groupes communistes le 15 février 2007 à l’Assemblée Nationale et le 15 mai 2008 au Sénat, dans les mêmes termes, attendent toujours dans leur niche parlementaire. Dans leur article 1er, il est écrit “la France reconnaît publiquement le génocide tsigane perpétré par l’Allemagne nazie pendant la Seconde Guerre mondiale”. Dans ces propositions de loi, il n’est pourtant fait mention que de la responsabilité des Nazis. Soixante-dix ans après le début de l’occupation, cette page sombre de l’histoire nationale sera-t-elle enfin assumée ?

*Outre Marie-Christine Hubert et Emmanuel Filhol, Alain Reyniers, Jacques Sigot et Henriette Asséo

Photo : camp de Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire), le principal camp d'internement des tsiganes (archives Jacques Sigot)

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Pour plus d’informations sur les iniatives nationales
memoires-tsiganes1939-1946.fr

Les Tsiganes en France : Un sort à part 1939-1946
Le livre de Marie-Christine Hubert et Emmanuel Filhol, aux édtions Perrin (oct. 2009)
Marie-Christine Hubert est historienne et archiviste. Elle est l'auteur d'une thèse d'histoire sur les Tsiganes pendant la Seconde Guerre mondiale. Emmanuel Filhol est maître de conférences hors classe à l'université de Bordeaux I.

Le festival Itinérance Tsigane
4e édition de ce festival culturel pluridisplinaire, organisé par la Maison des Passages et l’ARTAG, dans la région lyonnaise. Avec notamment l’exposition de l’artiste-peintre gitan Gabi Jimenez, jusqu’au 22 mai, à la médiathèque du Bachut (Lyon 8e).

Le programme complet sur maison-des-passages.com

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