Weill et Drahi
© Eric Piermont / Miguel Medina

Dette d’Altice : la Bourse dévisse

“Mais où trouve-t-il tous ces milliards ?” se demandent depuis quelques mois les journalistes de L’Express et de BFM/RMC, lorsqu’ils évoquent leur nouveau patron, Patrick Drahi. Marc Laufer et Alain Weill ont beau tenter de rassurer leurs équipes respectives, leur promettant rationalisation, synergies, croissance externe et développement international, le cœur n’y est plus tout à fait. Aujourd’hui, la maison mère Altice dévisse de façon sévère sur les Bourses de Paris et d’Amsterdam. Tout sauf une surprise.

En patron terrien et avisé, Martin Bouygues avait refusé fin juin l’offre mirifique de Patrick Drahi pour le rachat de Bouygues Télécom, lui rétorquant que “tout n’était pas à vendre”. Il est vrai qu’il n’est pas courant de sillonner la planète avec en permanence 15 milliards de dollars au bout des doigts et de sortir son chéquier à tout bout de champ pour acheter des chaînes de télé, des stations de radio, des magazines, des câblo-opérateurs et autres sociétés de téléphonie. Même si l’heure est à la convergence entre les contenants et les contenus, il est difficile de déceler dans cette fièvre acheteuse la moindre stratégie : cela ressemble furieusement à une fuite en avant de type Jean-Marie Messier dans Vivendi.

Mardi, les cours de Bourse de Numericable-SFR et de sa maison mère Altice ont chuté, perdant chacun plus de 9 % ; ils restaient encore à la baisse hier (plus de 4 %). C’est que la holding de Patrick Drahi a désormais des difficultés pour lever les 8,6 milliards de dollars nécessaires à l’acquisition de Cablevision aux Etats-Unis : de plus en plus d’investisseurs s’inquiètent de la dette colossale accumulée par le groupe, 50 milliards de dollars au bas mot, soit 42 milliards d’euros !

Le doute s’installe

Il semble déjà loin le temps où les banquiers se bousculaient pour financer le rachat de SFR et, si l’heure n’est pas encore à la panique, le directeur général d’Altice, Dexter Goej, s’est senti obligé de déclarer ces derniers jours que le groupe allait “faire une pause dans les acquisitions”… quand Alain Weill continuait d’affirmer tout le contraire dans la presse française et devant le Conseil supérieur de l’audiovisuel. Des contradictions incompréhensibles, surtout pour des groupes cotés, extrêmement sensibles à la communication.

Cet été, sentant le vent tourner, Patrick Drahi, Franco-Israélien résidant en Suisse, a réorganisé la structure juridique et capitalistique de son groupe, de façon assez créative il faut en convenir : l’argent peut continuer à rentrer via des augmentations de capital, l’homme d’affaires ne risque pas de perdre le contrôle de sa société. Miracle ? En réalité, il a créé à cet effet deux catégories d’actions : les A, qui donnent droit à un vote, et les B, qu’il réserve à son usage personnel et qui donnent, elles, droit à 25 votes chacune. Pour cela, il a fait émigrer Altice du Luxembourg aux Pays-Bas, où de telles acrobaties sont possibles. Sa holding personnelle, Next Limited Partnership, immatriculée à Guernesey, restant quant à elle actionnaire majoritaire d’Altice.

Sur ce modèle métastable, Patrick Drahi continue de monter des opérations financières basées sur des échanges d’actions et des augmentations de capital financées par la dette, exactement comme pour la chaîne fantôme Numéro 23 et pour le groupe Next Radio TV… mais à une échelle bien plus importante : une cascade d’acquisitions de plus en plus risquées, surtout quand les investisseurs doutent de la réalité des synergies annoncées et que la Bourse dévisse en réaction – celle-ci étant en effet très réactive au “facteur immatériel confiance”. L’agence de notation Standard & Poor’s vient d’ailleurs d’indiquer que, si le groupe ne se désendettait pas fortement d’ici juin 2016, la note d’Altice pourrait une nouvelle fois être abaissée (elle est actuellement de B+, ce qui correspond déjà à “très spéculative”).

La ficelle devient visible

Taux d’intérêts passés de 4 à 10 % pour les nouveaux emprunts du groupe, chute de 14 % en deux jours des cours de Bourse, incertitude sur le marché mondial du câble depuis l’arrivée de Netflix, grogne montante des journalistes de L’Express, qui voient leurs effectifs et la qualité de leur magazine fondre comme neige au soleil, stratégie illisible, méthodes de management brutales, questions sur le respect de la loi audiovisuelle de 1986 et sur l’origine des fonds, fournisseurs étranglés dans le but de négocier les prix à la baisse… Drahi “le magicien” ne semble déjà plus qu’un prestidigitateur.

Un peu à la façon d’Alain Weill, qui expliquait le plus sérieusement du monde lors d’une séance publique au CSA le 28 septembre 2015, dans le cadre de l’étude d’impact relative à Numéro 23, qu’il n’avait rencontré Patrick Drahi, “troisième fortune française”, qu’en mai de cette année, quand les deux hommes se fréquentent régulièrement depuis vingt ans. Que le tour soit dévoilé au public et que la ficelle devienne visible et le charme est immédiatement rompu… et l’argent ne rentre plus.

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