Mickaïl Lesin
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Mikhaïl Lesin, l’homme des médias de Poutine, retrouvé mort

Un millionnaire proche du président russe Vladimir Poutine a été retrouvé mort dans une chambre de l’hôtel The Dupont Circle à Washington. Il s’agit de Mikhaïl Lesin, ancien ministre de la Communication, accusé par l’opposition d’avoir muselé les médias en Russie. Les circonstances de ce décès ne sont pas encore élucidées et les autorités américaines ont signalé à l’ambassade de Russie à Washington l’ouverture d’une enquête.

Ce proche du président russe a contribué à la fondation de Russia Today (RT), un groupe de médias en langue anglaise soutenu par le gouvernement russe, qui affirme vouloir “donner une perspective alternative aux grands événements mondiaux [avec] un point de vue russe”. Les enjeux stratégiques sont de taille, le conflit syrien et l’attentat contre l’A321 russe dimanche dernier en Egypte sont évidemment dans tous les esprits.

Ministre de la Communication entre 1999 et 2004 puis conseiller de Vladimir Poutine, Mikhaïl Lesin a aussi été directeur général de la holding médias du géant pétrolier russe Gazprom. Un pétrolier que l’on retrouve de façon directe ou indirecte dans ces affaires médiatico-politiques, en Russie mais aussi en France, comme Lyon Capitale l’a révélé en juin 2015 à propos du pacte de corruption scellé dans Numéro 23.

Fait troublant, en juillet 2014, le sénateur américain Roger Wicker avait réclamé une enquête fédérale sur Mikhaïl Lesin pour savoir s'il ne blanchissait pas de l'argent aux Etats-Unis ou s'il n'était pas en contact avec des personnes visées par des sanctions américaines. Lesin avait en effet acquis pour plusieurs millions des biens en Europe, ainsi que plusieurs résidences à Los Angeles pour plus de 28 millions de dollars. “Qu'un fonctionnaire russe ait pu amasser des biens aussi importants pose de graves questions”, avait estimé l'élu américain, dans une lettre au ministre de la Justice de l'époque, Eric Holder, datée du 29 juillet 2014.

Russia Today en France

Irakly Gachechiladze, le président de RT France, expliquait lors d’une présentation il y a quelques mois au Marché international de l’audiovisuel de Cannes, qu’il souhaitait passer d’un fil vidéo diffusé sur le Net à une chaîne dotée de 60 à 70 % de contenus originaux en français, “une sorte de France 24 russe” parfaitement assumée et même revendiquée. Gachechiladze assure que “de grands journalistes français” apporteront leur concours à la chaîne dès 2016 et “un talk show” serait même prévu. Une douzaine de personnes travaillent déjà sur le site Web à Paris, quand une vingtaine à Moscou gèrent la postproduction des vidéos pour le fil français, nous apprend l’Agence France Presse.

La bataille médiatique et linguistique est cruciale, tant il s’agit de peser sur la politique internationale en captant l’audience francophone (220 millions de personnes aujourd’hui et 700 millions en 2050, selon l’ONU). Diffusée dans un premier temps sur le satellite et via les box Internet, RT rejoindra ainsi France 24, i24 News (l’étrange chaîne de Patrick Drahi), CCTV4 (la chaîne chinoise qui émet en français en Afrique) et Al-Jazeera, la chaîne qatarie qui émet en arabe, en anglais, en turc et en serbo-croate.

De l’importance de la loi audiovisuelle de 1986

À l’occasion des diverses auditions au CSA cet automne (passage en gratuit de LCI et Paris Première, passage de SD en HD, audition des tiers sur l’escroquerie Numéro 23…), Fiducial Médias n’a cessé de mettre en garde quant au respect de la loi audiovisuelle de 1986, qui limite à 20 % la participation (dans les chaînes TNT) de personnes physiques et morales extracommunautaires. À ce titre, on relira avec attention l’article publié le 12 juin dernier, intitulé : “Le rêve russe de Poutine passe-t-il par les médias francophones ?”

Compte tenu de la situation internationale, il est devenu totalement absurde de ne regarder les concentrations dans l’audiovisuel qu’à travers le prisme franco-français. Comme le dit une publicité, “papa, le monde a changé” et il est temps de se réveiller : Patrick Drahi ne tente pas d’acheter NextRadioTV (BFM, RMC), le groupe d’Alain Weill, seulement pour ses beaux yeux ou parce qu’ils sont des amis de vingt ans.

Le pluralisme, condition sine qua non de la démocratie

C’est une vision du monde qui est en jeu : diffuser sur des chaînes françaises d’info TNT des programmes prédigérés par les censures russe, qatarie, chinoise ou israélienne poserait de sérieuses questions quant à l’indépendance même de notre pays, car c’est bien de censure qu’il s’agit (ou de militantisme, ou d’autocensure, qui n’en sont que les variantes plus ou moins sophistiquées). Derrière la mort de Mikhaïl Lesin (sa famille s’est empressée de parler de “crise cardiaque”), c’est la sempiternelle question de la démocratie et du pluralisme qui est posée.

L’objectif du pluralisme est tout sauf anodin : il s’agit de garantir que les téléspectateurs et les auditeurs, qui sont au nombre des bénéficiaires de la liberté de communication, disposent d’une information politique diversifiée qui ne les prive pas de la capacité d’exercer leur liberté d’opinion et de choix, dans la mesure où ils sont aussi des électeurs. Le lien entre le principe de pluralisme et la vie démocratique a été établi à plusieurs reprises par le Conseil constitutionnel. Celui-ci a estimé en ce sens que “le respect du pluralisme est une des conditions de la démocratie” (décision n° 86-217 DC du 18 septembre 1986) et que le pluralisme “constitue le fondement de la démocratie” (décision n° 89-271 DC du 11 janvier 1990).

Pour reprendre la belle formule d’Edwy Plenel, “la France est une démocratie de basse intensité”. Certes. Mais maintenir cette petite lueur, si faible soit-elle, est plus que jamais la mission du CSA, qui dispose désormais de tout un arsenal législatif. Un Conseil qui n’a pas flanché face à la fraude Numéro 23. Avec la vente espérée de NextRadioTV à Altice, c’est un dossier mille fois plus gros que les Sages devront traiter : quand le fraudeur Pascal Houzelot disait avoir investi 50 millions d’euros, Patrick Drahi est endetté à hauteur de 50 milliards. Et son groupe est comme la mer, toujours recommencé, d’îles exotiques en paradis fiscaux. Quant au diable, il est dans les détails.

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