Marianne pleure
EITAN ABRAMOVICH / AFP

Attentats à Paris : le changement c’est -vraiment- maintenant

Il s’agit de la pire attaque terroriste jamais commise sur le sol français. 129 morts sont à déplorer dans une série d’attentats simultanés qui ont frappé Paris et Saint-Denis vendredi soir. 352 blessés sont pris en charge dans les hôpitaux, dont 99 blessés en “situation d’urgence absolue”. Le groupe État islamique a revendiqué ce samedi matin ces attentats dans un communiqué.

"C'est un acte de guerre" commis par "une armée terroriste, Daech", a réagi le président de la République, François Hollande, qui a décrété un "deuil national pendant trois jours". Une minute de silence sera observée lundi à midi et les drapeaux seront mis en berne, a annoncé Matignon. Le parquet antiterroriste s’est saisi de l’enquête.

Il semble inconcevable, pour un peuple de paix, de pouvoir imaginer être la cible de tireurs déterminés. Inconcevable d’être abattu le plus froidement du monde (et pas du tout “aveuglément”) dans une salle de concert ou à la terrasse d’un café. Et pourtant, il va bien falloir se rendre à l’évidence : nous sommes dans l’œil du cyclone pour une longue période sans doute et nous allons continuer à vivre des événements inédits, auxquels nous ne sommes pas du tout préparés. Comment (s’)en sortir ?

Il y a certes le rassemblement autour de nos valeurs, qui est surtout une réponse politique compassionnelle : “On y croit, on s’aime, parce qu’on pense la même chose, et on va finir par gagner parce que notre pensée est universelle.” Indéniablement, cette réaction nécessaire nous fait du bien, elle nous réconforte un peu, à la manière des spectateurs du Stade de France qui ont spontanément entonné hier soir La Marseillaise en évacuant les tribunes.

À l’autre extrémité, il y a les réponses plus politiciennes, que l’on pourrait résumer par la formule : “Pousse-toi de là que je m’y mette, je suis meilleur que toi et je vais te dire ce qu’il faut faire, moi.” Il y a enfin la réponse “méthode Coué”, qui consiste à expliquer benoîtement que l’ennemi vient de l’étranger. Et bien sûr, pour couronner le tout, il y a un mix des trois réponses, avec un curseur que l’on déplace de façon subtile en fonction de l’électorat que l’on espère séduire.

Le lourd héritage Sarkozy/Lévy

La vérité, c’est que la classe politique française est impuissante et désemparée, qui nous a inexorablement conduits à ce carnage. Le président de la République fait tout ce qu’il peut aujourd’hui, qui doit gérer le lourd héritage du duo Nicolas Sarkozy/Bernard-Henri Lévy, chefs de guerre irresponsables ayant joué les apprentis sorciers dans le monde arabe, le plus souvent (mais pas toujours) à la remorque d’une politique étrangère américaine qui ne produit que des catastrophes en domino à l’échelle planétaire.

Malheureusement, la France semble persister dans cette voie meurtrière : après avoir envoyé six pauvres avions bombarder Daech – et détruit notamment, d'après notre ministre de la Défense, le camp d'entraînement et de préparation des attentats contre notre pays (!) – c'est le porte-avions Charles-de-Gaulle qui appareillera de Toulon le 18 novembre.

“Sur la base de la campagne de renseignements menée au-dessus de la Syrie, nos avions de combat ont déjà frappé Daech à cinq reprises en Syrie, dont trois fois cette semaine sur des sites d'infrastructures pétrolières”, a par ailleurs indiqué hier (avant les attentats) le porte-parole du Gouvernement. “283 frappes ont été menées en Irak depuis le 19 septembre 2014, a-t-il précisé en citant une intervention du Premier ministre devant le conseil des ministres. Notre objectif est d'accroître et de poursuivre la lutte contre Daech. Nous ciblons cette organisation dans le cadre de la légitime défense collective.”

Précisons que Daech est né en Irak, quand, pour combattre l'occupation américaine de 2003, une poignée d’ex-officiers de l'armée de Saddam Hussein et des fondamentalistes irakiens, rejoints par des djihadistes venus d'Afghanistan, prêtèrent allégeance à Al-Qaida… Rappelons aussi que Nicolas Sarkozy a dangereusement rapproché la France de Kadhafi, pour ensuite armer des milices islamistes dans le but de faire chuter le Guide – et pour le coup, les Américains furent quand même nettement plus prudents. Après le lynchage de Kadhafi et la chute du régime, Nicolas Sarkozy pensa essentiellement à sa réélection et Bernard Henri-Lévy à renouveler son stock de chemises immaculées, laissant la Libye dans un état indescriptible dont nous payons aujourd’hui le prix, qui est rouge sang, sur notre territoire.

Moi Moi Je

En pleine campagne présidentielle de 2012, Nicolas Sarkozy, encore lui, n’hésitait pas à faire son autopromotion et à déclarer devant les ouvriers d’une usine vosgienne : “Il n’y a pas d’opposition entre ce que j’ai fait en Libye et ce que j’ai fait ici… On n’y serait pas arrivé en Libye sans ténacité. On n’arrivera à rien pour l’emploi sans ténacité.” Tout commentaire serait superflu : il eût été de bon goût de ne pas intervenir aujourd’hui juste après François Hollande, avec un tel passif, pour dire la même chose que lui en moins bien.

Comme l’a bien expliqué Sara Daniel dans un article de L’Obs, “des quatre coins du monde, des volontaires affluent vers le pays de Cham, le nom islamique de la Syrie, pour rejoindre le plus grand djihad transnational jamais mené. Ce sont des laissés-pour-compte de l'intégration dans leurs pays respectifs qui y trouvent une identité fantasmée et une justification à leur violence. L'Etat islamique, grande entreprise de blanchiment de la délinquance, les attire comme un aimant. Ces volontaires sont persuadés que la fin des temps approche. On le voit dans leurs discussions sur les réseaux sociaux, tous veulent faire partie de cette ultime bataille qui se déroulera en Syrie contre les "croisés"”.

Laissés-pour-compte de l’intégration, abandon de territoires entiers de la République, faillite de l’économie sociale, clientélisme éhonté, laxisme sécuritaire, politiques architecturales désastreuses… c’est une véritable fabrique de terroristes made in chez nous que nous avons engendrée, nourrie, exacerbée et parfois même instrumentalisée.

En abandonnant le monde ouvrier, les notions de travail et de mérite et encore le terrain de la nation et de tous ses symboles au Front national, en cultivant tous les jours notre honte de prononcer le simple mot “France” par crainte d’être taxé de “populiste” et de “facho”, en attaquant sans cesse la laïcité (cf. le sinistre discours de Latran) et en laissant croire, par paresse, conformisme ou lâcheté que tout se valait, de nombreux politiciens ont ouvert la voie à de pseudo-intellectuels totalement “décomplexés” et désinhibés, auxquels nous sommes sommés de répondre, et qui viennent nourrir les fantasmes de la “race blanche” ou autre ministère de l’Identité nationale.

Des solutions existent

Le summum de la médiocrité a été atteint quand nous avions d’un côté Ségolène Royal qui scandait “fra-ter-ni-té” dans un stade parisien devant une foule hébétée, et de l’autre Nicolas Sarkozy, claironnant que l’on naissait pédophile et que le problème de l’homme noir était, dans une espèce de fatalité sans cesse recommencée, d’avoir loupé son entrée dans l’Histoire universelle. Il n’y a pas comme un problème, là ? C’est ça, le projet français ?

Les médias sont tout autant responsables de cette situation, toujours prompts à traquer la “petite phrase” pour en faire des tonnes et à lancer des débats stériles où seul le “off” prononcé hors antenne est à peu près sincère.

Nous le savons tous, nous sommes entrés dans une longue spirale de violence, mais pour autant il ne faut pas baisser les bras car des solutions existent. Il est temps pour François Hollande de se révéler, tous les Français l’attendent et feront corps derrière lui si ces solutions sont à la hauteur du problème. Car il n’est pas question de rester passifs et de se laisser assassiner à chaque coin de rue.

Voici par conséquent quelques idées-forces, histoire de lancer le débat.

  • Retrait de la France des conflits qui ne la concernent pas, essentiellement dans le monde musulman : il ne s’agit pas de guerres de religion mais bien de guerres de religieux – et la nuance est de taille. En Irak, en Libye, en Syrie, la situation est bien pire que ce qu’elle était après les interventions des coalitions occidentales, au nom de “la démocratie” ou de la “légitime défense collective”.
  • Mise entre parenthèses du “projet européen” : il faut désormais avoir le courage de reconnaître qu’il s’agit là d’une utopie à 28 totalement incapable de nous protéger. Il ne semble pas que le danger de conflit vienne de l’Allemagne… Profitons de l’état d’urgence pour réfléchir aux contours d’un nouvel espace, en coordination avec les 13 nouvelles super-régions qui seront issues du vote en décembre.
  • Nécessité d’armer les policiers 24h/24.
  • Création en urgence d’un service militaire volontaire de trois mois, pour les femmes comme pour les hommes, afin d’acquérir une formation : lutte contre le terrorisme, techniques de combat, formation aux premiers secours.
  • Création d’un corps de volontaires, à l’issue de ce nouveau service militaire, avec mise à niveau, entraînement et formation réguliers, strictement encadré par l’armée.
  • Recours aux statistiques ethniques. Mémona Hintermann-Afféjee (fille d’immigrés et membre du CSA) a récemment relancé le débat dans le cadre de l’audiovisuel. Il est important en effet que la France à l’écran ressemble à la France tout court. J’étais initialement opposé à toute idée de quotas, mais il faut bien admettre qu’aujourd’hui on ne peut plus se contenter de discours ronflants sur l’idéal républicain, qui ne parlent qu’à l’homme blanc de plus de 50 ans, pour reprendre les propos de Delphine Ernotte. En fait, où est le problème lorsqu’il s’agit de compter ? Car, dans notre pays, il n’est pas question de droit du sang, il n’est pas question d’avoir une couleur de peau ou des caractéristiques particulières. Quand je vois une Rama Yade ou une Patricia Loison exercer des responsabilités de premier plan, je suis très fier d’être français ; il faut sortir du postulat classique, les personnes d’origines arabe, africaine, indienne, asiatique ou encore sud-américaine, doivent pouvoir s’identifier à des figures publiques : c’est comme ça (aussi) qu’elles aimeront la France, pas avec des slogans publicitaires creux, du style “La France, tu l’aimes ou tu la quittes”.

Ces pistes, je le sais bien, ne manqueront pas de faire grincer des dents. Mais, si la classe politique ne les met pas en œuvre, elles s’imposeront assez vite désormais, dans la violence, voire le chaos. N’oublions pas que, selon les estimations, 10 millions d'armes sont en circulation sur notre territoire, parmi lesquelles seulement 4 millions sont légalement détenues (chiffre officiel). D'après le ministère de l'Intérieur, il existe "en marge du marché légal [...] un important trafic en provenance des Etats de l'Union européenne (UE) et de pays tiers". Ce trafic dispose d’“arsenaux de guerre tombés aux mains de civils ou d'organisations mafieuses", notamment "à la suite de l’effondrement du bloc soviétique" et des guerres dans les Balkans. Or, une kalachnikov se négocie entre 250 et 3000 euros, selon son état. Enfin, 4 000 armes dites “de guerre” sont en circulation en France… et seules 175 d’entre elles ont pu être saisies l’année dernière.

Le hashtag #jesuischarlie paraît déjà si lointain et si décalé, quand sept personnes (seulement) sont capables de faire autant de victimes en plein cœur de la Ville Lumière, en plan Vigipirate renforcé, en si peu de temps. Il est déjà tard, il n’est pas trop tard, mais le changement c’est – vraiment – maintenant.

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