Après le succès inattendu d’Aqualast et une très longue tournée, l’immense (dans tous les sens du terme) Rover revient en grande forme. Enfonçant le clou d’un talent qui semble définitivement venu d’un autre monde par la grâce de la courbure musicale de l’espace-temps pop. Atterrissage ce vendredi à Feyzin.
Un colosse aux pieds d’argile. Ainsi était apparu Rover en 2012 avec son album Aqualast, véritable révélation venue de nulle part et encore moins attendue. Une claque délivrée par un jeune homme qu’une vie de fils d’expatriés avait trimballé aux quatre coins du monde, de New York (il était au lycée avec les Strokes), au Liban dont il fut expulsé.
Un colosse aux pieds d’argile car la puissance glam de sa musique, son ampleur pop, cachait mal une sensibilité à fleur de peau, pour ne pas dire un talon d’Achille (avec des pieds d’argile, c’est pas pratique, avouez). L’une de ces fêlures dont parle si bien Fitzgerald dans son texte ainsi titré, une sorte de zébrure de l’âme qui laisse passer des éclats de mélancolie se mêlant à la lumière.
Bowie et Bach revendiqués comme pères
Cela n’empêchait pas davantage l’évidence que les fulgurances de ce talent immédiatement comparé à David Bowie – son antithèse physique mais son père spirituel (avec Bach, dit-il). Il y avait là quelque chose de hors norme, dans cette personnalité et dans cette musique, que malgré sa propre maîtrise, indubitable, l’intéressé semblait avoir lui-même du mal à dompter. Si bien que, quand la fêlure devenait gouffre, la voix de Rover se transformait en trou noir, avalant tout sur son passage avec une puissance d’attraction qu’on ne peut par définition mesurer. Il fallait le voir d’ailleurs en concert se dépouiller, finir en nage, sans quitter le proverbial manteau, à tordre de sueur.
Mais il suffit parfois de prêter attention aux pochettes des disques d’un musicien pour mesurer son évolution intérieure. De la figure romantique en noir et blanc, poète maudit victorien au col remonté et au regard contrarié, Rover est passé avec Let It Glow à l’image warholienne d’un astre, d’une étoile qui s’assume enfin. Mais qui, s’il a évolué, n’a pas changé fondamentalement. On repense ainsi au look dont s’affuble, notamment avec ses lunettes fumées, David Bowie, son maître, dans le film L’Homme qui venait d’ailleurs. Cet “ailleurs”, bien sûr, c’était l’espace, Bowie, l’ex-Major Tom, y incarnant un extraterrestre.
Étrange étranger
Est-ce parce qu’il a passé sa vie à bouger que Rover (littéralement “vagabond” en anglais) semble toujours lui aussi venu d’ailleurs, tombé sur Terre comme on tombe du nid, entretenant un rapport extraterrestre à l’espace – l’espace dans tous les sens du terme –, au temps (une imprégnation 60s et surtout 70s) et à l’espace-temps qui lui confère une esthétique résolument rétro-futuriste ? L’un de ces “étrangers en pays étrange” (pour reprendre le titre d’un roman SF culte de Heinlein, citant lui-même le Moïse de l’Exode), à qui sa singularité confère des superpouvoirs – et une contrepartie de faiblesses kryptonitiques – en milieu terre à terre.
Car Rover est de ceux qui savent que, s’ils abusent de leur puissance, une puissance vécue comme une malédiction, ils peuvent détruire ce qui les entoure en un clin d’œil, à commencer par eux-mêmes : la force gravitationnelle fascinante d’un morceau comme Let It Glow, monument de space psychédélisme, est à cet égard absolument insensée – autrement dit, on ne peut se défaire de ce morceau, qui agit comme un aimant géant autant que comme un mangeur de cerveau, avec ses flûtes alien et sa basse space-rock.
De ceux qui de leur force herculéenne et parfois maladroite sont obligés de tirer grâce et douceur au prix de l’intelligence, de la sensibilité et de la maîtrise, colosses marchant sur des œufs qui ne sont autres que leurs chevilles. En tirant un sens de l’équilibre – donc du funambulisme – musical que beaucoup aimeraient avoir.
Rover – Vendredi 29 janvier à 20h30, à l’Épicerie Moderne.