Slow Joe 1
© Baghir

Slow Joe a rejoint Elvis

Le vieux crooner indien, celui qui chantait “du matin au soir depuis l’âge de cinq ans”, s’est tu, a-t-on appris hier. À l’automne 2014, nous l’avions rencontré à l’occasion de la sortie du deuxième album de Slow Joe & The Ginger Accident, avec Cédric de la Chapelle, le musicien lyonnais qui l’avait fait connaître en France. Nous republions cet entretien ci-dessous pour réentendre la voix de Slow Joe, gone mais pas vraiment lost.

Slow Joe © Baghir

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Slow Joe.

Entretien paru dans le n°738 de Lyon Capitale, en novembre 2014

De la rencontre improbable entre un jeune musicien lyonnais et un vieux crooner indien sérieusement sur le retour est né Slow Joe & the Ginger Accident : belle histoire, bel album, concerts renversants. Bref, un beau projet, dont la longévité restait à démontrer. C’est chose faite avec Lost for Love, deuxième album aux arrangements luxuriants. Rencontre à deux voix avec les intéressés, Cédric de la Chapelle et Slow Joe.

Lyon Capitale : Êtes-vous vous-mêmes surpris qu’après presque une demi-douzaine d’années et un buzz à double tranchant, Slow Joe & the Ginger Accident soit toujours là et sorte un deuxième album ?

Cédric de la Chapelle : Ça fait longtemps que tout ce qui arrive avec ce projet, avec Joe, je le prends comme un cadeau. Déjà, faire ce qu’on a fait sur le premier album, c’était beaucoup. Quand je suis en Inde et que je pense à ramener Joe en France, je suis loin d’imaginer ça. Quand, enfin, il vient en France et qu’on fait les Transmusicales, je suis déjà refait (rires). Quand il revient ensuite pour faire des dates à Paris, à Lyon et que Joe rencontre tous mes potes, ça dépasse mes espérances. En fait, je ne me suis jamais vraiment projeté plus loin.

La période compliquée a vraiment été 2007-2009 : je commençais à faire nos premières maquettes et, voyant la vie qu’il avait à Goa, parce qu’à l’époque il picolait sec, je me disais que je n’aurais le temps de rien. Avant cela, en quittant l’Inde, j’avais écrit la chanson Go Slow Joe et ça a vraiment été un grand chamboulement intérieur pour moi de me dire “Il n’y aura peut-être rien d’autre”.

Slow Joe & The Ginger Accident © Baghir

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Slow Joe & The Ginger Accident.

Aujourd’hui, même si l’on parle moins de notre rencontre, elle reste constitutive de notre musique, parce que Joe charrie en lui quelque chose de lourd, qui s’entend dans nos morceaux, et je crois qu’on est vraiment parvenus à sublimer ça. Lost for Love est un disque beaucoup plus biographique. Même si c’est quelque chose qu’on n’a pas intellectualisé.

On sent d’ailleurs qu’il y a davantage de lâcher prise sur cet album, une envie de voir plus grand, avec des arrangements très riches, très cinématographiques. On pense à Morricone, à John Barry, à Bollywood bien sûr...

Cédric : Sur le premier album, on cherchait à aller à l’essentiel. Pour être honnête, on manquait aussi de savoir-faire, j’ai appris énormément de choses : à mixer, à arranger. Là, on s’est clairement dit “On pète tout, tout le temps” et on s’est lâchés sur les arrangements. Ça peut paraître trop, mais ça marque clairement notre envie de bouffer le monde, d’en profiter. On s’est peut-être un peu décomplexés par rapport à ça.

Avec Joe, on a appris à se laisser aller, à s’oublier, à aller chercher les choses plus naturellement, parce qu’il a un rapport très simple, très direct à son art, il ne cherche pas. Quand il écrit ou chante, c’est pour panser des plaies, à ceci près qu’il n’a pas besoin d’aller s’acheter un couteau avant pour les rouvrir.

Joe, sur la première chanson de l’album, You Don’t Have to Tell Me, tu dis que tu ne chantes pas pour les autres mais pour toi...

Joe : Ça, c’est une certitude. Je chante du matin au soir depuis l’âge de 5 ans. J’ai toujours été obsédé par la musique, au point que mon père envoyait mon grand frère acheter des 78 tours pour me “nourrir”. Ça a commencé par Gene Autry, bien avant Bill Haley, Gene Vincent ou Elvis.

Tu as refusé plusieurs occasions de vivre de la musique. Aujourd’hui que c’est le cas, comment vis-tu, qui plus est à ton âge, avec les contraintes qui sont les tiennes ?

Joe (Il s’approche pour planter ses yeux dans les nôtres) : Tu sais, dans la vie, on peut toujours faire ce qu’on veut. Tou-jours ! Mais... parfois, tu dois faire les choses que tu es censé faire. Et alors il faut les faire le mieux possible. Pour moi, jusqu’ici tout va bien. Je n’ai jamais rien planifié. J’apprécie ce qui arrive, mais je ne me regarde pas. Souvent, après les concerts, on me demande “Comment ça s’est passé ? Est-ce que c’était bien ?” Mais je ne peux parler que pour moi-même... “Demandez au public, c’est à lui de répondre.”

Qu’est-ce que ça te fait de marcher dans les pas d’Elvis, ton idole ?

Joe : Je ne marche dans les pas de personne, à part les miens. Et surtout pas dans ceux d’Elvis, je n’essaierais même pas. Tu connais la phrase de John Lennon à propos d’Elvis ? [“Avant Elvis, il n’y avait rien”, NdlR]... C’est mon dieu, j’ai un respect infini pour lui. En 1957, en six jours, je suis allé voir sept fois son film Loving You.

Cédric, il y a quand même un paradoxe chez Joe, qui dit ne faire les choses que pour lui mais te confie ses cahiers de poésie alors que vous vous connaissez à peine, ou donne tout en concert, refusant d’annuler quand il est épuisé...

Cédric : Je pense qu’il y a chez lui la sensation qu’il a un talent à faire. Par contre, il n’a absolument aucune attente de retour. Un jour, il m’a dit : “Être connu, ça ne sert vraiment à rien. Gagner de l’argent, c’est utile, parce que tu peux en donner, le partager, acheter des choses mais, bah, c’est surtout plus de gens pour te casser les c...” (Rires.)

(On demande confirmation à Joe, qui ne parle pas français.) Tu penses que la gloire est inutile ?

Joe (Il coupe, dans un éclat de rire de son collègue) : Mais l’argent ne l’est pas. Tout le monde a besoin d’argent, qui pourrait dire le contraire ? Mais la gloire... Non seulement elle ne te rend pas meilleur, mais elle ne te donne même pas l’impression de te sentir meilleur. C’est tout.

Lost For Love – éd. Tôt ou Tard, 2014.
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