Brasserie Georges, 180 ans de bonne bière et bonne chère

La brasserie Georges, c’est l’un des repères de Lyon. Un monument indissociable de la ville. Plus ancien que le plus symbolique des signes majeurs lyonnais, l’inébranlable Fourvière. La Georges, c’est aussi l’un des plus vieux restaurants de France. “Bonne bière et bonne chère depuis 1836”. Un bastion alsacien au royaume de la quenelle.

Une salle de 700 m2 et pourtant pas le moindre pilier susceptible de troubler l'ordonnancement des lieux

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Une salle de 700 m2 et pourtant pas le moindre pilier susceptible de troubler l'ordonnancement des lieux

Pousser la porte de la Georges, c’est faire un saut dans l’histoire. La grande, celle qu’on apprend dans les manuels. Le temps ne semble plus avoir de prise sur cette caravelle Art déco dont la façade tire sur 42 mètres de long. Un roi, un empereur, trois guerres et quatre républiques s’y sont engouffrés. Imaginez un peu ! On y brasse de la bière depuis la monarchie de Juillet. Si on y fait bonne chère depuis 1836 – c’est écrit en énorme sur un pan de mur –, on y boit surtout de la bière ; la choucroute ne servant, à l’origine, qu’à éponger les quantités astronomiques de houblon et d’orge ingurgitées. D’après les livres de comptes, en 1860, la brasserie en écoule près de 3 000 hectolitres...

C’est la “déferlante Gambrinus” (le roi de la bière), comme on dit alors à Lyon, un raz-de-marée d’autant plus implacable que le phylloxéra ravage la vigne. À cette époque, Lyon compte une bonne trentaine de brasseurs, dont l’usine de la Georges, qui occupe la place de leader. Aujourd’hui, la brasserie a renoué avec son passé et produit sa propre bière.

Du chou au pays du gratton

plats brasserie Georges ()

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Quelques chiffres annuels : 78 tonnes de légumes, 68 de cochonaille, 48 de viande et volaille, 21 de poisson, 48 de choucroute

Mais, de l’Alsace, vient aussi la choucroute. Dès les années 1850, l’épouse du fondateur– Georges Hoffherr, dont l’imposant buste en bronze trône dans la grande salle – se plaint d’ailleurs dans son journal de bord que leur charcutier attitré n’arrive pas à suivre la cadence infernale de la Georges. Il faut dire que la maison du cours Verdun collectionne les superlatifs : 78 tonnes de légumes, 68 de cochonnailles (à Lyon, il était exclu de faire l’impasse sur les spécialités locales), 48 de viande et volaille, 21 de poisson et 48 de choucroute. “La choucroute, c’est un quart des plats. On vient d’abord à la brasserie Georges pour sa choucroute”, fait remarquer Gérarld Straga, le chef des cuisines, qui, on le sent au ton de sa voix, aimerait que les clients piochent un peu plus dans la carte : les petites lottes braisées, pommes grenaille, les œufs cocotte à la crème de whisky et leurs moules de bouchot, les brochettes de gigot d’agneau, le tian de légumes, la daube de noix de joue de bœuf et les pieds de veau au saint-joseph, etc. La choucroute... et l’omelette norvégienne ! Une institution dans l’institution. La plus grosse vente de desserts : mille par semaine.

Une mécanique bien huilée

Le chef de cuisine donne alors ses ordres par micro aux 20 cuisiniers de métier, assistés de 3 sous-chefs. “C’est une véritable ingénierie qui fonctionne à flux tendu, confirme Jacky Gallmann, le directeur.

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Le chef de cuisine donne alors ses ordres par micro aux 20 cuisiniers de métier, assistés de 3 sous-chefs. “C’est une véritable ingénierie qui fonctionne à flux tendu, confirme Jacky Gallmann, le directeur.

La brasserie Georges, c’est une machine complexe, une mécanique huilée aux petits oignons. “Il ne suffit pas d’avoir une Rolls, aime à dire Christian Lameloise, l’actuel propriétaire. Encore faut-il un bon moteur.” Car, pour servir, en temps et en heure, près d’un millier de personnes tous les jours de l’année (la brasserie ne ferme jamais), la machine ne peut pas s’enrayer. Tout est millimétré. Chacun a un rôle bien précis, un poste qu’il faut tenir. Les 25 chefs de rang gèrent un carré de huit à dix tables. Les 11 maîtres d’hôtel épaulent 2 chefs de rang. Deux adjoints de direction supervisent le tout. Et un directeur général chapeaute l’ensemble. Les commandes sont envoyées par informatique en cuisine. Le chef de cuisine donne alors ses ordres par micro aux 20 cuisiniers de métier, assistés de 3 sous-chefs. “C’est une véritable ingénierie qui fonctionne à flux tendu, confirme Jacky Gallmann, le directeur. Le temps que les cuisines se rendent compte qu’un plat va manquer, on en a déjà vendu une cinquantaine en salle...”

Les gros jours (Fête des lumières, 8 mai), la Georges peut être livrée deux fois par jour. Les mètres cubes de riesling “vieilles vignes” du domaine Schaeffler-Woerly sont acheminés de Dambach-la-Ville, les kilomètres de saucisses envoyés par le roi Bobosse Ier, les palettes de chou râpé fermenté – “cuit sur place” – débarquent directement du petit village de Krautergersheim, dans le Bas-Rhin, dont le nom signifie à quelque chose près “chou-ville” (kraut veut dire chou, en alémanique).

L’âme de la Georges

affiche brasserie Georges ()

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Ça, c’est pour les coulisses. Côté scène, la Georges est un théâtre, un spectacle permanent. “On est toujours en représentation”, souscrit Philippe Roux, l’un des maîtres d’hôtel – dont le jumeau est aussi maître d’hôtel... à la Georges. Il y a l’homme-orchestre, Jacky Gallmann, alsacien et fils d’aubergiste, ça ne s’invente pas. Puis le ballet des serveurs, nœud pap’ noir sur chemise blanche, gilet sombre sur tablier immaculé. Impeccables, virevoltant de table en table, leur énorme plateau de choucroute tenu d’une seule main et bien calé sur l’épaule. Il y a aussi ce brouhaha ininterrompu, cette immense et joyeuse clameur qui jaillit d’un peu partout. Quand ce n’est pas toute la salle qui applaudit et commente les éclats sonores de l’orgue de Barbarie qui entonne Le Poinçonneur des lilas, La Vie en rose ou Je m’voyais déjà en haut de l’affiche.

Entrer dans la Georges, c’est sentir battre le pouls de la ville. “Une véritable ruche humaine”, savoure Christian Lameloise, surplombée par un plafond – “œuvre d’art unique au monde”– d’une seule portée, soutenu uniquement par quatre immenses poutres en sapin de 25 mètres de long (transportées, à l’époque, depuis la Chartreuse et le Vercors sur des chariots traînés par six paires de bœufs).

Pourtant, la Georges a bien failli y laisser un jarret, quand fut inauguré le tunnel de Fourvière. C’était le 8 décembre 1971. Rien n’y a fait. La Georges, 178 ans, est toujours fringante. Jules Verne, Verlaine, Sartre, Mistinguett, Ernest Hemingway, Louison Bobet ont toujours leur place attitrée avec leur plaque de cuivre rivée sur les banquettes en moleskine rouge. L’air du temps, hors du temps. “Garçon, une royale et une pils, s’il vous plaît !”

Pour fêter ses 180 ans, du 18 mai au 18 novembre, la brasserie Georges tire au sort chaque jour un client qui repartira avec un cadeau

La brasserie Georges
30 cours de Verdun, Lyon 2e
04 72 56 54 54
www.brasseriegeorges.com

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