Denis Tillinac : “La droite a perdu son âme”

“Être de droite, c’est une sentimentalité, un imaginaire”, confie Denis Tillinac dans un entretien à Lyon Capitale. Le journaliste de Valeurs actuelles appelle dans son dernier livre, L’Âme française, à une renaissance de la droite politique.

Lyon Capitale : Quelle est votre vision de la droite ?

Denis Tillinac : La droite devrait être un système de références et de valeurs susceptibles de proposer une véritable alternative politique, après un demi-siècle de domination de la pensée soixante-huitarde. Cette alternative doit être adossée à des valeurs : le sens de la mémoire et de la transmission, un patriotisme assumé, la revendication d'un héritage culturel, spirituel, politique qui est le nôtre depuis tantôt seize siècles. Cet ensemble serait susceptible de donner un sens à des propositions formulées par les hommes de parti.

Comment décririez-vous la droite d'aujourd'hui ?

Elle a commis un déni de mémoire historique. Il y a au moins deux droites, en gros la bonapartiste et l'orléaniste. En les fusionnant dans Les Républicains, elle a perdu son âme, alors qu'il devrait y avoir au moins deux partis. Cette bévue historique explique beaucoup de chamailleries à l'intérieur de ce parti où les différentes sensibilités ne sont pas représentées. La deuxième erreur est de s'adonner à une primaire, procédé d'inspiration américaine, qui a transité par l'Italie avant d'être utilisé par la gauche, sans qu'il fût prouvé que la personne qui ressortait de ces primaires était la plus à même de gouverner le pays.

Le libéralisme économique est-il compatible avec votre vision de la droite ?

Il y a un certain nombre de réformes de bon sens. D'abord, cesser de faire porter le fardeau de notre lâcheté sur le dos de nos enfants et petits-enfants [D. Tillinac fait ici référence à la dette financière, ndlr]. Il faut aussi en finir avec la bureaucratie étatique, un Code du travail qui empêche d'embaucher, repenser l'assistanat pour qu'il y ait moins d'effets pervers. Globalement, il faut décongestionner les différents rouages. Ceci dit, il faut protéger les faibles, protéger les Français dans un environnement qui est celui du capitalisme mondialisé. Le libéralisme n'est qu'une famille politique parmi toutes celles de la droite, et je ne suis pas sûr qu'il corresponde au tempérament des Français. En tout cas, une politique strictement libérale mettrait assez rapidement les gens dans la rue et ferait perdre au pouvoir sa légitimité. L'ultralibéralisme n'est ni de droite ni de gauche, il est destructeur d'identité et de morale. Il faut protéger les faibles des effets d'une mondialisation qui bouleverse le marché international du travail, et qui avec le court-termisme actuel met la planète à feu et à sang.

Vous êtes donc en faveur d'un certain protectionnisme ?

Quand il le faut, pourquoi pas ? Et surtout, il faut sortir du carcan européen.

Le FN ne serait-il pas dans ce cas le parti qui se rapproche le plus de votre vision de la droite ?

Pas du tout. Il peut y avoir des points d'accord ponctuels, par exemple sur la volonté de renouer avec une certaine souveraineté économique, politique, monétaire. Mais le programme économique du FN, c'est celui des communistes des années 70. On voit une stigmatisation systématique de l'étranger, de l'immigré, qui ne fait que mettre de l'huile sur un feu qui ne demande qu'à prendre. Les Français ont besoin d'être apaisés, d'avoir des relations plus fraternelles, ce qui ne veut pas dire que la question des flux migratoires n'existe pas.

Et puis le ni-ni de Mme Le Pen et de M. Philippot, qui disent qu'il y a pas de droite ni de gauche, comme M. Macron, c'est le contraire de ce que j'ai écrit dans mon livre. Le clivage droite-gauche est fondateur de la personnalité particulière de la politique française depuis deux siècles et demi. Il peut se déplacer, par exemple, sur la question de la souveraineté, Mme Le Pen et M. Mélenchon peuvent se retrouver, ainsi qu'un souverainiste gaulliste comme Dupont-Aignan. Pourtant, il y a deux manières d'aborder la vie dans la cité, d'aborder son propre destin, qui correspondent à deux sensibilités bien distinctes au fil de l'histoire, solidifiées après la révolution française. Ça existe, la droite et la gauche. Et si les sociaux-libéraux du PS et libéraux-sociaux des Républicains gouvernaient ensemble, dans une espèce de pré carré entre énarques, on aurait une extrême droite à 40 %, une extrême gauche à 30 % et une guerre civile dans les cinq ans.

Faut-il un renouvellement de la classe politique ?

C'est le moins qu'on puisse dire. Tout le monde est d'accord là-dessus, même les intéressés. Ils essayent de se renouveler eux-mêmes, ils ont un peu de mal. Ils ont une approche technocratique, juridique, ils ne nous parlent que d'économie. Pensez quand même que le slogan du candidat Sarkozy en 2012 [en 2007, ndlr], c'était “Travailler plus pour gagner plus”. On doit avoir autre chose à proposer à la jeunesse que de lui dire qu'il n'y a que le pognon comme critère d'éminence sociale. Alors, évidemment, quand le système médiatique lui propose Ibrahimovic ou Ronaldo, des analphabètes, comme idoles, ce n'est pas très encourageant. À droite, il faudrait quelqu'un qui contesterait cette vénalité, ce matérialisme imbécile.

Voyez-vous quelqu'un qui pourrait faire ça aujourd'hui ?

Si je l'avais vu, je me serais engagé à ses côtés en politique pour la première fois de ma vie ! Mais on a le droit d'espérer… J'en ai connu un dans le passé, il est mort quand j'étais encore étudiant : le général de Gaulle, ma seule référence stable en politique.

Dans votre livre, vous dites que la droite n'a pas cultivé sa mémoire, qu'elle manque de références…

J'ai pris acte du fait que la gauche a une culture très profondément enracinée dans l'histoire de la France moderne, avec de grands ancêtres, des lieux symboliques, des rituels, une liturgie. La droite en a une aussi, tout aussi respectable, mais elle ne le sait pas. On comprend pourquoi un jeune, à 18-20 ans, peut s'exalter et devenir de gauche en regardant un poster de Che Guevara, ou en évoquant la mémoire de Jaurès ou de Gambetta. À droite aussi il y a ça. Donc j'ai voulu donner à la droite, surtout aux jeunes, une raison d'être fiers de ce sentiment. Parce qu'être de droite c'est une sentimentalité, un imaginaire qu'on ne sait pas trop définir. Si on va sur de simples idées, les gens qui se revendiquent de droite se chamailleront toujours. À gauche, il y a une dimension idéologique collective, à droite on a une approche beaucoup plus tragique et privée, intime, du destin de chacun. C'est pour ça qu'on a envie de le faire protéger par sa famille, par sa patrie, par quelques invariants sans lesquels on peut devenir fou.

Croyez-vous en une droite européenne ?

Il y en a une. Le peuple de droite est très foncièrement souverainiste, mais les élites ne le sont pas, c'est pour ça qu'il y a ce hiatus. C'est pour ça que les types foutent le camp au FN, ou à la marge chez Dupont-Aignan, pour qui j'ai voté aux dernières régionales. Et il n'est pas exclu que je vote à nouveau pour lui aux présidentielles.

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