Nathalie Arthaud : "Ces attentats m'ont armée pour affronter la suite"

Il y a un an, la Lyonnaise Nathalie Arthaud, porte parole du mouvement Lutte Ouvrière et candidate à la présidentielle en 2017 tenait un meeting à la Mutualité à Paris. Ce vendredi 13 novembre 2015, peu avant la série d’attentats qui ont frappé Paris et sa banlieue, elle y fustigeait "l’impérialisme des grandes puissances" qui conduit à "la déstabilisation d’États entiers". Avant de libérer ses troupes dans un Paris à sang. Retour sur ces événements.

Lyon Capitale : À quel moment avez-vous appris ce qu’il se passait dans Paris et au Stade de France ?

Nathalie Arthaud : Lorsque j’ai commencé mon exposé vers 21h30, nous n’étions au courant de rien. Ce n’est que vers la fin du meeting, aux alentours des 22h30, que des camarades m’ont alerté qu’il y avait des fusillades. Quand je suis sortie, après tout le monde, il y avait encore plusieurs centaines de gens qui discutaient devant la Mutualité sans visiblement être au courant des massacres perpétrés. Ce n’est vraiment que vers 23h30, dans la voiture qui me ramenait en banlieue, que j’ai commencé à prendre la mesure des choses.

Quel a été votre sentiment face à l’ampleur de ces événements ?

À ce moment là, je revis ce qui s’est passé en janvier avec Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher. Ces attentats m’ont, quelque part, armée pour affronter la suite.

Comment aviez-vous justement vécu ces attentats de janvier ?

J’ai appris les événements de Charlie Hebdo alors que j’étais au lycée, à la pause du midi. Ça a été la consternation. Je me suis sentie d’autant plus attaquée que nous connaissions un peu l’équipe, que Charb nous envoyait des dessins. Spontanément, avec des collègues, nous avons eu envie de nous rassembler. Nous nous sommes retrouvés des milliers et des milliers au rassemblement informel de la place de la République. Il y avait une émotion immense, très très loin de l’instrumentalisation politique qui a suivi, notamment la marche du 11 janvier avec cette brochette de dictateurs, Netanyahu, un certain nombre de dictateurs africains aux côtés de Hollande, Sarkozy, Merkel… Nous n’avions évidemment pas appelé à cette manifestation et n’y étions pas allés. Notre peine immense n’avait pas besoin de passer par Hollande et l’État Français pour s’exprimer.

Vous faites un parallèle entre ces deux périodes, celle de janvier et celle postérieure au 13 novembre ?

Après les événements de janvier, on prend conscience de l’engrenage dans lequel on est où finalement le terrorisme est l’écho des guerres, où les guerres alimentent le terrorisme et ainsi de suite. Cet engrenage où y compris une fracture se cristallise dans la population avec une volonté, du côté des fanatiques intégristes, des racistes et du Front National de creuser un fossé au cœur de la population et finalement de parier sur le développement du communautarisme. Car, au bout du compte, ce sont eux qui le créé le communautarisme.

État d’urgence, déchéance de nationalité… Comment analysez-vous les réponses immédiates apportées par le gouvernement ?

J’ai accueilli ces mesures sans étonnement. Ce n’est que la suite logique de la politique mise en place en janvier. On est armés politiquement, émotionnellement un peu aussi. C’est une expérience qui est là, finalement. Mais en même temps, on ne peut jamais s’imaginer jusqu’où ira l’horreur et à chaque fois on est quand même saisi d’effroi, on est saisi d’horreur. Je pense au Bataclan et à ce qui s’est passé à Nice cet été. On ne peut jamais imaginer cet inimaginable qui nous tombe dessus.

"Nous ne voyons pas d’issue sans renverser cette organisation impérialiste du monde"

Voyez-vous une porte de sortie à cette ère terroriste ?

Je pense que ce terrorisme, ces guerres, toutes ces manœuvres qu’il y a aujourd’hui au Moyen-Orient, vont de paire avec une crise de la société, une crise de l’économie capitaliste qui a aggravé la concurrence internationale, la situation dans de très nombreux pays, une misère plus grande, un chaos, la déstabilisation d’États entiers, des zones de plus en plus importantes livrées à des bandes armées. Cette situation est le résultat de la politique impérialiste des grandes puissances qui pratiquent la fuite en avant. Quand on regarde comment en Syrie aujourd’hui elles sont prêtes à réhabiliter Bachar El Assad, on réalise que la situation leur échappe totalement. Leurs actions ne peuvent provoquer que de nouvelles violences sur le long terme. Nous nous enfonçons dans ces guerres et dans ce terrorisme, et ce sera le cas tant que ce monde sera dirigé par des objectifs impérialistes, c’est à dire des objectifs de pillage, des jeux d’influence économiques, politiques qui sont étrangers aux intérêts des peuples, à ce qui serait nécessaire aux populations.

Compte-tenu de l’émotion qui semble submerger les Français après chaque attentat, pensez-vous que votre discours soit audible ?

Même si l’émotion submerge, ce qui ne facilite pas la prise de recul politique nécessaire, je pense que beaucoup de Français prennent la mesure de la situation. La guerre contre le terrorisme a commencé en 2001. Au bout du compte, on se rend compte qu’on a fait qu’aggraver la situation. En janvier, bien sûr, Hollande a instrumentalisé l’émotion pour nous entraîner derrière sa politique. C’est ce que signifie l’union nationale. Mais cette politique nous la combattons d’autant plus que nous sommes convaincus que c’est cette politique qui renforce, qui conforte le chaos au Moyen Orient et qui fait prospérer des bandes de djihadistes et de terroristes d’obédience diverses et variées. Ces grandes puissances sont comme des magiciens qui ont déchaîné des forces qui leur échappent complètement. Nous ne voyons pas d’issue sans renverser cette organisation impérialiste du monde.

Ces événements ont-ils changé votre façon de vivre ?

Non, pas du tout. Je vis en Seine-Saint-Denis, je viens très régulièrement sur Paris en transport en commun et ça n’a rien changé pour moi.

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