Guignol à Lyon : Collomb chasse les Zonzons de leur théâtre

Suite à la tribune envoyée par Denis Trouxe, l’ancien adjoint à la culture de Raymond Barre, annonçant la fin de Guignol à Lyon, nous avons contacté la compagnie Les Zonzons. Et les avons rencontrés dans le théâtre du 5e arrondissement où ils font vivre depuis 1998 la célèbre marionnette qui est née à Lyon.

Dans le Vieux-Lyon, en bas des marches qui mènent à la salle de spectacle et au milieu de centaines de marionnettes, Stéphanie Lefort, la directrice des Zonzons, et Filip Auchère, le directeur artistique, nous ont expliqué les raisons du départ de la compagnie : “Comme toute compagnie, on a une convention avec la ville, qui nous lie depuis 1998 et qui est renouvelée depuis trois ans. Notre convention arrive à terme le 31 décembre prochain. Mais rien ne nous a été proposé.” La troupe cherche pourtant à contacter la municipalité depuis de nombreux mois. En vain.

Finalement, le directeur des affaires culturelles de la Ville leur a dit “qu’ils pouvaient nous prolonger de six mois puis qu’il y aurait un appel d’offres après pour engager une nouvelle compagnie. Mais pour nous les six premiers mois de l’année ne sont pas les meilleurs. Actuellement, le théâtre est à l’équilibre, mais si on avait accepté, on serait partis en déficit. Et il n’en était pas question. On voulait partir la tête haute, avec un théâtre qui marche bien”.

“Tout simplement du mépris”

S’il existe d’autres lieux où Guignol est joué à Lyon, les Zonzons sont les seuls à le faire dans un théâtre public et de façon professionnelle. Une activité qui dure depuis 1998, date de leur installation. Pourtant, partir ne leur fait pas peur : “On a plein de projets dans l’océan Indien : à Madagascar, la Réunion, Mayotte. Donc, pour nous, il ne s’agit pas de parler de notre avenir ou de contester notre départ, qui est somme toute normal, puisque l’on est là depuis dix-huit ans.” C’est la manière de faire de la ville qu’ils critiquent : “On ne comprend pas pourquoi on nous traite comme ça. C’est tout simplement du mépris. Alors que la seule chose que l’on souhaitait, c’était de faire le passage de témoin. On aurait aimé faire partager notre expérience aux nouveaux. Si on nous avait dit “On vous re-signe pour trois ans le temps d’assurer la transition avec la nouvelle compagnie”, on aurait signé tout de suite.”

On s’est dit que [le maire] avait du temps puisqu’il est un week-end sur deux au Parc OL”

En réaction, ils ont demandé un rendez-vous avec Gérard Collomb. “On s’est dit qu’il avait du temps puisqu’il est un week-end sur deux au Parc OL”, ironise Filip Auchère. Rendez-vous qui est resté lettre morte.

C’est incompréhensible, parce que ça fait vingt ans que l’on valorise sa ville dans le monde, regrette le directeur artistique. Guignol est reconnu partout. Depuis des années, on voyage aux États-Unis, en Amérique du Sud, en Chine, à Taïwan, en Afrique. Guignol est dans le dictionnaire des noms communs. En Amérique du Sud, le mot “guignol” est celui qui définit le mot marionnette. La figure du petit prolo qui dénonce tout haut ce que tout le monde pense tout bas est universelle. Tous les pays nous veulent, il n’y a que la Ville de Lyon qui ne le voit pas. C’est même pire que ça, ils ne nous croient pas. Mais c’est logique, puisqu’ils n’expertisent pas ce qu’ils font de l’argent public.”

Depuis dix-huit ans, les Zonzons ont vu les méthodes de la municipalité changer. “Il fut un temps où Guignol faisait partie de l’ordre du jour au conseil municipal, au même titre que l’opéra, mais plus aujourd’hui. Ces petites marionnettes ne sont plus assez bien pour la ville”, relèvent-ils.

Pas de Guignol à Noël ?

Faute de réponse, le théâtre fermera le 31 décembre prochain. Peut-être même avant, la Ville imposant à la compagnie un agent de sécurité incendie à chaque représentation – “chose dont on n’a pas les moyens, explique Filip Auchère. S’ils nous l’imposent, on n’ouvrira pas à Noël”. Dans les coulisses, entourés de marionnettes et de décors, les Zonzons vivent tout de même avec nostalgie leurs derniers moments et restent fiers de leur parcours : “Chaque année, on reçoit entre 16 000 et 24 000 personnes, soit environ 308 000 spectateurs depuis le début. On a créé 54 spectacles et accueilli 230 compagnies. Le tout dans un petit théâtre de 130 places.”

Il faut dire que Guignol colle à la peau de la ville. “Ici, il y a beaucoup de gens de passage, mais il y a surtout une base lyonnaise. Dans la ville, venir voir Guignol est un rituel. Ce n’est pas possible pour un Lyonnais d’avoir des enfants qui ne connaissent pas Guignol”, raconte Filip Auchère.

Si ce dernier a “baissé les bras” – il a arrêté de jouer depuis plus d’un an –, ces marionnettes lui manqueront. Derrière le castelet, le regard brillant, le bras dans la jupe, il les manipule avec toujours autant d’émerveillement : “Certaines ont 120 ans. Elles portent l’ADN des Mourguet [les inventeurs de Guignol, NdlR] qui ont joué avec. Ce qui est encore plus beau, c’est qu’un enfant qui vient au spectacle aujourd’hui voit la même marionnette que ses parents et ses grands-parents avant lui.”

Sans visibilité sur le repreneur, Guignol pourrait-il disparaître de Lyon ? Non, répond Stéphanie Lefort, “c’est la fin des Zonzons, mais pas celle de Guignol”. Pourtant, sans passage de témoin entre compagnies, ce sera difficile pour les suivants, selon elle : “À part les marionnettes, qui appartiennent à la ville, tout le matériel appartient à la compagnie. Donc nos successeurs vont se retrouver avec une coquille vide. D’ailleurs, la municipalité projette de remettre ces marionnettes au musée Gadagne et il n’y a rien de pire qui puisse arriver à Guignol que d’être muséifié.”

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