Emmanuel Macron Gerland caméras © Tim
© Tim Douet

Emmanuel Macron, créature “en marche” d’un système à bout de souffle

Emmanuel Macron est présenté par beaucoup de médias comme le candidat “antisystème”. Alors qu’il est le cœur du réacteur. Il m’a donc paru utile – et urgent – d’analyser les processus de fabrication d’une telle illusion et de révéler : qui est vraiment le candidat Macron, qui l’aide (dans l’ombre ou dans la lumière) à conquérir le pouvoir suprême et pour quelles raisons.

Propos liminaires – Le candidat des médias parisiens

“Prenez un cercle, caressez-le, il deviendra vicieux”, écrivait le grand Ionesco. Je relisais justement La Fabrication du consentement – De la propagande médiatique en démocratie, de Noam Chomsky et Edward Herman : immédiatement, m’est apparue l’image subliminale d’Emmanuel Macron, dont de nombreux médias (L’Express, RMC, BFM, Le Monde, pour n’en citer que quelques-uns) vantent les mérites à longueur de journées, de semaines et de couvertures, dans des proportions rarement atteintes sous la Ve République ; un véritable bourrage de crâne, non remboursé par la Sécu. Prière de partager le point de vue sous peine d’être taxé de réactionnaire.

Ce qui m’a aussi vivement interpellé, c’est de retrouver les mêmes réseaux et les mêmes soutiens que ceux à l’œuvre dans Numéro 23, cette vaste escroquerie de la TNT pour laquelle le parquet national financier a ouvert une enquête préliminaire et l’Assemblée nationale produit, via une commission d’enquête, un rapport d’une sévérité inédite. On peut en effet superposer lesdits réseaux, ça ne déborde qu’à la marge et ça se recoupe largement. J’y reviendrai en détail dans de prochains articles : on est plus proche du renvoi d’ascenseur que de l’intérêt général.

Pourtant, Emmanuel Macron est présenté par ces différents médias – différents, vraiment ? – comme “le candidat antisystème”, alors qu’il est le cœur du réacteur. Il m’est apparu utile – et urgent – d’analyser les processus de fabrication d’une telle illusion et de révéler qui est vraiment le candidat Macron, qui l’aide (dans l’ombre ou dans la lumière) à conquérir le pouvoir suprême et pour quelles raisons.

Charité bien ordonnée

Intéressons-nous pour commencer aux aides (colossales) apportées à la presse écrite (je précise d’emblée qu’aucune des publications dont j’ai la charge n’a jamais reçu le moindre centime de subvention et refuse l’argent des publicités vantant les mérites des collectivités locales, quelle que soit la couleur politique de ces dernières).

Les montants des subventions versées aux journaux ont été publiés par le ministère de la Culture fin 2016. Voici le quatuor de tête pour les aides versées en 2015, dont l’ordre est défini en fonction du montant total de l’aide (400 millions d’euros par an !) :

Aujourd’hui en France (Bernard Arnault)

– Montant de l’aide : 7 770 562 euros
– Aide par exemplaire : 0,15 euro

Libération (Patrick Drahi et Bruno Ledoux)

– Montant de l’aide : 6 499 414 euros
– Aide par exemplaire : 0,23 euro

Le Figaro (Serge Dassault)

– Montant de l’aide : 6 456 112 euros
– Aide par exemplaire : 0,07 euro

Le Monde (Pierre Bergé, Xavier Niel, Matthieu Pigasse)

– Montant de l’aide : 5 438 216 euros
– Aide par exemplaire : 0,06 euro

Ce sont déjà plus de 26 millions d’euros d’argent public que se partagent chaque année ces quatre publications, dont les actionnaires sont, c’est bien connu, dans le besoin. Cela vous étonne ? Vous n’êtes pas au bout de vos surprises !

Dans La Fabrication du consentement, les auteurs proposent une modélisation de la propagande qui repose sur l’identification de cinq filtres : 1°) la taille, l’actionnariat, l’orientation lucrative ; 2°) la régulation par la publicité ; 3°) les sources d’information ; 4°) les contrefeux et les autres moyens de pression ; 5°) l’anticommunisme.

“Afin de renforcer leur prédominance comme sources d’information, écrivent Herman et Chomsky, les fabricants gouvernementaux et commerciaux d’information se donnent beaucoup de peine pour faciliter la vie des médias. Ils mettent à leur disposition des locaux, font parvenir à l’avance aux journalistes les textes des discours et des rapports, ajustent les horaires des conférences de presse en fonction des délais de bouclage ; rédigent leurs communiqués dans un langage qui peut être facilement repris ; veillent à la mise en scène de leurs conférences de presse et de leurs séances photo. C’est le travail des chargés de communication que de répondre aux besoins et à la temporalité journalistique en leur livrant un matériel préparé clés en main par leurs services. Dans les faits, les grandes bureaucraties des puissants subventionnent les médias et s’y assurent un accès privilégié en réduisant les coûts des nouvelles brutes et de production de l’information. Elles deviennent ainsi des sources d’information “de routine” et ont libre accès aux médias tandis que les autres sources doivent se battre pour obtenir un accès et peuvent être ignorées pour cause d’arbitraire des gate-keepers [portiers de l’information].”

La manipulation de l’opinion publique

L’histoire est donc en marche, le “storytelling” en place, la machine emballée. Ainsi, le 28 janvier, soit deux jours après l’édito signé par le directeur du Monde, Jérôme Fenoglio – que je connais de longue date et dont je puis ici témoigner de la parfaite sincérité –, Pierre Bergé apportait, via Twitter, son “soutien sans la moindre restriction à Emmanuel Macron pour être le président qui nous conduira vers une social-démocratie”. Quarante-huit heures plus tôt, Fenoglio écrivait pourtant : Le Monde vient d’ouvrir un nouveau chapitre de son indépendance éditoriale. (…) Aux peurs, aux rumeurs, aux mensonges, à la raison d’État, au “storytelling” elle oppose une pratique professionnelle, un savoir-faire indispensable pour permettre au public d’accéder rapidement à des informations impartiales, fiables, approfondies et mises en perspective.” Pas facile d’avoir un actionnaire à la hauteur de son exigence et de l’exigence de ses lecteurs.

Quand le système d’aides publiques subventionne dans de telles proportions des médias de premier plan… qui à leur tour soutiennent un candidat prétendument “antisystème” avec autant d’ardeur et si peu de précautions, n’est-on pas déjà dans la manipulation de l’opinion publique ? La réponse est bien sûr évidente. Entendons-nous bien : que des “patrons” de médias s’engagent pour tel ou tel candidat ne me choque pas en soi. Ce qui pose véritablement problème, c’est de s’engager en se prétendant “indépendant” et “objectif”, surtout après avoir été littéralement gavé de subventions publiques – c’est-à-dire d’un patrimoine qui appartient à tous les Français.

Comme le disait un syndicaliste à l’un de mes amis, patron d’une grande entreprise dans le secteur privé, qui a toujours tout cautionné personnellement : “Vous jetez parfois l’argent par les fenêtres, mais le jardin est à vous.” Or, la contrepartie de la manne de l’argent public, dans une démocratie digne de ce nom, est au minimum la transparence, et ce à tous les étages. En ce qui me concerne, je suis assez grand pour voter tout seul et me forger ma propre opinion : merci, Monsieur Bergé, vous pouvez garder notre argent et vos conseils.

Ce qui pose également problème, c’est de se prononcer pour un candidat a priori, sans que l’on sache véritablement quel est son programme – ni même les grandes orientations qu’il propose – sur l’emploi, la sécurité, le terrorisme, la justice, la santé, l’éducation nationale, l’Europe… Emmanuel Macron – que j’ai moi-même rencontré il y a quelques jours – est certes fort sympathique, très souriant, sans aucune aspérité, il est “en marche”. Vers quoi ? Nul ne le sait à ce jour.

Comme l’a dit avec humour Jean d’Ormesson, “Macron, c’est le grand flou. Entre l’électeur de droite et l’électeur de gauche qui votent pour Macron, l’un des deux, forcément, sera cocu, mais toute l’intelligence de Macron est de faire croire à l’un que ce sera l’autre et inversement”. Il est par conséquent utile, faute de mieux, de rappeler ici les 20 propositions “choc” de la commission Attali, dont Emmanuel Macron était le rapporteur zélé :

1) Encourager la mobilité géographique et la mobilité internationale

Le rapport préconisait le recours à l’immigration dans des secteurs en tension (bâtiment, commerce, industrie lourde, hôtellerie et restauration) mais aussi dans le domaine de la recherche.

2) Renforcer les régions et les intercommunalités en faisant progressivement disparaître en 10 ans l’échelon départemental
3) Réduire le coût du travail pour toutes les entreprises en transférant une partie des cotisations sociales vers la contribution sociale généralisée (CSG) et la TVA
4) Ouvrir très largement les professions réglementées à la concurrence
5) Laisser à tout salarié le libre choix de poursuivre une activité sans aucune limite d’âge (…) en bénéficiant, à compter de 65 ans, d’une augmentation de sa retraite, en levant tous les obstacles aux cumuls emploi-retraite et en supprimant tous les dispositifs de préretraite
6) Sécuriser la rupture amiable du contrat de travail
7) Aider les commerçants et les fournisseurs indépendants à prendre part efficacement à la concurrence tout en restaurant complètement la liberté des prix et de l’installation de tous les acteurs de la distribution, de l’hôtellerie et du cinéma
8) Mettre en chantier dix “Ecopolis”, villes et quartiers d’au moins 50 000 habitants intégrant technologies vertes et technologies de communication
9) Constituer 10 grands pôles d’enseignement supérieur et de recherche autour de 10 campus, réels et virtuels
10) Réduire les délais de paiement des PME par l’État et par les grandes entreprises à un mois (…) et à dix jours pour la TVA, et instituer un statut fiscal simplifié pour les entreprises qui réalisent moins de 50 000 euros de chiffre d’affaires
11) Renvoyer l’essentiel des décisions sociales à la négociation en modernisant les règles de représentativité et de financement des organisations syndicales et patronales
12) Mettre en place les infrastructures nécessaires (ports, aéroports, place financière) et accroître l’offre et la qualité de logement social
13) Se donner les moyens que tout élève maîtrise avant la fin de la sixième le français, la lecture, l’écriture, le calcul, l’anglais, le travail de groupe et l’informatique
14) Redonner à la France tous les moyens (dont ceux de la recherche) pour prendre une place de premier rang dans les secteurs d’avenir : numérique, santé, écologie, tourisme, solaire, pile à combustible, biotechnologie, nanotechnologie, neurosciences
15) Entreprendre dès maintenant la mise en place du très haut débit pour tous, à domicile, dans l’espace numérique de travail et dans l’administration
16) Créer une agence guidant dans un premier temps les TPE/PME de moins de 20 salariés dans toutes leurs démarches administratives
17) Mobiliser tous les acteurs de l’emploi des jeunes et imposer à toutes les entreprises et collectivités publiques de présenter chaque année un bilan de la diversité par âge, par sexe et par origine
18) Considérer la formation de tous les chercheurs d’emploi comme une activité nécessitant rémunération sous forme d’un contrat d’évolution
19) Créer des agences pour les principaux services au public et faire évaluer tout service public (école, université, hôpital, administration) par des organismes indépendants

Les directeurs de ces agences seront désignés par le gouvernement.

20) Réduire dès 2008 la part des dépenses publiques dans le PIB. Cette réduction devra atteindre 1% du PIB à partir de 2009, soit 20 milliards d’euros de réduction (…) par an pendant 5 ans

Cet inventaire se passe de commentaire. Je vous laisse le soin de cocher le peu qui a déjà été réalisé par Emmanuel Macron et tout ce qui lui reste à accomplir, sauf si depuis cette époque il a changé d’avis. Après tout, il ne se revendique “ni de droite ni de gauche”, sorte de Le Pen light rétroversé et attrape-tout qui ne se définit que par ce qu’il n’est pas, de peur de faire fuir les électeurs qui pourraient deviner ce qu’il est.

Quant au financement de ce catalogue d’intentions, la presse subventionnée nous fournira sans aucun doute le mode d’emploi, “sans la moindre restriction”, pour que son champion nous conduise en chantant “vers une social-démocratie” forcément radieuse. À moins que ce soit directement dans le mur. Comme le disait un vieux réac, “la vie c’est plus marrant, c’est moins désespérant, en chantant”. Et la France dans tout ça ? Euh… pas de gros mots s’il vous plaît. Merci.

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