Wei Jingsheng

La révolte de Wei

Le “père du mouvement démocratique chinois” ne revient pas à Lyon ce mercredi 5 avril pour nous ménager. En 1999, il avait été impressionné par “le courage des Lyonnais”. Cette voix, que dix-huit années de tortures et de travaux forcés n’ont pas réussi à briser, dénonce avec force nos renoncements face à un régime “plus autoritaire que les nazis” et la dérive d’institutions internationales comme Interpol, en train de devenir à ses yeux “un gang pire que la Mafia”.

Lyon Capitale vous invite à rencontrer Wei Jingsheng ce mercredi à 18h à l’ISCPA (détails ici).

Wei Jingsheng

Lyon Capitale : Quand, en 1979, vous collez un dazibao – un journal affiché – sur le “mur de la démocratie” à Pékin, appelant à la démocratisation de la Chine, qu’est-ce qui motive le jeune électricien au zoo de Pékin que vous étiez alors ?

Wei Jingsheng : J’étais confiant, et la suite m’a donné raison. Les Chinois attendent avec impatience démocratie et liberté depuis fort longtemps. Mais nous avions besoin de quelqu’un qui passerait à l’action. La démocratisation comporte de nombreuses étapes. Strictement parlant, votre démocratie à vous n’est pas parfaite au point d’être inaméliorable. Le premier objectif du “mur de la démocratie” fut l’éveil du peuple : sensibiliser le peuple à la démocratie, et la réclamer. Nous avons atteint cet objectif, ce qui montre que notre réflexion était juste, mais aussi que nous avions bien analysé le peuple. Notre sacrifice n’était donc pas vain.

L’action vous rend immédiatement célèbre, notamment parce que vous signez le dazibao, avec toutes vos coordonnées ! Vous le referiez de la même manière ?

Oui, je ferais exactement la même chose. À cette époque, selon le règlement du Parti communiste chinois, je devais avec certitude être condamné à mort pour cette action “antirévolutionnaire”. Nous le savions à l’avance, tout le monde le savait. Mais c’était notre choix : sans sacrifice, nous ne pouvions pas briser le tabou du public. Et de toute façon la police secrète m’aurait identifié.

(…)

Vous avez été libéré en 1997 par la Chine, suite à d’intenses pressions internationales, celles de Bill Clinton et du Parlement européen notamment. Ce type de pressions est-il toujours efficace ?

À une époque, ces pressions ont été très efficaces. Mais, depuis deux décennies, leur impact s’est atténué, au fur et à mesure que les relations économiques entre les hommes d’affaires et États de l’Occident avec la Chine ont pris une ampleur toujours plus grande. Désormais, seuls le Congrès américain et le Parlement européen m’accueillent. Les autres ont peur du Parti communiste chinois et des hommes d’affaires de leur propre pays. De nombreux dissidents et avocats défenseurs des droits de l’homme sont détenus dans les prisons chinoises. Mais les hommes politiques des pays démocratiques tournent le dos à la souffrance des autres.

En 1999 à Lyon, grâce à un mégaphone depuis le balcon de Lyon Capitale, vous aviez pu interpeller directement Jiang Zemin, le numéro un chinois d’alors, en visite à Lyon. Avez-vous eu d’autres opportunités de vous faire entendre de dignitaires chinois depuis ?

Je passe à l’antenne, j’écris des articles. Les dignitaires suivent mes analyses et mes commentaires, car ma parole a du crédit. Mais cela fait longtemps que je ne passe plus sur Radio France Internationale.

Vous aviez été alors impressionné par les Lyonnais, trouvant chez les jeunes “la même passion, la même conviction claire de ce qu’il faut aimer et haïr, le même courage que celui dont ils avaient fait preuve pendant la guerre antifasciste de 39-45”. Mais le président Xi Jinping a été reçu avec les honneurs à Lyon l’année dernière, sans susciter aucune manifestation…

Oui, à cette époque-là, nous avons été rejoints par des militants des droits de l’homme français, avec le concours des députés et des médias ; nous avons mené une guérilla de résistance. Or, depuis dix-huit ans, la politique française a viré de 180 degrés, comme beaucoup de soi-disant militants des droits de l’homme. Cette évolution est portée, en sous-main, par les hommes d’affaires.

Quels exemples avez-vous de ce virage de 180 degrés des militants des droits de l’homme ?

Après que les États-Unis ont accordé à la Chine des relations commerciales normales et permanentes, la plupart des hommes d’affaires ont adopté la position de dialogue du Parti. Et progressivement presque toutes les grandes organisations de défense des droits de l’homme ont arrêté de collaborer avec nous et ont abandonné leurs programmes chinois. Il suffit de regarder, la réponse est claire.

Le maire socialiste de Lyon, Gérard Collomb, lors d’un voyage récent en Chine, s’est présenté auprès de journalistes chinois comme le “Deng Xiaoping français”, faisant référence à l’ouverture économique de la Chine…

Wei Jingsheng

Le Parti communiste était de gauche aussi, du moins avant sa prise du pouvoir. Titres et étiquettes importent peu, finalement : ce qui compte, c’est de regarder les actes. L’économie française était déjà ouverte, comment l’ouvrir davantage ? En l’ouvrant aux produits chinois issus de l’esclavage ?

(…)

Vous revenez à Lyon dans l’espoir d’être reçu par Interpol. Qu’avez-vous à leur dire ?

Après l’aide qu’elle a portée aux nazis*, Interpol ne va pas, j’espère, aider un régime encore plus autoritaire. Mais le choix de nommer à la présidence d’Interpol le chef de la police secrète du régime communiste chinois a de quoi inquiéter, vous ne trouvez pas ?

* L’ancêtre d’Interpol, dont le siège était à Vienne, est effectivement passé sous contrôle nazi avant la Seconde Guerre mondiale et ses précieux fichiers ont ainsi été utilisés pour la “solution finale”. Après-guerre, Serge Klarsfeld a notamment dénoncé la passivité d’Interpol dans la recherche des criminels de guerre comme Klaus Barbie.

Des opposants ont-ils été arrêtés grâce à Interpol ?

Actuellement, le régime veut faire arrêter les responsables politiques et hommes d’affaires ayant perdu leurs luttes internes au Parti, ainsi que leurs familles, par le biais d’Interpol ; bientôt la démarche s’étendra aux dissidents et autres opposants d’opinion. Au sein du Parti communiste chinois, il est de coutume de fabriquer des preuves dans un but de persécution, même contre les dirigeants. Dans ces circonstances, Interpol peut-elle compter sans souci sur ses salariés chinois pour fournir des preuves ?

Les pays fondateurs d’Interpol revoient à la baisse leur contribution, compensée par des opérateurs privés et des gouvernements peu démocratiques…

La réputation de cette organisation se dégradant, je pense que les pays fondateurs sont moins enclins à verser des contributions. Mais, si la tendance actuelle se poursuit, Interpol deviendra une police secrète internationale, un “gang légal” pire que la Mafia. La preuve, c’est ce qui est arrivé à Interpol pendant l’époque nazie.

Quelle serait la solution ?

Wei Jingsheng

Les gens ne devraient pas faire trop confiance à un gouvernement, quel qu’il soit, surtout ceux qui sont doués pour le mensonge. Lorsqu’on traite avec un gouvernement à qui on ne peut accorder sa confiance, comme le régime communiste chinois, il faut se faire certifier les faits présentés par d’autres acteurs réputés, comme des organisations de défense des droits de l’homme, des forces d’opposition politiques, etc. Les mandats d’arrêt, on ne doit pas les émettre de façon arbitraire. Sans supervision, une institution tourne forcément très mal.

(…)

Votre combat pour la démocratie a une dimension universelle. Qu’est-ce que le jeune Wei Jingsheng de 1979 aurait à dire à la jeunesse du monde d’aujourd’hui ?

D’avoir sa propre réflexion, autonome, et d’interdire la paresse à son cerveau. Ne vous fiez pas aveuglément aux autorités, y compris les universitaires et les politiques. Pour juger du bienfondé de leurs propos, il faut penser pour soi-même. Je n’insisterais pas sur la nécessité d’être courageux ; c’est difficile pour tous, il est normal d’avoir peur.

Y a-t-il partout dans le monde de nouveaux Wei Jingsheng ?

Forcément. Il y a un dicton célèbre en Chine : “Il y a des talents dans chaque génération et dans tous les lieux.”

(…)

Retrouvez l’intégralité de l’entretien dans notre mensuel d’avril (Lyon Capitale n°765) – actuellement en kiosques.

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