Lyon Capitale n°157
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Il y a 20 ans : faut-il supprimer les départements ?

IL Y A 20 ANS DANS LYON CAPITALE – Le sujet revient souvent depuis vingt ans dans l'actualité. Si les avis divergent, il semblerait que les départements n'aient rien à craindre, au contraire.

Lyon Capitale n°157, 4 février 1998, © Lyon Capitale

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Ils n'ont fait que de se renforcer au cours des dernières décennies. Déjà en 1982, ils profitent de la loi de décentralisation qui offre des pouvoirs non négligeables aux présidents de conseil généraux. Plus récemment, la loi NOTRe de 2015 renforçait encore leurs prérogatives. Toujours est il qu'en 1998, on critique le manque de renouvellement des représentants départementaux. A l'image de Michel Mercier, le "baron de Thizy", qui en 1998 cumule les étiquettes de sénateur, maire, et président du conseil général depuis déjà quelques années. Les critiques sur le vieillissement de cette classe politique ne suffiront pas à faire fuir le concerné, puisqu'au final il restera vingt-sept ans maire de Thizy, et vingt-deux ans président du conseil général du Rhône.

Lyon Capitale n°157, 4 février 1998, p. 7 © Lyon Capitale

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Un article paru dans Lyon Capitale n°157 le mercredi 4 février 1998, signé par Philippe Chaslot.

Faut-il supprimer les Départements ?

La question de la disparition éventuelle du Département est une sorte de tarte à La crème de la pensée qui a le mérite à chaque fois de débusquer Les points faibles d'une institution qui n'en manque pas. Le renouvellement de 26 cantons dans le Rhône, les 15 et 22 mars prochains est l'occasion de faire le point sur une institution contestée.
Étonnant. Les Départements, contrairement à ce que l'on croit souvent, ont encore plus bénéficié de la loi de décentralisation de 1982 que les Régions auxquels on les oppose souvent ! Les présidents de conseil généraux, qu'alors simples ectoplasmes administratifs du pouvoir central, à la main des préfets, sont devenus, pour le meilleur et pour le pire, des véritables poids-lourds de la politique locale à l'instar du sénateur-maire Michel Mercier qui cumule les fonctions sans retenue. Bien malin qui pourrait les déloger. Légitimes historiquement, ces notables ont su, grâce à leur nouvelle aura sociale, s'enraciner dans des actions concrètes dont les bénéficiaires sont fort peu intérêts ses par les débats entre "régionalistes" et "départementalistes".

Mercier joue la proximité

Malgré une image poussiéreuse et notable qui s'aggrave au fil des ans, malgré une absence de communication comme dans le Rhône, ce sont les conseillers généraux, en milieu rural, qui, en dehors des maires, sont les interlocuteurs privilégiés des citoyens. Les conseils généraux tirent leur fierté d'une légitimité républicaine basée sur l'histoire postrévolutionnaire et sur un mode de scrutin -le suffrage universel direct- dont seuls peuvent se targuer également les députés et le président de la République. Aujourd'hui, bénéficiant de larges transferts de compétences de la part de l'Etat, sans cesse alourdies notamment sur le plan social, ils retirent de cette nouvelle distribution des cartes une légitimité de fait. Le Rhône, le plus petit mais le plus riche département de France, réserve près de 55 % de ses dépenses d'intervention à l'enfance, aux personnes âgées, aux handicapés, à la santé, à l'aide sociale de proximité et à la distribution du RMI qui est aussi à sa charge. Ainsi, Michel Mercier, président du conseil général du Rhône depuis 1990, moins drôle que Coluche mais plus jeune que l'abbé Pierre, se retrouve le grand pourvoyeur de fonds des plus "fragiles" de la société. Si ses qualités de grand stratège en tant que président de l'UDF sont encore largement à démontrer, en bon politique départemental, il a su encadrer les responsabilités qui lui incombaient dans une originale politique de proximité. Organisant le premier la "déconcentration" de ses services départementaux, il a créé près de 50 maisons du Département qui dispensent au fin fond des campagnes mais aussi en ville, et les soins. Ce faisant, et jouant ostensiblement la carte du développement rural et de l'aide aux collectivités, à coup entre autres, de construction de routes et de collèges, le Département s'est imposé comme une structure de "rééquilibrage" entre une campagne pauvre de 300 000 habitants et une communauté urbaine, riche de 1,2 millions d'individus. Tout ce que demande le Département, c'est que la Région ne se mêle pas de ses affaires et d'autre part que la dérive des dépenses sociales ne la transforme pas en une simple administration du social.

La révolution pépère du Département

Mais si le Département a habilement profité des nouvelles lois pour s'enraciner un peu plus en milieu rural, il ne peut tout de même pas faire oublier que les cantons urbains sont tout de même d'une surréaliste inutilité. Cela ne manque pas de poser problème dans une époque où la France s'urbanise et s'agace des complexités administratives surtout-quand elles se chevauchent. C'est l'éternel problème, exacerbé en ville, de clarté et des responsabilités mal définies entre collectivités locales. Mais le Département souffre aussi d'un déficit d'image à cause de ses élus qui ne savent pas se renouveler et aussi de l'allure pépère qu'a pris sa "révolution invisible" qui ne s'est pas faite d'un coup en 1982, comme pour la Région, mais par paliers, en 1984, 1986, 1988, voire 1995. II a été long et difficile d'unifier sous la même bannière tous les services de l'Etat autrefois gérés par la préfecture, personnels de la DASS, de l'éducation nationale, des archives départementales, de la DDE, de la DDA, etc. L'homme est ainsi fait qu'il s'enthousiasme peu face à des travaux qui traînent. Quant aux scories du passé, le Département a du mal à s'en détacher. A Lyon par exemple c'est le conseil général qui loge le préfet de Région dans une partie de ses locaux. Pas le contraire. Mais qui peut le deviner ? Dans les esprits, la préfecture reste la préfecture, le conseil générai est flanqué là comme une annexe. Un autre exemple de son problème identitaire se loge, lui, dans les mots. Conseil général, Département, canton : comment mieux brouiller les pistes qu'avec ces trois mots sans lien apparent ? Sans compter qu'un renouvellement par moitié des cantons tous les six ans a de quoi faire sourire l'électeur et lui rappeler les us et coutumes sénatoriales mises en place pour assurer de grandes stabilités électorales qui penchent toujours du même côté.

"L'exception française"

Les autorités départementales entendent bien ces critiques. Certaines les laissent sans voix comme le rôle des cantons en centre-ville qu'il est en effet difficile de justifier vraiment : Paris n'en a pas. D'autres les font sourire comme le titre de "notables vieillissants". Michel Mercier répond en plissant les yeux et en faisant le paysan : "Je suis plus jeune que Millon ! Ben, tiens." Il n'est pas sûr, en revanche, que le mot notable soit désagréable au "baron de Thizy". Le problème identitaire, n'est pas nié : "On est prisonnier de notre image", reconnaît Pierre Jamet, directeur de cabinet et directeur des services, et tout le monde est d'accord pour admettre que le terme "conseil départemental" serait plus clair : "Ça ne dépend pas de nous". Mais quand on touche au dur, à savoir l'avenir des départements, dont Raymond Barre a souhaité encore dernièrement la disparition en pariant "d'exception française qui ne correspond plus aux actuels enjeux1,), Michel Mercier, sous la langue de bois, lance deux ou trois arguments perfides :"La position de Raymond Barre est la sienne. Mais le couple communes-départements est tout à fait essentiel. La communauté urbaine est-elle la meilleure organisation pour une agglomération ? On peut poser la question (de la disparition) du Département. Mais cela conduirait à une réforme de l'orga, nidation des communes et conduirait à un Etat d'une autre nature, probablement l'Europe des Régions". En énonçant cela, l'air de ne pas y toucher, Michel Mercier renvoie Raymond Barre à ses chères études. Il sous-entend ainsi que le Département a de beaux jours devant lui car s'il y a bien une collectivité que les Français ne toucheront jamais, c'est bien la commune. Quant à l'Europe des Régions, elle n'est pas pour demain non plus. Un sentiment partagé par Cédric Lewandowski (2), collaborateur en 1992 du groupe socialiste à l'Assemblée nationale et qui a travaillé activement sur la 2e grande loi de décentralisation : "Cette loi a créé des communautés de communes et des communautés de ville. C'est la seule chose qui soit apparue sérieuse pour éviter la dispersion des 36 000 communes. La question du Département n'a même pas été débattue. En fait, cette question n'est pas jugée pertinente, tout le monde s'en fout ou en rigole. C'est de l'ordre du débat idéologique. La Région, en France parce que ses capitales sont incomparables aux capitales régionales européennes, n'est pas un échelon crédible. Toutes les négociations sérieuses se font en national". Et de fait, beaucoup d'anciens régionalistes se rendent à l'évidence : la France est le moins dense des pays d'Europe et le Département, légitimé par la Révolution française, l'idée républicaine et par son rôle de terrain devenu déterminant avec la désertification du pays, est vécu comme une collectivité qu'il est irréaliste de vouloir supprimer dans les années qui viennent. Le "principe de réalité" serait plutôt défavorable à la Région. Ce qui n'empêche pas de rester sensible aux charmes des chimères de cette dernière. Le conseil général, pour être héritier de la Révolution a décidemment trop de relents "louis-philippards".
(1) Assises de la décentralisation, décembre 1997.
(2) Chef de cabinet d'Alain Richard, ministre de la Défense.
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