Montage Midal

De l’importance méconnue d’être narcissique

Entretien avec Fabrice Midal, auteur du best-seller Foutez-vous la paix, qui revisite dans son dernier ouvrage le mythe de Narcisse.

Chez Fabrice Midal, la provocation est un art assumé. De livre en livre (une vingtaine au total), de conférence en séminaire, il réveille en douceur mais fermement les consciences de ceux qui le suivent, en proposant des outils, des connaissances, des remises en question qui les aident à devenir autonomes et à prendre leur vie en main, en pleine responsabilité. Agitateur de neurones et d’idées toutes faites, il est devenu, en quelques années, l’un des philosophes majeurs de notre temps. Dans son dernier livre, Sauvez votre peau et devenez narcissique, il se plonge dans Socrate et Platon pour revisiter le mythe de Narcisse, en le débarrassant des interprétations apportées au cours des siècles. Et ça marche. Son livre précédent, Foutez-vous la paix, est un best-seller en France (plus de 100 000 exemplaires vendus à ce jour). Ses lecteurs trouvent en cet auteur des réponses de bon sens qui font écho à leurs propres questionnements. Rencontre avec un trublion, amateur de Montaigne, qui remet au goût du jour l’esprit critique français.

Impossible de lire cet ouvrage provocant sans entendre d’abord votre définition du narcissisme. En quelques mots, quelle est-elle ?

Être narcissique, c’est se respecter. Juste ce geste : je respecte la personne que je suis. Or, voilà qui n’est plus du tout évident de nos jours. Nous nous maltraitons, nous jugeons durement et vivons dans une attitude de défiance par rapport à nous. Nous nous poussons si souvent à bout… Du coup, nous acceptons d’être maltraités. Combien aujourd’hui autorisent les autres à leur marcher sur les pieds en silence ? Je crois qu’il est temps de rappeler que chacun a le droit, le devoir même, de sauver sa peau. Je ne crois pas cependant que mon propos soit provocateur. Ce qui me semble provocateur, c’est la violence propre à notre temps, qui nous conduit à instrumentaliser les êtres humains et à en faire des rouages d’une machine qui semble, par bien des aspects, devenue folle.

Nous évoluons pourtant dans un monde de gens archi-narcissiques. N’est-ce pas là le grave problème de notre temps ?

Mais nous ne sommes pas dans un monde narcissique ! En tout cas, quand j’examine mes proches, les collègues de travail, mes amis, que vois-je ? Des gens qui cherchent à être parfaits au point de s’en rendre malades, des gens qui s’épuisent, certains jusqu’au burn-out, tellement ils veulent bien faire, être irréprochables. Je vois des gens qui souffrent, non des gens béats de contentement d’être eux-mêmes. Je n’en peux plus de ces experts qui viennent dire que tout le monde est narcissique – sous-entendu, sauf eux ! J’ai l’impression qu’ils vivent dans leur tour d’ivoire, qu’ils sont très peu reliés à la vraie vie. En tout cas, à celle que moi je rencontre quotidiennement.

La mode des selfies, la quête de ce fameux quart d’heure de gloire prédit par Andy Warhol, les méthodes de développement personnel qui prônent l’amour de soi, l’affichage permanent sur les réseaux sociaux de ses pensées et émotions…, vous devriez être satisfait : les gens s’adorent, non ? Leur ego est au top de sa forme !

Il m’arrive de faire des selfies et je n’ai pas l’impression que c’est là le signe d’un égocentrisme forcené ! Si cela me fait plaisir, j’en fais et je suis ravi ! Quant aux gens qui se regardent en permanence dans la glace, sont-ils narcissiques ? Non. Très souvent, ils regardent tout ce qui ne va pas en eux, se jugent très sévèrement : Là je suis trop comme ceci, là trop comme cela. Ils ne développent aucun geste d’amour pour eux-mêmes. Au contraire. Les Kim Kardashian, les Paris Hilton sont des femmes qui s’aiment si peu, qui se font si peu confiance, qu’elles n’osent pas se montrer : elles retouchent leurs photos, gomment les aspérités, se fabriquent un idéal auquel elles tentent désespérément de correspondre parce qu’elles ne se sont jamais rencontrées. Elles ne font pas confiance à ce qu’elles sont, parce qu’elles ne savent pas ce qu’elles sont.

Mais Narcisse n’est-il pas l’être qui tombe amoureux de lui-même au point de se couper des autres ?

C’est en effet ce que tout le monde raconte. Mais j’ai relu le mythe de Narcisse, en particulier dans la version latine d’Ovide, la plus célèbre. Ce jeune homme n’était pas amoureux de lui-même. Il tombe amoureux d’une image de lui qu’il ne reconnaît pas. Le mythe de Narcisse en explique les raisons et nous parle de la catastrophe de ne pas se reconnaître, de ne pas suivre l’injonction socratique : “Connais-toi toi-même.” C’est cela mon message : rencontrez la personne que vous êtes. Avez-vous remarqué que parfois nous sommes irrités par un collègue de bureau, nous partons avec lui pour un séminaire ou autre, devons passer du temps ensemble et nous constatons à mesure que nous nous connaissons mieux que nous apprenons à l’apprécier ? Je crois que c’est la même chose pour nous : en nous rencontrant, nous apprenons à mieux nous apprécier.

Votre réflexion part beaucoup de votre propre expérience…

J’ai toujours été hypersensible. Je sens parfois trop vivement ce que l’autre éprouve et je peux pleurer en écoutant une personne qui se raconte ou en écoutant des nouvelles ou des témoignages à la radio. Je ne me ferme pas à ce que j’éprouve. Je vis mes émotions sur des montagnes russes. Pendant longtemps, j’ai espéré trouver des parades pour m’aider à affronter ces réalités. Plus je me martyrisais, moins j’arrivais à changer. Aujourd’hui, j’accepte ce que je suis. J’essaie de travailler avec la situation et c’est un soulagement de ne plus me mettre la pression en permanence avec l’idée qu’il faut être différent, devenir ceci ou cela… Je suis hypersensible, j’ai cinquante ans, c’est comme ça. L’accepter a fait disparaître le poids qui pesait sur mes épaules. J’ai appris à vivre avec, à sauver ma peau et ne plus me pousser à vivre des extrêmes…

En quoi est-ce narcissique ?

Parce que je commence par écouter mes besoins et mes limites, au lieu de partir d’emblée avec l’idée que ce que je suis ne va pas. Cela change complètement la perspective. Nous pouvons tous faire une force de nos propres limites, au lieu de vouloir correspondre à un idéal publicitaire inhumain, fabriqué et écrasant.

Quelle serait l’attitude du parfait Narcisse ? N’existe-t-il pas des risques de dérive : orgueil, égoïsme, vanité, enfermement sur soi ?

Non. Il n’y a aucun risque à s’aimer. Car, au fond, c’est cela la défiance actuelle. S’aimer serait une faute. Encourager quelqu’un à s’apprécier, à s’écouter serait un mal. Je crois que nous marchons sur la tête ! L’égoïsme et la vanité ne sont pas dus à un surcroît de vanité mais à un déficit de narcissisme. Le vaniteux est comme la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf. Autrement dit, elle ne veut pas être elle-même, mais devenir une image d’elle – qu’elle ne réussira jamais à être. Trump, que l’on présente comme le modèle du narcissisme, est à l’évidence vaniteux. Mais il ne s’aime pas ! Il a sans cesse besoin que les autres lui renvoient une image idéale de lui, sinon il sévit, menace, fait des caprices… S’il était narcissique, son attitude envers les autres serait plus apaisée. Car c’est en étant narcissique que je peux m’ouvrir aux autres, avoir des relations saines. Je suis là pour eux, ouvert à eux, ouvert à la relation, sans les instrumentaliser.

Mais comment faire pour être plus narcissique ? Quels conseils donneriez-vous ?

J’ai écrit ce livre pour qu’il soit un cheminement pour le lecteur et lui permettre de changer son regard. J’ai rédigé de nombreux essais théoriques sur divers sujets. Mais, avec Foutez-vous la paix ! et commencez à vivre, mon précédent livre, j’ai proposé une nouvelle forme d’écriture, qui est un véritable cheminement pour le lecteur. En lisant le livre, j’invite vraiment l’autre à faire une expérience qui peut le transformer. Je ne donne pas des conseils qui mettraient davantage encore de pression – il faudrait faire ceci, ou cela –, non, j’incite simplement à prendre conscience de la manière dont, depuis notre enfance, nous sommes manipulés à nous méconnaître, à nous méfier du trésor qui existe en nous. Il ne s’agit pas ici de croyances qui viendraient remplacer d’anciennes croyances, mais de permettre au lecteur de faire une expérience complètement neuve.

Vous venez à Lyon faire une conférence en mai…

C’est une grande joie ! Lyon est une ville que j’adore. Et pour moi la conférence est le cœur de mon travail. On est là, devant le public, sans filtre, et il faut simplement que par notre parole il se passe quelque chose de réel, d’unique. Pour cette raison, je fais attention que chaque conférence soit un moment unique.

En conclusion, qui êtes-vous, Fabrice Midal ? Qui se cache derrière ces multiples identités ?

Celui que vous pouvez découvrir en toute vérité dans mes deux derniers ouvrages.

Biblio de Fabrice Midal
– Sauvez votre peau ! Devenez narcissique, éditions Flammarion, janvier 2018
– Foutez-vous la paix ! et commencez à vivre, Flammarion, janvier 2017

Conférence – le 17 mai à 19h30 à l’Université catholique, place des Archives

Cette conférence est payante – Réservation en ligne
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