Une du mensuel Lyon Capitale de mai 2018 (777)

Liberté d’expression in memoriam

L’édito du mensuel – Année après année, la liberté d’expression rétrécit en France comme peau de chagrin. Il devient difficile d’exercer son métier de journaliste, la parole étant de plus en plus criminalisée, quand à front renversé sur les réseaux sociaux le pire côtoie le pire sans que les auteurs, généralement anonymes, en soient inquiétés, ou si peu.

Au final, à qui profite cette censure mâtinée de puritanisme ? À ceux qui ont failli dans leur magistère au service de la collectivité, qu’ils soient élus ou fonctionnaires, aux aigrefins et aux malfrats, à ceux qui veulent bien récolter les lauriers et les louanges mais qui n’assument jamais leurs erreurs, aux adorateurs de la page blanche et aux contempteurs de la parole, aux résistants de la vingt-cinquième heure, à la cinquième colonne des petits planqués de la nation !

Car, s’il n’y a évidemment pas de complot, il est une logique de tribu à l’œuvre, tel un insecte térébrant, et elle fait des ravages – s’abritant, qui derrière son statut, qui derrière sa couleur de peau, sa pratique religieuse, ses préférences sexuelles, ses tics, ses troubles obsessionnels compulsifs ou son handicap, dans le but d’annihiler toute réflexion, toute critique.

Il est désormais interdit de penser, interdit de parler, interdit de questionner, interdit de sourire, interdit de révéler sous peine de poursuites : ainsi, vous êtes prié de laisser l’État dans les WC où vous l’avez trouvé en entrant et à ce rythme il sera bientôt, comme aux États-Unis, périlleux de prendre l’ascenseur, seul, avec une personne de sexe opposé, le risque étant d’être accusé de harcèlement sexuel, voire de viol. Insupportable hypocrisie, dictature de l’ersatz, pollution de la vie quotidienne.

Législature après législature, le Parlement a mécaniquement renforcé l’arsenal de la censure, la dernière farce étant celle dite des fake news (en anglais, ça fait plus sérieux). La responsabilité individuelle est ainsi rabotée au nom d’intérêts dits supérieurs, mettant en exergue l’appartenance à une caste d’intouchables.

Ma tribu contre ta tribu

J’ai rencontré des juifs, des musulmans, des chrétiens, des athées, des agnostiques, des syndicalistes, des féministes, des gays, des francs-maçons, des Blacks, des magistrats, des avocats, des députés, des militants associatifs, des médecins, des patrons de club sportif ou de média, des policiers, d’une connerie incommensurable, chaque catégorie n’étant pas toujours exclusive de l’autre. J’en ai rencontré, nombreux, qui étaient profondément, viscéralement, durablement malhonnêtes. J’en ai aussi rencontré d’admirables, qui m’ont réconcilié, un temps, avec l’humanité.

Je veux juste continuer à pouvoir le dire et à pouvoir l’écrire, à faire fonctionner mon libre arbitre, dans mon pays, à distinguer l’individu du groupe, à faire preuve de discernement, à être critiqué moi-même, bien sûr. Je veux que les journalistes dont j’ai la charge puissent continuer à enquêter, sereinement et de façon contradictoire. J’en ai assez de perdre mon temps dans les commissariats et les tribunaux, simplement parce que nous faisons notre travail, qui est d’informer nos concitoyens.

J’assume bien entendu toutes mes responsabilités et à ce titre je ne rejoindrai jamais – a priori et sans réfléchir – le “camp du consensus”. J’ai débuté dans le journalisme en 1989. Pour la première fois de ma vie, en tant que “directeur de la publication” et “éditorialiste”, j’ai été condamné en 2018 à ce que je considère comme une ignominie : avoir mon nom à la une de mon propre journal, simplement parce que nous n’avons pas accepté une vérité officielle, qui était manifestement bien fragile !

Si c’était à refaire ? Je le referais ! Une fois, cent fois, mille fois, jusqu’à ma mort !

Chaque fois que ma petite lumière vacille, je repense à ceux qui m’ont donné la force de continuer. Dans son Discours de la servitude volontaire, La Boétie défend l’idée que l’homme est complice de la servitude qu’il subit puisque le tyran tire son pouvoir et sa force de ceux-là mêmes qu’il domine. Ainsi, l’esclavage du peuple ne tient pas à la force du tyran mais à sa propre démission.

La paresse intellectuelle et les habitudes anesthésient la raison et la vigilance. Le pouvoir du tyran existe et se renforce parce que le peuple obéit aveuglement à ses ordres ; pour défaire le tyran, il faut refuser de le servir. “Soyez résolus de ne servir plus et vous serez libres. Je ne veux pas que vous le poussiez ou l’ébranliez, mais seulement ne le soutenez plus et vous le verrez, comme un grand colosse à qui on a dérobé sa base, de son poids même, fondre en bas et se rompre”, écrivait l’ami de Montaigne.

Chers lecteurs, merci de votre fidélité et de votre soutien sans faille ! Vous le savez depuis presque vingt-cinq ans, à Lyon Capitale, nous sommes certes légalistes, mais nous sommes avant tout légitimistes et nous ne nous soumettrons jamais à des diktats visant à nous faire taire. Comme l’écrivait La Boétie, parfois “obéir c’est trahir et désobéir c’est servir”.

Ni œillères ni tchador, ni Dieu ni maître, et plus que jamais : ESPRITS LIBRES !

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