Ces étudiants lyonnais qui hébergent des mineurs isolés

Depuis novembre 2017, des étudiants lyonnais accueillent chez eux les mineurs isolés étrangers que l’État ne prend pas en charge. Avec le départ imminent des étudiants pour les vacances d’été, des dizaines de jeunes se retrouvent sans solution d’hébergement.

Estelle a 20 ans, de grands yeux bleus et une licence d’anthropologie en poche. Cet été, la jeune femme quittera l’appartement de Jean Macé qu’elle partage avec ses deux colocataires pour poursuivre ses études au Brésil. Une étudiante comme tant d’autres à Lyon ? Pas vraiment. Car depuis novembre, Estelle et ses colocs hébergent en continu de jeunes migrants. D’origine africaine, ces adolescents fuient les violences ou sont venus tenter leur chance en France. En attendant d’être reconnus mineurs et pris en charge par l’Etat, c’est le trottoir qui les accueillerait à Lyon sans l’intervention d’un collectif d’étudiants. « Notre appart, c’est limite un squat, dit la jeune femme dans un éclat de rire. C’est le camping à la maison ». Des liens forts se sont créés entre les étudiantes et leurs jeunes hôtes, et le rire d’Estelle cache mal son inquiétude quant au devenir de ses protégés. En effet, avec l’arrivée de l’été, de nombreux étudiants se préparent à quitter Lyon pour travailler ou rentrer dans leurs familles, laissant derrière eux des dizaines de jeunes sans solution d’hébergement. Pour éviter cela, et alors qu’ils hébergent au total 70 jeunes, les étudiants avaient décidé en avril de réquisitionner un bâtiment vacant. Le but était d’ouvrir un lieu d’accueil stable pour leurs protégés, et leur proposer des activités pendant l’été en attendant leur scolarisation. C’est ainsi qu’est apparue La Cabane, route de Vienne, qui pendant un mois et demi aura servi de refuge à une cinquantaine de jeunes, jusqu’à sa brutale expulsion au mois de mai. « On avait tout prévu, même un manuel pour les gens de l’extérieur, je me disais qu’on pouvait enfin se poser un peu... », regrette Estelle. Depuis, les jeunes avaient été relogés au foyer de la Sarra, jusqu’à une nouvelle expulsion fin juin. « Les squats, ça marche pas, on se fait tout le temps expulser et on est de moins en moins nombreux, on arrive à saturation », dit-elle avec émotion. Bientôt, l’étudiante devra s’envoler pour le Brésil mais le départ est compliqué. « Je retarde le moment de partir, j’ai l’impression d’abandonner tout le monde, dit-elle en détournant le regard. C’est très énervant, toi tu te dis que tu t’es battu pour eux et que tu leur as fait perdre du temps… pour rien : pas d’école, pas de papiers ».

“Tu perds de vue des potes, quand tu leur demandes d’héberger”

C’est à l’Université Lumière Lyon 2 qu’Estelle et ses colocs ont rencontré ces jeunes venus de loin. A la suite de l’expulsion de migrants qui avaient trouvé refuge à la Part-Dieu, des étudiants ont décidé en novembre dernier de les accueillir dans l’un des amphithéâtres de l’université. Alors qu’elles ont cours dans le même bâtiment, les étudiantes passent souvent devant l’amphi en question, tout comme Jules, en master de Sciences politiques. Petit à petit, les jeunes gens se rapprochent des migrants et, sous la menace de l’évacuation de l’amphithéâtre par les forces de l’ordre avant la fermeture de l’université pour les vacances de Noël, le collectif estudiantin décide de passer aux choses sérieuses. Peu avant Noël, ils occupent une ancienne caserne désaffectée pour accueillir les migrants. C’est là qu’ils constatent la présence de nombreux mineurs. Les étudiants décident alors de se mobiliser pour les héberger chez eux, dans l’attente de leur prise en charge par les pouvoirs publics. Rapidement, le collectif est débordé. Entre les jeunes migrants récupérés dans la rue, ceux qui attendent leur rendez-vous à la Meomie (Mission d’évaluation et d’orientation des mineurs isolés étrangers) pour faire reconnaître leur minorité, ceux dont la minorité a été contestée et ceux qui ont fait un recours devant le juge, cela fait beaucoup d’adolescents à héberger. “Au début, comme on a un clic-clac et une chauffeuse on se disait qu’on pouvait héberger deux-trois gamins, mais ça va très vite, explique Estelle. Actuellement on a cinq jeunes qui dorment dans le salon.” Ainsi, Estelle et ses colocs ont vu passer pas moins d’une trentaine de mineurs restés minimum une semaine, auxquels il faut ajouter les jeunes hébergés en urgence pour quelques nuits. Une situation pas toujours facile à gérer. En plus de leurs études, les étudiantes doivent également concilier l’hébergement de ces adolescents avec leur job étudiant. « C’est une question d’organisation, notre expérience avec les scouts a aidé », relativise Estelle. Heureusement, elles peuvent compter sur la solidarité de leurs camarades qui n’ont pas hésité à leur transmettre leur propre cours, et sur la bienveillance de leurs professeurs quand elles emmenaient les mineurs en cours avec elles. Mais rapidement, le nombre d’étudiants prêts à héberger diminue. Alors qu’une longue liste de volontaires avait été établie pendant l’occupation de l’amphithéâtre, ils se retrouvent désormais à sept. « Tu perds de vue des potes, quand tu leur demandes d’héberger et que tu ne te prends que des vents… Pour certains, c’était surtout une lubie », constate tristement Estelle en se rappelant cette copine très engagée au début et qui a tout arrêté du jour au lendemain. Le collectif fatigue : « quand il faut accueillir à 23 heures, quand tu rentres et que t’as envie d’être tranquille et qu’il y a quinze personnes que tu connais pas posées chez toi, ou qu’il faut aller faire les courses parce qu’il n’y a plus rien à manger et que tu rentres tard de cours, c’est lourd », raconte l’étudiante d’un ton las.

Un investissement important pour les étudiants

Financièrement, le problème se corse. Grâce à une aide des parents, à la CAF et à son stage rémunéré, Jules arrive à subvenir aux besoins de ses protégés. En revanche, un coût non négligeable réside dans les transports en commun lyonnais. En effet, les jeunes accueillis passant la journée dehors, ils sont amenés à se déplacer beaucoup et ne peuvent se permettre d’être repérés par un contrôleur, ce qui leur vaudrait un aller simple pour le commissariat. Jules accueille actuellement un Nigérian de 16 ans, Assan, dont la minorité a été contestée par la Meomie. Récemment, il a réussi à convaincre une employée TCL de lui obtenir une carte au tarif étudiant : « c’était Noël pour lui », rigole-t-il. « On a eu une période où financièrement c’était vachement compliqué, on avait 20 jeunes en attente de leur entretien avec la Meomie, à la rue », se souvient tristement Estelle. Surtout depuis que le Secours catholique, qui fournissait les repas matin, midi et soir, n’assure plus que le petit-déjeuner. Une situation « un peu tendax », résume la jeune femme. Mais le collectif ne se décourage pas pour autant et essaye tant bien que mal de recruter de nouveaux hébergeurs pour accueillir leurs protégés pendant l’été. Entre les démarches administratives et les expulsions à répétition, l’incertitude est difficile à supporter pour ces adolescents venus de loin. « Des jeunes se sont montés la tête, ils pensaient qu’on était payés par la Meomie pour bloquer leurs dossiers... », se souvient-elle avec amertume. « A Lyon, les jeunes sont en attente sur tout : école, santé, administratif… Du coup on leur conseille d’essayer dans d’autres villes », poursuit-elle, le regard dans le vide.  Quant aux pouvoirs publics, les étudiants n’attendent plus rien de leur part. « Ils nous mettent dans la merde, conclut Jules sombrement. Je suis content de faire ça mais le traitement global de tous ces petits est dégueulasse ». Ce soir encore, les étudiants ressortiront les matelas et les sacs de couchage pour leurs jeunes hôtes, dans l’angoisse de devoir en l’absence de solution les laisser à la rue pour les vacances d’été.

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