Expulsion quai Saint-Vincent lyon 1er © Sonia Chabane

Expulsion à Lyon : des familles précaires à la rue

La police a procédé hier à l’expulsion de familles d’un bâtiment quai Saint-Vincent. Une procédure de "péril en urgence" inhabituellement émise par la Métropole de Lyon, qui laisse à la rue plus de la moitié d'entre elles, dont des personnes fragiles. Au mois d’août, nourrissons, enfants en bas âge, femmes enceintes et personnes âgées ne vont pas tous bénéficier d’un relogement d’urgence.

Mardi 21 août. Il est 13h00 lorsque les sept camions de la police commencent l’opération d’expulsion d'une soixantaine de personnes d'un bâtiment du 1er arrondissement de Lyon. Une demi-heure après, une dizaine de membres des collectifs en soutien aux personnes précaires et sans domicile fixe (S.D.F) arrive en colère au milieu des pleurs des familles les ayant immédiatement prévenus. Ces familles, 72 personnes d’origine moldave ou roumaine, avaient déjà été expulsées le 2 août dernier du bidonville de Vaise. Faute de possibilité d’hébergement en pleine canicule, le Collectif Ouvrons les Yeux a choisi de les accueillir. L'expulsion s'est déroulée dans le calme, mais cette situation est souvent traumatique pour ces familles constamment mises à la rue et logées de plus en plus loin du centre-ville et des regards inquisiteurs des passants.

La rue comme seule solution

"Where is… this ?" s’exclame paniquée et d’un anglais tremblotant, une adolescente Rom. Léa, membre d’un collectif examine alors le bout de papier qu’elle lui tend. On y discerne l’adresse d’un hébergement d’urgence rapidement écrite à la main et une carte incomplète menant à Saint-Priest. Vers la fin de l'évacuation, à 16h00, seuls quatre familles et un couple vont finalement bénéficier de relogements provisoires pour une durée de quinze jours avant d’être de nouveau sans domicile fixe. Le reste d'entre elles a passé la nuit sur la place Sathonay dans le 1er arrondissement. Ce mardi, une cinquantaine d'entre eux occuperait encore cette place. En utilisant le motif "situation de squat", la Métropole n'a pas à répondre de ses obligations de relogement. Comme le confirme une source proche de la métropole, ce motif permet à cette dernière d’échapper à toute obligation d’hébergement d’urgence et délaisse cette compétence à la préfecture.

Les 26 personnes triées sur le volet par la préfecture doivent, dès l’évacuation effectuée, immédiatement se rendre sur les lieux d'hébergement provisoires par leurs propres moyens. Les militants organisent alors les déplacements en effectuant à leurs frais d’incessants allers-retours. Alors que le stock de bouts de papier se tarit, une mère de famille, entourée de sa fille de 15 ans et de son fils gravement malade de 8 ans se tourne vers les militants "Criminale, métropole criminale". Blandine, la présidente de l’association C.L.A.S.S.E.S, qui milite pour la scolarisation des enfants, s’impatiente aussi. Si tous les enfants sont scolarisés, nombreux seront ceux qui n’auront encore pas de toit d’ici la rentrée des classes et vivront dans des conditions précaires. Elle dénonce la "sélection" effectuée sur place par les services de la préfecture pour choisir les personnes candidates aux hébergements d’urgence. Trop souvent selon elle, seule la possession d’un contrat de travail par l’un des parents est prise en compte. On oublie alors vraisemblablement l’incapacité de certaines personnes à pouvoir travailler, car en situation de grand handicap ou trop âgées.

Une "évacuation" accélérée contestée

Quai Saint-Vincent, le collectif de travailleurs sociaux Ouvrons les Yeux avait ouvert un squat le 7 juillet pour occuper cet immeuble abandonné. Alors tolérée par le propriétaire, venu plusieurs fois sur les lieux, la situation change totalement lorsque le collectif décide d’accueillir au début du mois d'août ces ressortissants moldaves et roumains. Au début de l'été, ce bâtiment de quatre étages paraissait alors adapté pour accueillir des personnes en détresse que le collectif aidait depuis quelque temps. Pourtant hier, les forces de police ont procédé à l’évacuation du bâtiment, suivant les mesures prescrites par un arrêté de "péril imminent" de la Métropole de Lyon établi le 16 août. L’expert judiciaire avait quelques jours plus tôt constaté la possibilité d'un effondrement de la toiture et du plancher du 2e étage, par rupture d’éléments porteurs fragilisés. Une procédure d'évacuation inhabituellement enclenchée par la Métropole et non l’autorité compétente : à savoir le maire ou en cas de défaillance, le préfet.

L’un des militants dénonce "une décision politique" de la Métropole, rapide et différente des procédures courantes. Aux côtés de l'avocate pour la protection des familles, Maître Alligier, ils envisagent de dénoncer des irrégularités. Faute de temps, en ayant seulement été informés la veille de l’évacuation par voie d’affichage, il a été impossible pour le Collectif Ouvrons les Yeux et Maître Alligier d’entamer une procédure d’appel. Ce recours aurait pu leur permettre de rallonger le délai de l’expulsion et d’envisager "un plan B" pour les familles sans solutions de relogement. La Mairesse du 1er arrondissement, Nathalie Perrin-Gilbert dit ne pas non plus avoir été informée de la situation.

Olivier, un militant, raconte que la police serait venue constater l’occupation bien avant l’expertise judiciaire. "Les flics connaissent bien les lieux. Dès le premier jour, ils sont venus deux fois à l’intérieur, à quinze la première fois et sept la deuxième. J’ai même été embarqué, car je n’avais pas ma pièce d’identité sur moi".  Dès aujourd’hui, le propriétaire doit réaliser les travaux d’urgence qui lui sont prescrits dans l’arrêté et emmurer le bâtiment. Rencontré hier, le bailleur soupçonne la Ville de Lyon d’avoir autorisé l’occupation illégale du bâtiment par les familles. Selon ses dires, les voisins auraient constaté la présence d'un camion-nacelle de la ville afin d'inspecter les lieux en amont de l’occupation.

Expulsions : des opérations routinières

En juin dernier, au tribunal d’instance de Villeurbanne, l’avocat de la Métropole de Lyon réclamait l’évacuation immédiate d’un immeuble, propriété de la collectivité. Surnommée "La Maison Mandela" par les membres du Collectif Agir Migrants, elle permettait d’accueillir plusieurs familles de demandeurs d’asile Albanais. Les opérations d’évacuation deviennent presque routinières pour les forces de police et les services administratifs en lien (Ville de Lyon, Préfecture, Métropole). Dès août 2015, faute de place dans les hébergements provisoires, d’autres familles Roms logeaient dans leurs voitures près du parc des Chartreux. Au motif d’un stationnement excédant un "délai de plus de sept jours" leurs véhicules leur ont été enlevés, laissant les familles sans toit.

À ce jour, aucune solution ne semble viable pour des centaines de personnes précaires, vivant sous les ponts et errant dans des rues désertées. À l’impossible promesse d’Emmanuel Macron, de n’avoir "plus personne dans les rues" d’ici la fin de l’année 2017, les militants rient jaune. Marine, membre d’Ouvrons les Yeux y répond sèchement "Nous sommes en 2018, combien d’autres encore devront dormir dehors d’ici la fin de l’année ?"

 

Mise à jour, le 23/08/18. Précision sur la procédure d'évacuation

Il a nous été confirmé qu'une cinquantaine de fois par an, en moyenne, la Métropole s'octroie la compétence de péril en urgence, conduite de la même manière quelle que soit les occupants (locataires, propriétaires, occupations illicites...) et suivant les dispositions du Code de la Construction et de l'Habitation (CCH).

Dans le cadre de cette procédure de péril avec interdiction d'habiter, le propriétaire est chargé de reloger les occupants. En cas de défaillance de ce dernier, la Métropole prend le relais. La compétence d'hébergement d'urgence est donc ici laissée à la préfecture.

Il nous est désormais possible de préciser que le propriétaire est déjà visé par une procédure ultérieure de mise en péril conduite par la Ville de Lyon, sur un autre de ses biens situé à Lyon 5ème.

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