L’historien Bruno Benoit, chez lui, à Lyon, en 2017 © Tim Douet
L’historien Bruno Benoit, chez lui, à Lyon, en 2017 © Tim Douet

Retour de Collomb : “Il va y avoir du sang à Lyon” pour Bruno Benoit

Historien, gardien de la lyonnitude, Bruno Benoit n’a jamais cessé de porter un regard à la fois bienveillant et critique sur Lyon. Lorsque Gérard Collomb est élu en 2001, il explique son succès en lançant “Lisez Bruno Benoit !” Quel regard porte aujourd’hui l’historien sur le retour de l’ex-ministre de l’Intérieur à Lyon ?

 

Lyon Capitale : Que vous inspire ce retour de Gérard Collomb à Lyon ?

Bruno Benoit : Une sorte de difficulté pour un élu local à réussir au niveau national en ayant comme seule référence une réussite locale et comme vision une ambition nationale. Je crois que Gérard Collomb a découvert la difficulté du ministère, que, loin de Lyon, il a perdu ses repères. En même temps, il a appris via ses réseaux qu’on s’agitait à Lyon depuis son départ. À mon avis, le ministère de l’Intérieur ne correspondait pas du tout à celui que Collomb aurait aimé avoir. Il aurait voulu un grand ministère de la Ville, où on aurait réuni transport, écologie… Là, il aurait été à l’aise.

L’Intérieur, ça a un peu dépassé ses ambitions et à mon avis il était malheureux. Il revient déçu comme Herriot après son expérience de 1916-1917. Il rentre avec une sorte de “Je suis heureux de revenir à Lyon, dans cette belle ville, entre nous, avec des gens qui me comprennent. Je fais des selfies, on me reconnaît dans la rue, alors qu’on m’assassinait dans les médias”. Un besoin de chaleur, il faisait si froid à Paris.

Herriot, c’était il y a un siècle, est-ce comparable ?

Un siècle et un an, exactement. Édouard Herriot a tenu six mois comme ministre du Ravitaillement et des Transports. Il était attaqué en permanence par Clemenceau. Lorsque le gouvernement chute, il ne cherche pas à s’accrocher. Il revient dans sa ville avec une expérience très malheureuse de la vie politique nationale. À cette époque, une chanson paraît à Lyon dans Guignol qui fait dire à Herriot : “Ah, mon bon Lyon ! Je reviens, je te retrouve, cette chaleur, cette ville ! Dès que je suis loin, je suis mal.” Collomb tient le même discours. On sait qu’il fait de l’herriotisme et sa réussite comme maire tient à sa capacité à intégrer les trois piliers de la lyonnitude : la chambre de commerce avec le monde économique, Fourvière et les Terreaux, cœur politique de la ville. Loin de tout ça, Collomb a eu du mal à gérer des réseaux qui ne sont pas les siens.

Collomb est-il un Herriot ?

Collomb n’a pas encore le prestige qu’avait Herriot à la fin de sa carrière politique. Ce dernier était parvenu à les cumuler en étant président de la Chambre [l’équivalent de l’Assemblée nationale], président du Conseil [équivalent de notre Premier ministre] et être entré à l’Académie française. Collomb reste maire de Lyon, président de la métropole, à la limite sénateur et député éphémère. Avant 2017, qui connaît Collomb en France ? Pas grand monde. En 1916, qui connaît Herriot ? Pas grand monde non plus. Il y a donc des points communs, l’expérience est proche, mais la situation n’est pas la même à Lyon. Herriot a su mettre en place une fidélité des Lyonnais qui n’a jamais été remise en cause. Quand Herriot revient, il a moins de 50 ans. Quand Collomb revient, il a plus de 70 ans. Il y a des différences qui peuvent jouer dans un monde où l’information va toujours plus vite, les réseaux sociaux sont importants, les photos aussi, tout comme son rapport avec La République en Marche… Tout ça fait que Gérard Collomb est un peu en porte-à-faux. Mais, à mon avis, il a encore des cartes !

Quelles cartes peut-il utiliser ? Peut-il mettre en avant son nom comme une marque, faire comme Pradel en 1965 (lire ici) ?

C’est une bonne remarque. Il peut dire aux Lyonnais : “J’ai fait une expérience qui me tenait à cœur pour promouvoir Lyon et faire au national ce que j’ai réussi en local, mais désormais je me débarrasse de toute attache partisane et je dis que je suis lyonnais !” Ses précédents slogans – “En avant Lyon !”, “J’aime Lyon !” – sont bien des slogans pour mettre la ville au centre. L’idée d’une marque Collomb peut être une très bonne chose. Ça peut être l’une de ses cartes à jouer, à condition que l’opinion réagisse, ait une culture politique, une mémoire de ce qu’il a pu faire, qu’on ne l’ait pas oublié, voire qu’on ne l’associe pas à une crise gouvernementale que ses adversaires vont pouvoir utiliser.

Est-ce une situation inédite à Lyon ?

Dans l’histoire, quand Augagneur a quitté la mairie, il n’a jamais pu la reconquérir. La reconquête en politique est très difficile. Michel Noir n’y est jamais parvenu. Mais Collomb n’est pas parti, il n’a jamais fait qu’un intermède. Il devrait être réélu à la mairie de Lyon début novembre sans problème. Si ce n’était pas le cas, il n’y a plus besoin d’épiloguer, c’est terminé. Lors du vote, il faudra qu’il compte ses fidèles et je pense qu’il va y avoir du sang à Lyon.

Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?

Il y a des gens qui vont aussi jouer leur carte, comme on l’a vu avec Macron. Des gens qui sont prêts à abandonner un ancrage politique pour des places qu’on leur propose. Certains n’ont pas eu ce qu’ils voulaient sous Collomb, ou ce dernier les bridait dans leur ambition personnelle. Pourtant, la lyonnitude, c’est aussi une gestion apaisée de la vie politique. C’est ce qu’ont découvert les Lyonnais avec Herriot. Il arrive à Lyon, il a une culture lyonnaise qu’a Collomb et est capable d’apaiser cette mémoire politique qui date de la Révolution française. Cet apaisement, il le réussit grâce à une belle offre économique, la foire de Lyon, il rejoue la carte du 8 septembre et du Vœu des échevins. Même s’il n’y va pas, il laisse ses élus s’y rendre. On revient aux trois piliers de la lyonnitude. Tout ça permet à Herriot d’être “Doudou”. Ce même Doudou qui, par son expérience nationale, va enrichir la ville de Lyon.

Et Gérard Collomb ?

Il y est allé un peu parce que le PS ne lui a jamais accordé ce qu’il voulait. Il a promu Macron et ce dernier lui doit beaucoup. On l’a vu lorsque Macron a touché Collomb façon roi thaumaturge alors qu’il était en larmes. Puis Collomb a ouvert les yeux, il a vu que le poste était difficile. Il était toujours fourré à Lyon, car son cœur était là. Il savait qu’il reviendrait. Il a joué sur deux tableaux et pendant ce temps-là, les appétits sont nés. On a découvert que ceux qui occupaient les postes le faisaient correctement et maintenant il va falloir compter ses troupes. Il y aura forcément des couteaux tirés, car Collomb va se rendre compte que telle personne qu’il a promue ne va plus le suivre, car on lui a promis autre chose. Collomb a aussi la volonté de placer sa femme Caroline. C’est quelque chose qui va falloir gérer avec beaucoup de finesse même si, à mon avis, il va avoir du mal à le faire. Ça ne s’est jamais vu à Lyon et ça va lui demander beaucoup d’énergie. Jamais on n’a vu un côté héréditaire, Lyon est une ville où l’on renouvelle, même lentement. Ce qui m’étonne aussi, c’est que le patronat n’ait pas l’air de savoir tout ce qu’il doit à Collomb. Si le patronat change de camp, c’est que la confiance a changé de camp aussi. Ces signaux m’interrogent. Gérard Collomb a été un bon maire, il a compris la ville de Lyon, est-ce qu’il n’est pas allé trop loin dans l’exercice du pouvoir ?

Comment voyez-vous la suite ?

C’est une période intéressante, mais je ne crois pas que ça préoccupe beaucoup les gens. Ça tient en haleine surtout ceux qui sont directement liés à tout ça, mais les gens s’en foutent. Globalement, ce qui les intéresse, c’est de savoir si l’essence ne va pas trop augmenter, leur retraite va-t-elle suffire, est-ce que leurs enfants auront du travail, est-ce qu’ils auront assez d’argent pour finir le mois ou partir en vacances ? La France perd sa dimension politique. Lyon était une ville très politique, mais la vie municipale a été plutôt cool et on a perdu cela. On a Collomb depuis vingt ans, il y avait des campagnes électorales de temps en temps, ça chauffait un peu dans les rues entre les militants puis ça retombait. Là, il y a une crise nationale. Est-ce qu’elle va se transférer au niveau local ? Va-t-elle être étouffée par un Collomb conquérant ou sera-t-il marginalisé ? Personnellement, je crois que Collomb est en guerre, il est en guerre !

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