Quenelles Giraudet sortant du four © Tim Douet
Quenelles Giraudet sortant du four © Tim Douet

Histoire de la quenelle de Lyon, la vraie, celle qui se mange

En matière de quenelle, on commence à se mélanger les pinceaux. À Lyon, la vraie quenelle se mange depuis des siècles.

Dans les médias, une quenelle en a chassé une autre, mais celle qui se mange ne disparaîtra jamais tant elle reste liée à l'histoire de Lyon depuis des siècles. Pourtant, difficile de ne pas attirer quelques regards réprobateurs lorsque l'on assume publiquement "aimer faire des quenelles", obligeant rapidement à préciser de "Lyon", pour ne pas rappeler l'autre geste.

Dans son Histoire(s) de la gastronomie lyonnaise, ouvrage de référence incontournable, Yves Rouèche rappelle : "La quenelle a toujours existé, mais sous des formes et des saveurs diverses. Une préparation apparentée à la quenelle est évoquée dans De re culinaria d'Apicius, célèbre gastronome romain du Ier siècle. Elle était composée de chair de poisson, crustacé, ou coquillage, broyée, assaisonnée et additionnée d’œuf avant d'être moulée et cuite dans l'eau bouillante". Elle ne s'appelle alors pas quenelle, était vraisemblablement de forme ronde et restera à travers les temps sous le nom de boulette.

Au XVIIIe, elle est désormais ovale, comme celle que l'on connait aujourd'hui, prenant enfin le nom de quenelle. Le mot serait vraisemblablement tiré de l'allemand "knödel", une petite boule de pâte. Dans son ouvrage, Yves Rouèche résume : "la boulette romaine a transité par l'Allemagne et l'Alsace, a pris une forme ovale et est devenue quenelle".

Surpopulation de brochets et pâte à choux

La quenelle lyonnaise serait apparue autour des années 1830, inventée par... un pâtissier, Charles Morateur, selon Felix Benoit dans La Cuisine des Traboules (1983). Les eaux de la Saône étaient alors envahies par les brochets et on pratiquait la pêche intensive pour tenter de réguler la population. Le pâtissier aurait eu alors l'idée de mélanger le poisson à de la pâte à choux. Durant la même période, la Mère Brigousse servait sa spécialité dans son restaurant de Charpennes, "les tétons de Venus", des quenelles énormes en forme de sein. Pendant un siècle, les quenelles resteront avant tout une affaire de pâtissier, jamais loin pour les préparer.

La révolution d'un charcutier et d'un chocolatier

On retrouve la mention de "quenelle de poisson à la lyonnaise" en 1890 dans le Dictionnaire universel de cuisine. Elle se compose alors de brochet, de gras de bœuf, et donc de pâte à choux. D'autres vont échanger le brochet par de la volaille ou du lavaret (un poisson), voire du lapin. Le gras de bœuf sera remplacé par du beurre dans les années 1920 suite à l'idée de Joseph Moyne, un charcutier, associé à un chocolatier nommé Rousseau. Néanmoins, elle est plus difficile à mettre en forme. Joseph Moyne "imagine un nouveau moyen pour former ses quenelles à l'aide de deux cuillères spéciales, l'une plate l'autre incurvée, ce qui confère aux quenelles lyonnaises artisanales leur forme pointue caractéristique", précise Yves Rouèche dans son livre. Moins, grasse, elle prend même le nom de "quenelle de régime" dans un premier temps, avant d'être définitivement la quenelle lyonnaise. Les plus grandes restauratrices de l'époque comme la Mère Brazier n'hésitaient pas à la mettre à la carte de leurs établissements étoilés. La même mère Brazier qui aimait servir ses quenelles avec de la sauce Nantua, à base d'écrevisse. Juste avant-guerre, la quenelle n'est plus une affaire de pâtissiers, les charcutiers ont pris le monopole. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les restrictions entraînent l'apparition de la quenelle nature. La base reste de la même encore aujourd'hui, farine, beurre, lait, et si l'on souhaite perpétuer la tradition : chair de brochet, pour une quenelle qui restera dans l'histoire.

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