©PHOTOPQR/LE PROGRES/Photo Stephane GUIOCHON (via MaxPPP)

Lyon : le tribunal de commerce inquiet des conséquences des Gilets Jaunes

Dans un entretien accordé à Lyon Capitale, Michel Thomas, le président du tribunal de commerce de Lyon, dresse le bilan 2018 de l’activité consulaire lyonnaise et trace les objectifs et perspectives 2019.

Lyon Capitale : Quel bilan de l'activité du tribunal de commerce faites-vous pour l'année 2018 ?

Michel Thomas : Nous avons deux activités au tribunal de commerce. La première, médiatiquement plus sur le devant de la scène, touche aux défaillances d'entreprises et aux procédures collectives, soit 30 % de notre activité. La seconde, beaucoup moins populaire aux yeux des médias, représente 70 % de notre activité. C'est ce qu'on appelle le contentieux général, c'est-à-dire les procédures qui opposent les commerçants entre eux, aux établissements de crédit ou les litiges entre associés. C’est le travail commun, habituel du tribunal de commerce de Lyon. Pour l'année 2018, nous avons observé une diminution tendancielle du nombre de dossiers traités. Pour vous donner un exemple, il y a dix ans, chaque juge rédigeait une cinquantaine de jugements par an. Aujourd'hui, on en est à la moitié.

Comment expliquez-vous cette baisse du contentieux général ?

Je vois plusieurs raisons à cela. Il y a d'abord la crise économique : on se dit que ce n’est pas la peine d'intenter un procès si on sait qu'on ne pourra au final pas être payé et recouvrer son dû. Il y a ensuite le rôle grandissant des procédures participatives, à savoir les négociations entre avocats sans passer par la case tribunal. Ça se développe et c’est une chose positive. Enfin, il y a le développement à marche forcée des MARD (modes alternatifs de règlement des différends), l'un de mes dadas. Le principe est que tout litige, quel que soit son objet ou son montant, est susceptible d'une tentative de règlement amiable. Autrement dit, le tribunal de commerce convoque systématiquement les parties à une audience de conciliation. C’est mon prédécesseur, Yves Chavent, qui a mis en place cette pratique, je l'ai “industrialisée”. La matière commerciale s’y prête, les professionnels ayant intérêt à privilégier une issue négociée plutôt qu’un procès plus long et aléatoire pour résoudre leur litige. Résultat, il y a trois ans, nous avions 3 % des dossiers entrants en affaires nouvelles qui sortaient par accord négocié. On en est à 18 % aujourd'hui, ce qui représente 206 dossiers.

Il est aisé d'imaginer que ces procédures de conciliation participent au désengorgement du tribunal de commerce. Quelle est justement la réalité de l'engorgement du tribunal de commerce de Lyon ?

Nous n'avons pas d'engorgement. L'année dernière, nous avons enregistré 2 012 affaires nouvelles, en légère baisse (-2,71 %), 2 043 affaires en cours (-1,02 %) et 2 048 affaires terminées (-8,30 %). On a un peu déstocké.

Moins 8,30 % d'affaires terminées l'année dernière, c'est un peu contradictoire, non ? Pourquoi une telle régression ?

Le meilleur moyen de déstocker consiste à améliorer le délai de rendu de nos décisions après audience. L'idée serait de le descendre à cinq semaines, c’est en tout cas mon objectif. Or nous n'y sommes pas à ce jour, le délai moyen étant de sept semaines. Mais nous revenons de loin, il y a quelques années en arrière, nous étions encore entre dix et douze semaines. Pour résumer, je peux donc dire que de nombreux signaux sont au vert, un, parce que nous avons amélioré ce délai moyen de rendu de décision, deux, parce que le nombre d'affaires nouvelles au tribunal est en baisse.

Beaucoup d'entreprises lyonnaises ne déposent pas ou plus leurs comptes au tribunal de commerce, formalité pourtant obligatoire. Pourquoi ?

Le dépôt des comptes annuels est une formalité obligatoire pour toutes les sociétés commerciales. A Lyon, les injonctions de dépôt des comptes annuels, que nous faisons directement par ordonnance, a augmenté de plus de 97 %. C'est énorme. Une fois sur deux, les chefs d'entreprise, surtout les petites, ne déposent pas leurs comptes tout simplement parce qu'ils n'en disposent pas  faute d'avoir payé leur comptable. Le non-dépôt des comptes est donc bien, de mon point de vue, élément de détection de difficultés financières. Mais bien souvent aussi, le dirigeant ne veut pas que ses comptes soient rendus publics car, dit-il, si ses comptes sont publiés au vu et au su de tous, et pour peu que le résultat soit positif, ses clients vont lui demander de baisser ses prix. Je le comprends.

C'est toute la question de la transparence économique. Quand vous dites que vous comprenez les dirigeants qui ne publient pas leurs comptes, se mettant de fait hors la loi, cela signifie-t-il que vous êtes contre cette obligation légale ?

Je suis juge, qui plus est président du tribunal de commerce, j’applique donc la loi et la fais respecter. Mais, effectivement, je comprends l'attitude des dirigeants qui me disent : “Vous me demandez de mettre mes comptes à la disposition du tribunal, d'accord. Mais si mes comptes sont publics, mes clients vont regarder mon chiffre d'affaires, me dire que je suis trop cher et donc me pousser à leur faire un rabais.” Cela est à mettre en parallèle avec l'attitude incompréhensible du Gouvernement et du Parlement qui souhaitent dans le projet de loi Pacte porter à 8 millions d'euros le seuil d'audit légal obligatoire des entreprises par les commissaires aux comptes et d'en dispenser celles qui sont en dessous. Cette mesure est inutile et surtout inefficace, car en réalité ce seront les prêteurs qui diront : Je ne prête que si les comptes sont certifiés. Pour ma part, je milite plutôt pour que ce soit le seuil de l'obligation de publier les comptes déposés qui soit porté à 8 millions d'euros. Je l'ai dit au ministère des Finances, et à la Chancellerie, sans aucun retour jusqu'à présent.


“Le tribunal de commerce, c'est pas les pompes funèbres, c'est le service d'urgence”


Vous avez parlé du contentieux général du tribunal de commerce de Lyon. Qu'en est-il des procédures collectives ?

Comme je vous l'ai dit, les procédures collectives représentent 30 % de notre activité. Premier cas de figure, nous ouvrons une procédure collective sur assignation d'un créancier qui n'a pas été payé (526 l’année dernière). Deuxième cas de figure, le tribunal de commerce est saisi par le Parquet, par exemple si un salarié qui a gagné son procès aux prud'hommes n'arrive pas à se faire payer (32 l'année dernière). Mais les situations les plus fréquentes concernent les déclarations de cessation de paiement, c'est-à-dire quand l'entreprise est dans l'impossibilité de régler ses dettes avec son actif disponible (923 l'année dernière). Si on regarde maintenant les 1 300 jugements ayant ouvert une procédure collective l'année dernière, on relève 30 ouvertures de sauvegarde, 160 redressements judiciaires, le reste étant des liquidations judiciaires sèches. Au total, on a eu une baisse de 5 % des procédures collectives. Mais le constat général c'est qu'on a des affaires beaucoup plus importantes, dans lesquelles le nombre cumulé des salariés concernés est passé de 3 200 à 4 500.

“En matière commerciale comme dans le domaine médical, c'est pris le plus tôt possible que les maux sont les mieux soignés”, a déclaré le procureur lors de l'audience solennelle de rentrée du tribunal de commerce, à propos de l'augmentation massive du nombre de procédures de sauvegarde...

On a effectivement quasiment doublé le nombre de sauvegardes. J'en suis très heureux et je valide complètement l'avis du procureur : le tribunal de commerce, c'est pas les pompes funèbres, c'est le service d'urgence. On est dans notre rôle premier : l’accompagnement et l'aide des entreprises en difficulté qui viennent se placer sous la protection du tribunal. Mais je souligne un petit bémol, le tribunal de commerce de Lyon étant aussi tribunal de commerce spécialisé (TCS), c'est-à-dire compétent pour les entreprises les plus importantes, celles qui emploient au moins 250 salariés et dont le montant net du chiffre d’affaires est d’au moins 40 millions d’euros. Il y a donc eu des dossiers venus de toute la région Auvergne-Rhône-Alpes, mais c'est la loi de 2016, portée par Emmanuel Macron, alors ministre de l'Economie, qui a créé des tribunaux à deux vitesses et laisse supposer que les “petits” tribunaux de commerce seraient incapables de traiter ce type d'affaire. C'est absolument déplaisant et vexatoire pour ces tribunaux qu'on a dessaisis.

Le groupe de livraison de produits surgelés Toupargel a été placé en procédure de sauvegarde par le tribunal de commerce de Lyon le 31 janvier dernier...

Une procédure de sauvegarde a été ouverte pour la holding du groupe et les filiales ont été placées en redressement judiciaire. Une période d'observation de six mois, renouvelable, a été ouverte. C'est un dossier considérable, car la société est cotée en Bourse et compte plus de 3 000 salariés. Il appartient aux dirigeants, avec le concours des administrateurs judiciaires qui ont été désignés et sous le contrôle des juges commissaires de proposer les mesures de redressement nécessaires. Je note avec satisfaction le soutien apporté publiquement par les salariés à leurs dirigeants. C'est un facteur très positif.

Vous attendez-vous à une recrudescence d'affaires liée au mouvement des Gilets jaunes ?

Globalement, l'activité économique en France ne se porte pas bien, ce n'est pas uniquement lié au mouvement des Gilets jaunes, mais il est fortement probable que ce mouvement social n'arrangera rien. Nous n'en avons pas encore beaucoup vu les effets au tribunal de commerce, mais je m'attends à avoir plusieurs ouvertures de procédure collective directement liées aux Gilets jaunes dans les mois qui viennent. C'est comme si Noël et les fêtes de fin d'année n'avaient pas eu lieu. Il y a énormément de petits commerçants qui se retrouvent en difficulté financière. Ça touche à la fois des petits commerces mais aussi des PME qui n'ont pas pu s'approvisionner normalement. Déjà qu'il n'y avait plus de croissance depuis septembre, je ne serais pas étonné qu'au quatrième trimestre on assiste à une nouvelle chute du taux de croissance.

Chiffres 2018

Contentieux général
Affaires nouvelles : 2012 (-2,71%)
Affaires en cours : 2 043 (-1,02%)
Affaires terminées : 2 048 (-8,30%)

Les procédures collectives
Jugements de liquidation judiciaire :  1 111 (-7,11%)
Jugements de redressement judiciaire : 161 (-13,44%)
Jugements de sauvegarde : 30 (+87,5%)

Salariés concernés : 4 238 (+35,42%)

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