Une Lyon Capitale mars 2019

Des colères aux initiatives

Est-ce déjà la fin du monde ? Se pencher sur le mouvement des “collapsologues” pour établir des scénarios plausibles d’effondrement de notre modèle de société dans les années à venir, en 2030 (demain pour nous) ou en 2050 (demain pour nos enfants), c’est forcément se pencher sur l’état de notre société actuelle, constater ses impasses et chercher les signaux d’espérance, ou au moins de mutation. L’impasse climatique, les Lyonnais commencent à bien la percevoir, dans une ville où la température a déjà gagné en moyenne plus de deux degrés.

La question n’est plus de savoir si ce mouvement va continuer, mais si nos enfants connaîtront le climat actuel de Madrid, ou celui d’Alger. À la tête de la métropole, David Kimelfeld assure en avoir pleinement conscience et promet d’en faire le cœur de son grand projet, destiné à le sortir par le haut du conflit parricide qu’il a engagé avec Gérard
Collomb. Mais la réponse politique et institutionnelle ne peut pas être à la hauteur de l’enjeu, devant des défis qui demandent des changements profonds de nos modes de vie. Or rien ne sera possible si l’on ne surmonte pas l’impasse démocratique, quand de moins en moins de citoyens se sentent pris en compte, et l’impasse sociale alors que, loin de se réduire, les fractures se creusent. C’est ici que les problèmes de fin du monde et de fin de mois se rejoignent, et appellent à voir le mouvement des Gilets jaunes comme une chance, l’occasion d’enfin réinventer un mode de fonctionnement démocratique qui n’exclue pas la majorité des citoyens. À une condition : le mouvement des Gilets jaunes ne transformera pas la société s’il ne se transforme pas lui-même. Car aucun mouvement ne peut s’affranchir de ses dérives. Certes, les donneurs de leçon sont rarement dénués d’arrière-pensées et le Gouvernement jamais le dernier à s’engouffrer dans la brèche. Raison de plus pour ne pas tendre le bâton. Tous ceux qui ont organisé des manifestations savent qu’on n’est jamais à l’abri d’un débordement. Mais, lorsqu’ils sont systématiques, c’est que tout n’est pas fait pour les éviter.

Les Gilets jaunes des ronds-points ont rapidement compris la nécessité de mettre en place leur service d’ordre, pour éviter les dérapages du début du mouvement autant que les prises de risque inconsidérées. C’est grâce à eux que le mouvement reste populaire. Les Gilets jaunes des défilés sauvages du samedi, qui jouent au chat et à la souris avec les services de police et offrent aux “antifas”, provocateurs, haineux et autres cagoulés l’opportunité de piller des commerces ou de caillasser un équipage de police, sont en train de devenir les idiots utiles de leur propre mouvement. Tout comme ceux qui ne sont “ni racistes ni antisémites” mais qui refusent de nettoyer les rangs parce que “tout le monde a sa place dans le mouvement”.

À l’inverse, le mouvement compte aussi beaucoup de talents qui peuvent l’aider à réussir sa mutation. Et peut-être qu’une vieille connaissance des lecteurs de Lyon Capitale peut les y aider : en 2004, Hervé Chaygneaud-Dupuy défendait l’idée d’un tirage au sort des élus dans Lyon Capitale, qui avait été intéressé par ses “ateliers de la citoyenneté” et en avait fait sa “grande gueule”. “Étienne Chouard avait lu cet entretien et on s’était rencontrés, c’est comme ça qu’il a été convaincu par le tirage au sort, et qu’il s’était saisi du sujet… Hélas avec les dérives que l’on sait, même si je pense qu’on en rajoute sur lui.” Quinze ans plus tard, Hervé Chaygneaud-Dupuy est toujours convaincu que ce ne sont pas les traditionnels corps intermédiaires qui pourront “raffiner l’énergie brute issue du mouvement des Gilets jaunes”.

De ses échanges sur les ronds-points, il ressort convaincu de l’opportunité unique que représente ce mouvement. “Tous les mouvements aident les gens à se politiser. On a beaucoup dit que les Gilets jaunes étaient des individualistes, tournés vers la bagnole. C’était peut-être ça, mais ils se découvrent, ils échangent, ils s’organisent. C’est gagné, ça. J’aimerais que ça se transforme. La fraternité du rond-point est une chose, la fraternité du périurbain est à inventer. Je ne crois pas au RIC. La plupart des sujets ne se résolvent pas par oui ou non, il faut trouver des compromis, inventer des solutions. Et c’est là où le citoyen peut être impliqué et utile, pas seulement pour trancher en bout de course.” D’où l’expérimentation qui sera menée le 2 mars par un collectif d’associations citoyennes*. Une dizaine d’animateurs expérimentés se proposent d’accompagner des ateliers pour imaginer des solutions concrètes, locales, et définir des pistes d’initiatives. La démarche est à suivre, comme toutes celles qui peuvent nous sortir des impasses actuelles, autant sur le terrain des fins de mois que de la fin du monde. Les deux sont sans doute beaucoup plus liées qu’on ne le pense et appellent des solutions nouvelles, sauf à nous voir appuyer sur l’accélérateur alors que l’on fonce dans le mur.


* Débat Des colères aux initiatives – Samedi 2 mars de 14h à 17h30 à La Gourguillonnaise, 4 rue Commandant-Ayasse, Lyon 7e.


[Editorial de Lyon Capitale n° 786 – Mars 2019 – en kiosques le 22 février]

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