Jean-Paul Bret (PS)
Jean-Paul Bret (PS) © Tim Douet

Conflit entre Villeurbanne et le Quai d'Orsay sur le Haut-Karabagh

Le 18 juillet dernier, Jean-Paul Bret a adressé une lettre à Jean-Yves Le Drian, le ministre des Affaires étrangères pour maintenir le soutien de la ville de Villeurbanne à celle de Chouchi, ancienne capitale de l'Arménie située dans le territoire du Haut-Karabagh revendiqué depuis les années 1990 par l'Azerbaïdjan. Une missive envoyée alors que le Quai d’Orsay souhaite interdire les soutiens à cette région.

Le 18 mai 2015, la ville de Villeurbanne a signé une charte d'amitié avec la ville de Chouchi dans Haut-Karabagh, un territoire peuplé à 95% d’Arméniens revendiqué par l’Azerbaïdjan. Chouchi est surtout l’ancienne capitale de l'Arménie historique. La république azérie mène un intense lobbying en France pour faire annuler ces documents. Comme le rappelle le journal Le Monde dans un article consacré à ces chartes, l’Azerbaïdjan est le principal interlocuteur commercial de la France dans la région du Caucase et dispose d’importantes ressources énergétiques. Les 12 juin et 9 juillet dernier, Jean-Paul Bret est relancé par deux fois par la préfecture du Rhône qui lui demande d’abroger sa charte d’amitié et décidé alors d’écrire directement à Jean-Yves Le Drian, le ministre des Affaires étrangères.

Un lobbying azéri ?

Lors du dîner du Conseil de coordination des organisations arméniennes de France (CCAF) Emmanuel Macron avait dénoncé ces chartes d'amitié : “C’est une obligation juridique, autant qu’une question de principe, qui implique que nous ne puissions pas reconnaître les accords signés entre les municipalités ou les collectivités françaises et des autorités de fait du Haut-Karabakh”.

Ce que ne comprend pas Jean-Paul Bret. “L'État met un vrai zèle dans cette affaire. C'est évidemment dû aux intérêts diplomatiques de la France, qui, il faut le dire, vend beaucoup d'armes à l'Azerbaïdjan qui est un pays qui possède des ressources en pétrole et en gaz. Ces intérêts économiques sont visiblement plus forts que ceux avec l'Arménie”, déplore l'élu socialiste. Selon lui la réaction du gouvernement est “disproportionnée”. “L'État essaie d'écraser une mouche avec marteau. Ce qui étonne c'est qu'il ne dit rien sur les chartes d'amitiés avec Taiwan, les villes palestiniennes ou chypriotes et d'autres états n'ont reconnu par la communauté internationale”, déplore-t-il.

Pression administrative

Villeurbanne est contacté pour la 1re fois par les services de l'État en 2016. Le préfet du Rhône lui indique avoir été saisi par le cabinet d'avocats Selas Pardo Sichel et Associés, conseil de l’Azerbaïdjan et explique la charte d’amitié n'est pas conforme “aux engagements internationaux de la France”. “À l’époque, j’avais été étonné du propos au regard du principe d’autonomie des collectivités territoriales. Mais plus encore, j’avais été troublé par ses motivations, puisque la préfecture faisait explicitement référence à l’action d’un cabinet d’avocats, conseil de la République d’Azerbaïdjan”, a écrit Jean-Paul Bret à Jean-Yves le Drian.

Le 24 mai 2018, une circulaire, signée par le ministre de l’Intérieur Gérard Collomb et par celui des Affaires étrangères, a été adressée aux préfets au sujet des chartes d’amitié entre les villes françaises et celles du Haut-Karabagh. Ce texte rappelle “que les collectivités territoriales ne peuvent se lier, par convention ou non, sous quelque forme que ce soit, à des autorités locales étrangères établies dans un cadre institutionnel non reconnu par la France”. Sur ce fondement, des municipalités ont été poursuivies depuis pour avoir maintenu leur charte d'amitié avec une commune du Haut-Karabagh. Dans plusieurs décisions, la justice a invalidé ces chartes au motif qu'elle porte “sur une affaire relative à la politique internationale de la France et à son intervention dans un conflit de portée internationale, compétence qui relève exclusivement de l’État, en vertu de l’article 52 de la Constitution.”*

Le maire de Villeurbanne assure qu'il ne retira pas sa charte comme d'autres élus ont pu le faire par anticipation : “Les élus de Villeurbanne ne seront pas les supplétifs du ministère des Affaires étrangères. En conséquence de quoi, avec ou sans charte, quelle que sera votre action auprès des tribunaux et quel qu’en sera le résultat, nous maintiendrons nos relations d’amitié avec la ville de Chouchi”. Il s'attend désormais à une procédure administrative contre son texte et promet que si tel était le cas “il cherchera à le médiatiser”. Ce qu’il a déjà commencé à faire.

*29 mai : tribunal administratif de Cergy-Pontoise 

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