Lyon : "Nous voulons des arbres place des Terreaux !"

Place minérale où le soleil tape sans retenue, Terreaux est régulièrement pointée du doigt lors des épisodes de canicule. Lorsque certains citoyens demandent la végétalisation de la place, on leur répond que c'est impossible pour des raisons de droit "de respect de l'oeuvre". Pour Bruno Charles (EELV), cet argument ne tiendrait pas juridiquement. L'élu a écrit une tribune libre militant pour l'arrivée des arbres place des Terreaux. 

Note de la rédaction : Bruno Charles, vice-président de la métropole de Lyon en charge du développement durable et de l'agriculture, a soumis cette tribune libre à la rédaction de Lyon Capitale. La question de la végétalisation de la place des Terreaux revient régulièrement dans le débat public, tout comme le fait que cela serait impossible à cause du droit "de respect de l'oeuvre" de l'artiste Daniel Buren. Si des élus, groupe politique, architectes, artistes... souhaitent réagir à ce débat, nous ne manquerons pas de revenir sur ce sujet et d'offrir un espace équivalent à d'autres tribunes libres si elles se présentaient. 


Tribune libre de Bruno Charles - Pendant les canicules, les travaux continuent place des Terreaux ! Depuis son inauguration en 1995, les malfaçons et les travaux à répétition n'ont cessé de perturber la vie des riverains et des usagers. Certaines des 69 petites fontaines ont rapidement été en panne, le sol de la place est en permanence dégradé, la fontaine Bartholdi s'enfonçait, etc.

Les travaux en cours amélioreront sans doute la situation, mais ne régleront pas les erreurs graves de conception. En effet, que l'on aime ou pas l'esthétique de cette place, elle souffre de deux défauts majeurs :

  • la place n'offre aucune possibilité aux familles et aux enfants pour s'asseoir autre que les terrasses de café qui la bordent. Si vous ne pouvez pas payer, circulez ! Ce n'est pas notre conception d'une place publique où les familles et les enfants doivent pouvoir s'arrêter, se poser, discuter librement sans être forcés à consommer
  • en second lieu cette place entièrement minérale est la pire de la presqu'île en termes d'îlot de chaleur urbain. En période de canicule, c'est une horreur et cela va s'aggraver.

Terreaux végétalisée pour être vivable en été

Or, on le sait, les canicules vont se multiplier et augmenter en intensité dans les années à venir. La place des Terreaux doit donc impérativement être végétalisée pour être vivable en été, pour rester une des principales places publiques au cœur de notre cité.

On objectera que la place est construite au-dessus d’un parking et qu’il est impossible d’y planter des arbres. C’est un faux problème, il existe des solutions techniques et de toute façon, on peut végétaliser la place de nombreuses façons différentes.

Surtout, la ville de Lyon et la métropole se disent contraintes par un contrat signé entre le concepteur, l'artiste Daniel Buren, et la ville, lors de la mandature de Michel Noir. Selon elles, Buren serait propriétaire de l'image de la place et pourrait interdire à la ville de la modifier sans son accord.

Cet argument ne résiste pas à l’analyse juridique :

  • en premier lieu, la plus haute juridiction administrative française, le Conseil d'État, a affirmé dans un arrêt du 13 avril 2018 que l'image du domaine public n'est pas un bien, et qu’elle n’est donc pas susceptible d'appropriation. Un contrat qui conférerait à un tiers la propriété de l’image du domaine public serait donc dépourvu d'objet, et par conséquent entaché de nullité.

  • Ensuite, la Cour de cassation a jugé (cf analyse de Me Lussiana ci-dessous) que la place est, en soi, un lieu historique, comportant des éléments remarquables (l'Hôtel de Ville, le Palais Saint-Pierre, la fontaine Bartholdi), qui sont librement reproductibles, car ressortissant du domaine public. L’œuvre de MM Buren et Drevet se "fond" dans l’ensemble.

  • Enfin, à supposer que ce contrat ne règle que les modalités de respect du droit moral que tout artiste a sur son œuvre, ce droit moral de l'artiste n'implique pas un droit à "l'intangibilité" de l'œuvre, qui doit pouvoir évoluer même sans l'accord de l'auteur. Et c'est encore plus vrai quand cette œuvre est intégrée à une place publique, qui doit pouvoir évoluer en fonction des nécessités découlant de son affectation à l’usage du public.

Il serait d’ailleurs contraire à toute notre tradition juridique qu'une personne privée, fut-elle artiste, puisse imposer sa volonté sur le domaine public, au détriment de l'intérêt général et de l'usage normal de cette place.

La ville peut donc en réalité parfaitement végétaliser cette place, y planter des arbres pour l'ombrager et installer des bancs au pied de ces arbres, sans que des arguments juridiques puissent faire obstacle à la volonté politique.

La ville et la métropole de Lyon peuvent et donc doivent végétaliser la place des Terreaux, planter des arbres, poser des bancs pour préserver la vie sur cette place qui sans ça deviendra chaque été un four invivable.


Le point de vue de Me Mylène Lussiana, avocate :

Lorsqu’une œuvre s’incorpore à un lieu public, le juge s’efforce de concilier des droits parfois antagonistes : le droit moral de l’architecte au respect de son œuvre, les exigences de la domanialité publique (lieu public, non susceptible d’une appropriation privée), et celles de l’affectation au public (adaptabilité) et de l’intérêt général.

S’agissant de la place des Terreaux, réaménagée par Daniel Buren et Christian Drevet en 1994, la Cour de cassation a énoncé en 2005 que leur "œuvre" se limite à l’alternance orthogonale de 69 mini fontaines de marbre, bordés de 14 piliers (Civ. 1re, 15 mars 2005, n°03-14.820). Elle a jugé que la place est, en soi, un lieu historique, comportant des éléments remarquables (l'Hôtel de Ville, le Palais Saint-Pierre, la fontaine Bartholdi), qui sont librement reproductibles, car ressortissant du domaine public. L’œuvre de MM Buren et Drevet se "fond" dans l’ensemble, lequel est librement reproductible sans leur autorisation (au cas présent, par des éditeurs de cartes postales).

À supposer même que le fait de planter des arbres et d’implanter des bancs publics sur la place des Terreaux puisse être considéré comme une atteinte à leur œuvre – ce qui resterait à démontrer, sur le plan juridique – la jurisprudence considère également que le droit moral de l’architecte ne doit pas aboutir à figer, pour l’éternité et de manière absolue, un ouvrage public.

Le Conseil d’État considère ainsi que le propriétaire d’un ouvrage public peut légalement porter atteinte au droit moral de l'architecte à la condition que l'altération de l'œuvre soit rendue strictement nécessaire par un motif légitime (esthétique, technique ou de sécurité publique) tiré de l'adaptation à des besoins nouveaux ou de l'évolution du service public (CE, 11 sept. 2006, n°265174).

À cet égard, le changement climatique pourrait constituer un motif nouveau et novateur : on sait que le phénomène des îlots de chaleur urbains, qui limite le refroidissement nocturne, va amplifier les vagues de chaleur et de canicule que connaissent les centres urbains. Il conduit les municipalités à végétaliser les villes : tout le débat juridique résidera donc dans l’appréciation du caractère « indispensable » ou non de l’altération de l’œuvre – à supposer, au préalable, que les modifications apportées soient considérées comme une atteinte à l’œuvre.

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