Dès la fin du XIXe siècle, Lyon est l’une des plaques tournantes de l’anarchisme en France. À la veille de la Première Guerre mondiale, la bande à Bonnot terrorise le pays. Tout a débuté route de Vienne.
Le mouvement anarchiste a durablement marqué la ville de Lyon, que ce soit fin septembre 1870 quand Bakounine et ses soutiens tentent de prendre l’hôtel de ville ou dans les années 1880 avec une série d’attentats. L’assassinat de Sadi Carnot en 1889 par l’anarchiste italien Santo Caserio est le point culminant de cette série avant une vingtaine d’années plus calmes, la mouvance s’étant tournée vers le syndicalisme. Le spectre de l’anarchisme va ressurgir à la veille de la Première Guerre mondiale avec l’émergence d’une bande de criminels dont certains membres vont s’en revendiquer ouvertement : la bande à Bonnot.
L’histoire ne commence pas à Lyon, mais le 14 octobre 1876 à Pont-de-Roide dans le Doubs avec la naissance de Jules Bonnot, passé à la postérité en donnant son nom à son gang. Le jeune garçon turbulent se fait rapidement remarquer par la police. À quinze ans, il est condamné pour pêche avec engin prohibé, quatre ans plus tard, il repasse devant la justice après une bagarre dans un bal. Il se marie en 1901 et parvient à se faire employer par les chemins de fer à Bellegarde. Jules Bonnot multiplie les rencontres avec des anarchistes, ce qui commence à se savoir dans son milieu professionnel. Il est renvoyé et ne parvient pas à retrouver du travail. Il décide alors de se rendre en Suisse où il devient mécanicien, avant de se faire expulser lorsque ses convictions politiques commencent à être connues. Bonnot s’installe donc à Lyon, notamment route de Vienne où il officie comme mécanicien dans un garage. Il se taille alors une autre réputation, celle d’un artiste avec les voitures capable de conduire aussi bien qu’il peut les réparer avec talent. En parallèle, il participe à plusieurs casses avec “Platano”, un Italien. Les relations vont se tendre entre les deux hommes, Platano est retrouvé mort le 28 novembre 1911. Suspecté, Bonnot prend la fuite, échappant de peu à son arrestation à Lyon.
La bande à Bonnot
Prenant la direction de Paris, il va rencontrer plusieurs sympathisants, dont celui qui deviendra son principal complice : Raymond Callemin dit “Raymond la science”. D’autres les rejoindront : Octave Garnier, Eugène Dieudonné, Édouard Carouy, André Soudy et Élie Monnier dit “Simentoff”. Sur fond d’anarchie, la bande à Bonnot voit ainsi le jour, avec une spécialité de taille qui va marquer les esprits : l’utilisation de voitures pour commettre des casses, une première en France. Cette méthode est appliquée le 21 décembre 1911 à neuf heures, au 148, rue Ordener à Paris. Bonnot est au volant d’un véhicule, Garnier, Callemin et un quatrième homme sont chargés de braquer un garçon de recette de la Société Générale et de voler 5 000 francs ainsi que des titres. Face à la vitesse du coup, la police ne peut pas suivre. Le lendemain, la presse ne parle que de cela. “Il semblait qu’au vingtième siècle, avec notre organisation sociale et les forces policières dont nous disposons, il fût impossible que les actes de brigandage puissent s’exécuter en plein jour et en plein Paris” écrit Excelsior.
L’innovation au service du crime
La bande à Bonnot va marquer une escalade technologique en matière de criminalité en France. Les voitures toujours plus rapides commencent à apparaître sur le marché, tandis que les policiers ont encore leurs habitudes “à pied”. Pendant cinq mois, la presse va traiter les casses qui se multiplient avec un mélange de fascination et d’inquiétude. Le 25 mars 1912 à Montgeron en région parisienne la bande vole une limousine Dion-Bouton en train d’être convoyée vers le sud de la France. Bonnot au milieu de la route arrête la voiture. Surgissent Garnier et Callemin qui tirent sur le conducteur et le passager, un seul survivra. Au volant, la bande se dirige vers la succursale de la Société Générale de Chantilly. La méthode ne change pas, Bonnot attend dans la voiture tandis que ses complices s’occupent du braquage. À l’intérieur, c’est un massacre, deux employés sont abattus, la bande repart avec l’argent de la banque : 50 000 francs. La Société Générale lance un avis de recherche et promet 100 000 francs à toute personne qui permettra l’arrestation des malfaiteurs. La bande se sépare pour éviter d’être retrouvée, mais ses membres vont tomber les uns après les autres, un seul manque à l’appel : Jules Bonnot.
Le 24 avril, Louis Jouin, numéro deux de la sûreté nationale, perquisitionne le domicile d’un sympathisant anarchiste à Ivry-sur-Seine. Par hasard, il découvre Jules Bonnot face à lui. Un échange de tirs éclate. Le criminel abat le policier, mais est touché au bras. Des renforts arrivent, Bonnot s’allonge et décide de simuler sa mort. Les policiers découvrent les deux corps qu’ils pensent sans vie. L’ambiance retombe, Bonnot en profite pour s’enfuir par la fenêtre. Les forces de l’ordre sont ridiculisées. Les médias accusent la police d’avoir laissé partir l’ennemi public numéro un. Certains de ses membres sont résolus, cette fois-ci, Bonnot contre la police, c’est une affaire personnelle.
Le siège de Choisy
Pour trouver Bonnot, les policiers vont chercher ceux qui peuvent le soigner dans un secteur précis. Un pharmacien de Choisy s’est occupé du bras d’un homme blessé le 24 avril. Les faisceaux d’indices se resserrent, Choisy est l’une des plaques tournantes du mouvement anarchiste. Le milliardaire Fromentin a fondé une “colonie anarchiste”, appelée aussi “nid rouge”. Sur les terrains, on retrouve un garage loué à un certain Dubois. C’est une armée de policiers qui se présente le 28 avril 1912 à sept heures et demie pour assiéger les lieux. Guichard, chef de la sûreté, ouvre le cortège, il entre dans le garage et voit Dubois en train de s’occuper d’une voiture. Ce dernier se saisit d’une arme et fait feu sur le policier. Guichard réplique fauchant le garagiste d’une salve dans les pectoraux. En haut des escaliers, Jules Bonnot débarque, revolver à la main, et canarde. L’inspecteur Augène présent dans le garage avec son supérieur est touché au ventre. Guichard ordonne le repli. La nouvelle se répand dans toute la ville : Bonnot s’est retranché. Alors que la messe touche à sa fin, toute personne en possession d’un fusil ou d’une arme converge vers le garage. Plus de 500 individus assiègent le bâtiment, les balles fusent, le garage est canardé, Bonnot répond, tirant à tout va. Le préfet Lépine arrive sur place. On évoque le besoin de mitrailleuses lourdes militaires pour en finir. Dans une étrange ambiance de fête, entre deux verres, les justiciers du dimanche déversent leur peur en tirant au fusil.
La police ne veut pas que le siège dure et décide d’utiliser des explosifs pour faire sortir Bonnot. Comment s’approcher du garage ? On décide de réquisitionner une charrette de foin tirée par un cheval pour servir de bouclier. La première tentative est un échec, l’explosif ne fonctionne pas. À la deuxième tentative, la détonation est ridicule ne faisant aucun dégât. Une caméra filme la scène qui vire au cocasse. Les photographes mitraillent, les clichés donneront lieu à une série de cartes postales.
La charrette effectue un ultime aller-retour, l’ensemble des explosifs fonctionne, le bâtiment est en partie rasé. L’assaut final est lancé. À l’étage, Bonnot a choisi de faire une nouvelle fois le mort en se cachant sous un matelas. Bien que sonné, il ouvre le feu, mais cette fois-ci les policiers ne lui laissent plus aucune chance le criblant de balles. À l’extérieur, une foule de 10 000 personnes s’est réunie. On hurle “À mort, Bonnot !”, le bandit n’a pas encore rendu son dernier souffle même si son état est grave. Alors qu’un lynchage se prépare, les policiers vont protéger le criminel pour l’amener jusqu’à une voiture pour l’hôpital. Il succombera à ses blessures. La foule frustrée se rue sur le garage. La moindre pièce, le moindre éclat sont récupérés, tout le monde veut son petit morceau d’histoire. Celle de la bande à Bonnot vient de s’achever.