Tourne-disque de la marque Teppaz (années 1960)

Teppaz, la platine vinyle inventée à Lyon que le monde s'arrachait

Bien avant Steve Jobs et sa célèbre invention musicale, un Lyonnais créa une platine vinyle mobile devenue légendaire. Teppaz est un nom qui fait encore vibrer les collectionneurs et mélomanes.

Pour la première fois depuis 1986, les ventes de vinyles devraient repasser devant celles du CD. À l’heure du streaming où rien ne reste, l’imposant disque noir, et sa pochette qui prend parfois des allures d’œuvre d’art, effectue un retour en force. L’un des tourne-disques les plus mythiques, encore recherchés par les collectionneurs aujourd’hui, est né à Lyon. Petite valise à emporter partout avec soi : le Teppaz a marqué plusieurs générations.

Marcel Teppaz

Derrière son nom, il y a une famille, Marcel Teppaz, inventeur lyonnais né en 1908. "Self-made man", "une succes story à l’américaine" comme le résume le Dictionnaire Historique de Lyon, Marcel Teppaz est un passionné de mécanique. Son père possède une entreprise de réparation de machines à tisser et l’emmène toujours avec lui. Il perd sa mère alors qu’il est encore jeune et part pendant quatre ans travailler dans l’industrie textile en Italie alors qu’il n’a que dix-huit ans. De retour à Lyon, une fois son service militaire accompli, Marcel Teppaz devient vendeur en matériel électrique, expérience qui lui fera prendre compte qu’il a davantage l’âme d’un dirigeant.

Ainsi, en 1931, il décide d’écrire seul son histoire en fondant son entreprise d’assemblage de matériel radio et produits d’électricité : Teppaz. Les débuts ne sont pas toujours simples, c’est un pionnier dans un monde entre deux guerres, en pleine mutation. Les produits de son catalogue sont importés des États-Unis et pour les écouler, il fait un important travail de porte-à-porte, sans jamais abandonner. L’entreprise s’agrandit, lui permettant d’avoir une trentaine d’employés avant le début de la Deuxième Guerre mondiale. Le succès commence à prendre forme, mais Teppaz est mobilisé en 1939, obligé de fermer son affaire alors qu’il participe à la "drôle de guerre". À son retour, il doit repartir de zéro, huit ans de travail réduits à néant.

Dans le viseur des Allemands

Après la capitulation, son activité va se retrouver dans le viseur des autorités allemandes et collaborationnistes. Vendre des radios, c’est aussi s’exposer aux accusations d’écouler des émetteurs utilisés par la Résistance. Les Allemands interdisent la vente d’amplificateurs au motif qu’il est trop simple de les transformer. En 1941, Teppaz décide donc de développer une nouvelle activité : le tourne-disque électrique, plus besoin alors de tourner une manivelle pour écouter de la musique. Jusqu’à présent, les produits venaient de l’étranger, cependant la guerre a mis fin aux importations. Il est alors le seul en France à en construire, mais rares sont ceux qui peuvent se les offrir.

À la Libération, la demande est forte, l’entreprise ne cesse de grossir et emploie 400 personnes en 1952. Elle s’installe au 170, boulevard de la Croix-Rousse dans une ancienne soierie. Deux autres usines sont ouvertes, une à Montgivray dans l’Indre, et une deuxième à nouveau à la Croix-Rousse. Marcel, par souci de chercher la formule la plus facile et simple d’usage tout en étant financièrement accessible, veut aller plus loin, passer du tourne-disque à l’électrophone, un tout-en-un qui doit combiner la lecture, l’amplification et la restitution grâce à une enceinte. Des produits de ce genre existent déjà, mais ils ne sont pas portables. Il veut son "trois en un", une formule qui sera l’un des slogans de la marque.

Ainsi, en 1955, avec deux de ses employés qui s’occupent du pôle de recherche, Langevin et Jarre (grand-père du musicien Jean-Michel Jarre), ils entreprennent un intense travail de miniaturisation qui aboutit à la création de Présence. Cette valise pour écouter de la musique pèse tout de même cinq kilos, mais elle reste un exploit technologique pour l’époque et son poids ne l’empêche pas de s’écouler à cinq cent mille exemplaires. Teppaz devient un nom incontournable qui dépasse les frontières. La fiabilité de ses produits fait également sa renommée. Acheter du Teppaz, c’est la garantie de ne jamais devoir se rendre chez un réparateur. Mais pour Marcel, il faut aller plus loin dans l’innovation et la miniaturisation. Il invente en 1958 l’Oscar, tourne-disque encore plus portable qui prend une nouvelle fois la forme d’une valise et qui peut fonctionner sur pile dans sa déclinaison Transit de 1959. Si plus tard, l’iPod popularisa la musique numérique, l’Oscar de Teppaz fit de même avec le vinyle. Il s’en vendra des millions.

Tourne-disque de la marque Teppaz (années 1960)

"Lutte des classes par électrophones"

Dans son livre Quand Teppaz faisait tourner le monde, Michel Loude rappelle que ce capitaine d’industrie est aussi un manager sans faille. Il adopte quatre règles pour diriger son entreprise : "- aucune lourdeur administrative et hiérarchique, - aucun titre ronflant, - tout le monde met la main à la pâte, - sobriété et simplicité." Le succès ne démord pas, les effectifs doublent encore pour se porter à 800 employés. Une boutique vitrine est ouverte à Paris au 160, rue Lafayette, servant aussi bien de lieu de réception pour les clients que d’entrepôt.

Pour approvisionner les marchés dans le monde entier, des chaînes de production sont ouvertes en Iran, Afrique du Sud, Mexique, Australie. Paradoxalement, l’Europe est le territoire où l’entreprise rencontre le plus de difficultés pour percer, les constructeurs locaux ne font aucun cadeau à Teppaz, des marques menacent de ne plus fournir les revendeurs s’ils alignent la marque lyonnaise dans leurs boutiques. Plus petit, il devient néanmoins l’ennemi du Hollandais Philips qui voit d’un mauvais œil une certaine agressivité marketing et des produits orientés pour le plus grand nombre. Tout les oppose : "Les appareils Philips étaient protégés par des meubles massifs, imposants… Tandis que Teppaz ne peut offrir au public que de modestes petites valises en carton… c’est presque une lutte des classes par électrophones interposés que se livrent les deux fabriquants", résume Michel Loude dans son ouvrage.

L’ultime consécration

Dans les années 60, le jeune rockeur Johnny Hallyday s’affiche avec sa moto et son Teppaz. De succès, l’Oscar devient le produit d’une génération, tout le monde veut son tourne-disque portable. L’objet s’invite même lors d’un défilé de mode aux États-Unis avec des mannequins qui le portent comme accessoire. Le 3 juillet 1962, le ministre des Finances, Valérie Giscard d’Estaing, remet à Marcel un "oscar", celui de la meilleure entreprise exportatrice française. Deux ans plus tard, le 15 août 1964, il meurt d’une crise cardiaque à l’âge de 57 ans.

Teppaz peut-il survivre sans Teppaz, patron omniprésent qui participe à tout, de la conception à la fabrication ? De nouveaux produits tout droit venus du Japon arrivent sur le marché. Synonymes de modernité, ils dévorent les parts du Lyonnais. Depuis le début des années 60, la cassette concurrence le vinyle, le son est moins bon, mais elle ne s’abîme pas et permet d’avoir des produits encore plus petits (le walkman sera commercialisé en 1979). L’arrivée de la Fnac et Darty va davantage fragiliser Teppaz puisque ces nouveaux géants de la distribution achètent des quantités énormes, mais tirent également les prix de gros vers le bas. L’entreprise accepte de rogner ses marges. Mai 68 achève une structure déjà en difficulté, des cadres sont séquestrés dans l’usine, le marché ne repart pas. En 1971, l’entreprise ferme, et personne ne se doutait alors que près de cinquante ans plus tard, les Oscar et Présence s’arracheraient encore sur les sites d’enchère en ligne. Des tourne-disques indestructibles qui "apportent toujours du plaisir" aux gens, un autre slogan de Teppaz.

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Pour aller plus loin
Quand Teppaz faisait tourner le monde, Michel Loude, aux éditions Jacques André, 2006.

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