Histoire - Lyon n’a pas attendu la décision d’un jury ou de l’ouverture d’une "Cité" pour être déclaré capitale de la gastronomie. De l’Empire romain à nos jours, la ville a toujours su se démarquer par sa tradition culinaire et sa capacité à mélanger les influences culturelles au creux des assiettes. Retour sur deux mille ans d’histoire savoureuse, à déguster sans modération.
En 1935, le critique culinaire Maurice Edmond Sailland, alias Curnonsky, consacre Lyon “capitale mondiale de la gastronomie”. Un titre dû en grande partie à la position géographique de la cité, située au croisement des meilleurs produits du sud-est de la France : “La boucherie tire ses bêtes à cornes du Charolais, ses moutons de l’Auvergne et de la Loire, où leur chair est ferme et parfumée, les volailles viennent de la Bresse, le beurre et le lait du Dauphiné et du Bugey, les carpes des Dombes, les brochets de l’Ain, les truites des vallées des Alpes, les truffes de Valréas et du Ventoux, les champignons du Valromey, enfin, la vallée du Rhône lui apporte tout le cortège de ses excellents fruits et de ses légumes choisis (…). La bonne fée a bien fait les choses, qui s’est jadis penchée sur le berceau de la naissante Lugdunum”. Le critique culinaire ne s’est pas trompé, car Lyon était déjà synonyme de gastronomie au temps des Romains.
Le chef de Lugdunum
Dès l’Antiquité, Lugdunum bénéficiait des meilleurs mets et produits de l’Empire romain, tout en s’imposant comme un carrefour de culture et de métissage où les voyageurs de toutes sortes ne manquaient pas. Il ne fait aucun doute que Lugdunum était déjà bien fourni en restaurants et auberges. Le rassemblement annuel des délégués des soixante nations gauloises au sanctuaire fédéral des trois Gaules permettait de remplir régulièrement les établissements, tout en contribuant au rayonnement de la ville dans tout l’Empire. Des fouilles archéologiques ont dévoilé une inscription mentionnant un certain Septimanus, restaurateur, dont l’auberge se situait dans l’actuelle rue Sainte-Hélène. Mais la fin de Lugdunum marque également le déclin de son aura gastronomique. Avec les invasions barbares du Moyen Âge, la tête n’est plus au banquet et à la bonne chère.
Le pouvoir des bouchers
Il faut attendre la fin du Moyen Âge et le retour de voyageurs en nombre dans la ville pour que Lyon redevienne cité de gastronomie. Elle recouvre de sa superbe grâce aux célèbres foires qu’elle accueille à partir de 1420. Les échoppes se regroupent désormais par quartier, et leurs spécialités donnent leur nom aux rues, à l’image de celle de la Fromagerie qui tire son appellation du marché qui s’y tenait.
Parfois, les professions les plus odorantes et salissantes s’attirent les foudres des habitants. Ainsi, la multiplication des bouchers dans certains espaces n’est pas sans heurts. Car les bêtes sont abattues directement à côté des étals – pratique qui sera interdite en 1432, pour des raisons d’hygiène. Le sol de certains quartiers reste imbibé de sang tout le long de l’année, agissant comme un repoussoir naturel. La solution arrivera en 1538, avec la construction de la grande boucherie de la Lanterne, aux Terreaux. Le sang est alors directement envoyé dans la Saône, tandis que les dépôts vont s’échouer sur les berges du confluent, formant un bouillon de culture odorant les jours de fortes chaleurs.
Craints à cause de leur caractère irascible, les bouchers sont alors les commerçants avec qui il faut compter pour les autorités locales, qui ne peuvent se permettre de les vexer. Le métier de “charcutier” fait également son apparition. Le cochon prend alors une place de choix dans les assiettes, mais personne ne veut d’un marché aux bestiaux sous sa fenêtre. Ce dernier échoue donc également aux Terreaux, en 1576, dont il sera chassé en 1646 avec la construction de l’hôtel de ville. La Renaissance va marquer l’avènement de Lyon comme capitale de la gastronomie. Médecin à l’Hôtel-Dieu en 1532 (avant de se faire renvoyer en 1535 pour absences injustifiées), François Rabelais se régale dans les établissements de la ville. Il en tire son Pantagruel, publié en 1532, qui est un hymne à la gastronomie lyonnaise.
Les premières Mères
L’arrivée des premières “mères” marque une nouvelle accélération dans la réputation lyonnaise. Ces cuisinières au service des notables locaux parviennent à concilier les influences culinaires de la bourgeoisie avec celles du peuple. À l’origine, les Mères œuvraient derrière les fourneaux des plus riches, avant de choisir de devenir indépendantes.
La première que l’histoire a retenue est la Mère Guy, en 1759, dont la guinguette à La Mulatière est spécialisée dans le brochet et la matelote d’anguille. Moins d’un siècle plus tard, c’est au tour de la Mère Brigousse, à Charpennes (de 1830 à 1850), d’attirer les clients affamés et les jeunes hommes avec ses célèbres “tétons de Vénus”, des quenelles en forme de seins. Parallèlement, les petites-filles de la Mère Guy reprennent les recettes de leur grand-mère.
De passage à Lyon en 1837, Stendhal vante à son tour les mérites de la cuisine locale : “Je ne connais qu’une chose que l’on fasse très bien à Lyon, on y mange admirablement, et, selon moi, mieux qu’à Paris […] À Londres, j’ai appris que l’on cultive vingt-deux espèces de pomme de terre, à Lyon, j’ai vu vingt-deux manières différentes de les apprêter.” La ville attire également les brasseurs de bière. En 1836, l’ouverture de la brasserie Georges fait son petit effet, augurant d’une réussite qui perdure encore. Par la suite, c’est au tour de la révolution industrielle de marquer son temps, avec l’avènement du célèbre mâchon lyonnais (voir encadré à la fin de cet article). La multiplication des restaurants et des métiers de bouche rend nécessaire la réunion en un seul lieu des matières premières. C’est chose faite en 1859, avec l’ouverture des halles des Cordeliers, qui ne fermeront leurs portes qu’en 1971.
Eugénie Brazier : Mère parmi les Mères
Les révolutions et empires n’auront pas raison des Mères, qui perdurent à travers les âges. Leur fort caractère n’a d’égal que leur délicieuse cuisine. L’exemple le plus marquant reste la Mère Carron, rue Pierre-Corneille, qui n’hésitait pas à refuser les clients dont la tête ne lui revenait pas. Mais la plus célèbre reste indiscutablement Eugénie Brazier. En 1914, alors qu’elle n’a que 19 ans, elle tombe enceinte sans être mariée. Ne le supportant pas, son père la chasse de la maison. Après avoir placé son enfant chez une nourrice, la jeune Eugénie décide de venir à Lyon pour travailler et œuvre pendant un temps chez la Mère Filloux, rue Duquesne. Âgée de seulement 26 ans, elle ouvre son premier restaurant en 1921, rue Royale. Les notables et hommes politiques se battent rapidement pour avoir une place dans une salle qui ne compte qu’une quinzaine de couverts. Le rythme est effréné et, sur conseil de son médecin selon certaines sources, la Mère Brazier décide en 1928 d’aller s’isoler à Pollionnay, dans un chalet sans électricité ni gaz. Son absence laisse ses clients en état de manque et ils l’implorent d’ouvrir un nouvel établissement. En 1929, elle s’y résout, ce qui lui permettra d’obtenir en 1933 la consécration ultime : Eugénie Brazier sera la première femme à obtenir trois étoiles, pour ses deux établissements. La même année, Fernand Point obtient aussi cette distinction pour son restaurant La Pyramide à Vienne.
Après la Seconde Guerre mondiale, un jeune homme talentueux vient faire son apprentissage dans le restaurant de la Mère Brazier à Pollionnay, puis chez Fernand Point. Son nom deviendra également une légende : Paul Bocuse. Une autre page de l’histoire de la gastronomie lyonnaise va s’écrire, jusqu’à nos jours.
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1925, 1935 : Lyon, capitale mondiale de la gastronomie dans les livres
Derrière le titre de Lyon, capitale mondiale de la gastronomie, il y a un bon vivant, adepte des formules chocs et de la bonne cuisine. Considéré comme l’un des premiers critiques du xxe siècle, Curnonsky publie progressivement après la Première Guerre mondiale un tour de France culinaire en 22 volumes. Accompagné de Marcel Rouff, il ne manque jamais d’éloges sur les bonnes tables de l’Hexagone, versant volontiers dans l’exagération. Mais, une fois arrivé à Lyon, il ne trouve plus de mot assez fort pour décrire les plaisirs ressentis à table. Curnonsky n’a plus qu’un choix : Lyon sera dans son ouvrage de 1925 la capitale gastronomique du monde. Subjugué, il consacrera plusieurs livres à la ville, dont un en 1935 où Lyon est de nouveau qualifié de capitale mondiale de la gastronomie.
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Bouchon et mâchon
L’origine du terme “bouchon” alimente toujours les débats. La plus basique serait tout simplement le bouchon du vin. Pour d’autres, l’appellation viendrait du bouquet de lierre que l’on accrochait à l’entrée des cabarets pour les différencier des auberges. Enfin, certains se plaisent à penser que le mot serait issu du verbe “bouchonner”, frotter les chevaux avec un bouchon de paille, soin qui leur était donné pendant que leurs propriétaires se régalaient dans les restaurants.
Pour sa part, pas de surprise, le “mâchon” lyonnais vient du verbe mâcher. Il apparaît avec la révolution industrielle, époque où les ouvriers comme les canuts n’hésitaient pas à casser la croûte vers neuf heures du matin, avec une énorme collation salée à base des restes du repas de la veille. Progressivement, le mâchon devient un repas à part entière, avec des produits frais accompagnés de charcuteries et autres tripes. Le mâchon commençait parfois par un groin d’âne aux lardons qui, contrairement à ce que son nom indique, était une salade de pissenlits !
rien que la photo "Chateaubriand de boeuf cuit à la braise, pommes de terre croustillantes, sauce béarnaise"...ça donne envie !
vieux caladois / bon bec !
cela me rappelle une chanson écrite dans les années 80 en hommage à Bernard Dimey : que tous les pisses-froid referment leurs fenêtres sur leurs gueules blafardes et leurs soupes sans sel...mais il faut être prudent : j'ai ainsi été victime du syndrome poulet à la crème...