David Kimelfeld lors de l’expérimentation de piétonnisation qu’il a lancée à Lyon

Lyon : Kimelfeld ne fera pas l'Anneau des sciences "projet dépassé"

Exclusif – Dans une interview accordée à Lyon Capitale, David Kimelfeld annonce qu’il abandonne le projet de l’Anneau des sciences et dévoile une partie des alternatives portées dans son grand projet mobilité. Depuis deux ans, le président de la métropole, candidat à sa succession en 2020, montrait de plus en plus de doutes sur la nécessité de réaliser cette autoroute urbaine censée boucler le périphérique de Lyon à l’horizon 2030/2035.

Lorsque David Kimelfeld est élu président de la métropole de Lyon en juillet 2017, il hérite du projet de l’Anneau des sciences porté par Gérard Collomb depuis plusieurs années. Cette autoroute urbaine, dont on parle depuis plus de trente ans, est alors censée boucler le périphérique de Lyon d’ici 2030/2035. À la métropole, les études en cours sur l’Anneau des sciences continuent, une subvention est votée pour réaliser des sondages géologiques et la mise en place de dispositifs de dialogue et de concertation.

Mais le monde a changé, les questions écologiques et climatiques se font plus importantes, David Kimelfeld est régulièrement interrogé sur son soutien ou non à ce projet. Sans se refuser à le faire de manière catégorique, ne souhaitant pas prendre "une position purement dogmatique, sans être capable de proposer des alternatives", il initie progressivement la rupture.

Dans une interview accordée à Lyon Capitale, David Kimelfeld livre une position claire et sans ambiguïté sur l’Anneau des sciences en tant que candidat pour l’élection métropolitaine.

Lyon Capitale : Quelle est votre décision pour l’Anneau des sciences ?

David Kimelfeld : Je ne ferai pas l’Anneau des sciences. C’est un projet d’une autre époque, totalement dépassé, qui a été lancé en 1989 quand notre rapport à la voiture et aux transports en commun était radicalement différent. Il n’y avait pas les possibilités qui nous sont offertes aujourd’hui en matière de modes doux. L’Anneau des sciences ne répond plus aux attentes et aux besoins. Il y répondra encore moins dans 15 ans.

Pourquoi avoir pris cette décision ?

On a regardé tous les scénarios et conséquences autour de l’Anneau des sciences : santé publique, pollution, congestion, financement… rien de positif n’en ressortirait. Tout le monde s’accorde à dire qu’une nouvelle infrastructure routière ne favorise pas la fluidité. Au contraire, l’augmentation des capacités routières induit toujours une augmentation des déplacements en voiture, beaucoup d’études le prouvent. Penser que l’Anneau des sciences va réduire la congestion, c’est faux, c’est une vue de l’esprit. Cette infrastructure ne va pas répondre aux enjeux de mobilité et il serait extrêmement dangereux de faire l’Anneau des sciences et voir ensuite comment les choses vont se passer.

Avez-vous regardé les exemples d’autres métropoles ?

Elles font le même constat, il suffit de voir comment avance ce type de projets ailleurs. Grenoble abandonne sa rocade nord, Marseille a du mal à avancer aussi. D’ailleurs, toutes les métropoles d’Europe et du monde qui ont mis en place de grandes infrastructures routières se trouvent confrontées à des problèmes de saturation du trafic et réfléchissent aujourd’hui à des situations alternatives pour y remédier. Ainsi, à l’inverse, les études montrent qu’une infrastructure en moins réduit le trafic, nous l’avons vu quand le tunnel de la Croix-Rousse a été fermé pour travaux.

Quels sont les autres facteurs qui ont pesé dans cette décision ?

Le deuxième argument est financier : comment la métropole pourrait-elle supporter seule un projet comme celui-là ? Le budget n’arrête pas d’augmenter, au début on parlait de 2 milliards, maintenant c’est 3,2 milliards, à minima, voire 4 milliards ou plus. On sait que les projections financières sont toujours dépassées. L’État a dit clairement qu’il ne financerait pas ce type d’infrastructure, l’Europe aussi. Le bilan est simple : pour le financement, il n’y aura ni l’État, ni l’Europe, ni la région ou le département, rien n’est prévu pour boucler le périphérique dans la loi Mobilités, il n’y a aucun financement de prévu.

Enfin, il y a un enjeu de santé publique et de responsabilité environnementale. Même si ce n’est pas la seule cause de pollution, on connaît l’impact de la circulation automobile. Elle s’aggrave à proximité des axes routiers. On ne peut pas dire aux gens qu’on va améliorer la qualité de l’air et faire un aménagement qui va la dégrader. Et ceux qui pensent qu’enterrer l’Anneau des sciences va régler le problème… Visuellement, c’est intéressant, mais ça ne fait pas évaporer les fumées, ça les concentre. En plus, la loi Mont-Blanc ne permet pas d’avoir des bouchons dans les tunnels, donc la congestion et la pollution seront présentes à chaque entrée des échangeurs.

Vous ne croyez donc pas au mythe de l’Anneau "propre et vert" défendu par Gérard Collomb ?

Oui certains disent que les motorisations vont évoluer, que nous aurons des véhicules électriques ou à hydrogène, mais la pollution, ce n’est pas que la combustion, c’est aussi l’usure des pneus, des freins, de la chaussée. Et puis, les nouvelles motorisations ne régleront pas les problèmes de congestion. Une voiture légère et électrique mettra toujours le même temps pour aller d’un point A à B. Notre vrai enjeu, c’est de proposer des solutions importantes de mobilité.

En tant que président de la métropole, vous avez pourtant maintenu les études sur l’Anneau des sciences, les sondages des sols, des maisons ont été préemptées sur le trajet supposé, vous arrêtez tout dès maintenant ?

Il ne va plus se passer grand-chose jusqu’en mars. Pour des raisons démocratiques, il serait malvenu qu’un candidat mette les bâtons dans les roues d’un processus voté par des élus. Ces études n’auront pas été inutiles. Les sondages du sol peuvent montrer que ce projet coûtera bien plus que les 3,2 milliards d’euros annoncés, que le modèle financier est encore plus fragilisé avec des coûts qui peuvent s’envoler. Un tunnel de 13 kilomètres peut rencontrer des aléas géologiques.

Pourquoi avoir pris autant de temps pour trancher sur le bouclage du périphérique ?

Depuis le début, j’ai dit que j’aurai une position claire quand j’aurai eu les réponses à toutes mes questions. Je voulais expliquer pourquoi je ne le faisais pas, mettre dans le bon sens notre capacité d’investissement pour d’autres projets. On devait aussi valider les bonnes ou mauvaises idées. Par exemple, ceux qui imaginent mettre des voies réservées au bus dans les tubes, ça ne marche pas, sauf à faire des tubes plus larges et encore, il y aura le problème de la congestion aux entrées et sorties. J’avais évoqué cette idée, j’ai compris que ce n’était pas tenable, qu’on racontait des histoires aux gens.

On ne peut pas avoir une position juste dogmatique si on n’offre pas de nombreuses alternatives en matière de mobilité. Ceux qui s’opposent à l’Anneau des sciences, sans le coupler à des positons fortes pour les alternatives, et ceux qui veulent absolument le faire pour le faire, manquent de vision à 15 / 20 ans.

A qui pensez-vous en disant cela ?

Les Verts n’en veulent pas, mais ne poussent pas un grand plan mobilité en parallèle. Pour Gérard Collomb, c’est une solution miracle qu’il utilise pour se dédouaner de ne pas être capable d’avoir des propositions fortes à 10 / 15 / 20 ans. Pour moi, c’est un serpent de mer qui masque une incapacité à faire des propositions concrètes sur le reste. Quand on prévoit de faire une infrastructure en 2035, on ne répond pas aux questions immédiates. Si on dit aux citoyens, "Nous allons régler vos problèmes en 2035 voire 2040", ils vont être impatients que ça arrive (rire).

Un Anneau financé par le péage vous paraît donc impossible ?

Gérard Collomb a affirmé devant le Medef qu’il allait faire l’Anneau des sciences grâce à un péage. Il oublie de dire aux entreprises qu’il n’aura pas de financement, que le péage ne suffira pas et qu’il devra avoir recours à la taxe. S’il fait l’Anneau des sciences, il augmentera la fiscalité, il n’a pas d’autres choix. Financer cette infrastructure routière nous obligerait à tripler la dette de la métropole, et il paraît déjà difficile d’imaginer que les banques acceptent de prêter quatre milliards d’euros pour ce seul équipement.

Gérard Collomb nous parle d’un projet de 3,2 milliards d’euros, alors qu’il coûtera plus, avec un risque de dérapage. Il parle de 364 millions d’euros de revenus annuels grâce à un péage, il se trompe. Ils seront de l’ordre de 60 millions d’euros, soit 6 fois moins. Il parle aussi d’un coût annuel de 75 à 100 millions d’euros étalé sur 30 ans, il se trompe aussi, ça serait plutôt de l’ordre de 150 à 200 millions par an, on passe donc du simple au double. 150 à 200 millions d’euros par an, c’est le montant que la métropole voulait investir pour rattraper le retard d’investissement des 10 dernières années, notamment pour accompagner le financement des communes.

Que pensez-vous de l’idée d’un moratoire sur la question de l’anneau voulu par François-Noël Buffet, candidat Les Républicains à la métropole de Lyon ?

François-Noël Buffet a déjà tous les éléments pour trancher, il n’a pas besoin de faire un moratoire. Il a toujours milité pour un autre tracé plus loin. En clair, pas chez lui à Oullins, mais chez les autres.

Quelles alternatives proposez-vous ?

Je ne pars pas en croisade contre la voiture, elle a toujours une place importante dans les déplacements, personne ne le nie. J’étais avec Éric Piolle, maire de Grenoble, lors d’un débat, il faisait le même constat. On n’est pas là pour chasser les voitures, mais fluidifier la circulation sans attendre 15 ans. Il faut développer massivement les transports en commun, plus confortables, qui fassent réellement gagner du temps. Les habitants, c'est ce qu’ils regardent. Ils veulent des modes qui leur permettent de se déplacer de manière fiable, robuste, en sécurité et moins cher qu’une voiture individuelle. Pour cela il faut étendre les lignes de métro et tramway, renforcer les capacités des lignes de bus, avoir des sites propres, créer un service express de train, des lignes de cars express en étoile, développer les parkings relais. Les 35 gares de la métropole doivent devenir des pôles d’échanges multimodaux, nous devons développer les liaisons fluviales, faciliter la liaison Est / Ouest. On a aussi besoin d’un coup d’accélérateur absolu sur l’autopartage et le covoiturage avec des voies dédiées. Enfin, il faut développer un réseau express vélo ainsi que des parkings sécurisés.

Avez-vous des exemples concrets ?

Par exemple, l’extension de la ligne E, jusqu’à Craponne, on l’a fait chiffrer à 250 millions d’euros. On regarde aussi pour l’extension de la ligne B jusqu’à Feyzin au sud et Rillieux-la-Pape au nord. Pour les tramways, il faut les prolonger vers l’Est, le Sud, aller à Vaulx-en-Velin, Saint-Fons, Villeurbanne, Vénissieux. On regarde aussi des choses avec la région comme les trams-trains de l’Ouest lyonnais. Il faut une fréquence à 15 minutes, ça demande d’élargir à deux voies le tunnel de Deux Amants. On propose aussi d’intégrer ces trois lignes de trains dans le Sytral.

Pour le service express train, nous avons besoin d’une liaison Givors / Part-Dieu avec une fréquence soutenue. Pour les navettes fluviales, nous avons un projet qui partirait du nord de la métropole jusqu’à Confluence via la Saône et un autre de Confluence à la Cité internationale via le Rhône. Ça sous-entend d’avoir des quais pour permettre aux gens de monter et descendre. Cette idée s’inscrit aussi dans un besoin de logistique urbaine. Ce ne sont que quelques exemples, lundi 2 décembre, nous présenterons notre projet complet. Nous avons travaillé sur un document qui fait une centaine de pages et nous dévoilerons sa synthèse.

Le monde économique dont la CCI demande la réalisation de l’Anneau des sciences, que leur répondez-vous ?

La vraie question c’est "comment met-on les moyens pour répondre aux enjeux de la mobilité de demain ?". Les forces économiques sont en capacité de la comprendre. Quand une nouvelle entreprise arrive à Lyon, elle ne me dit pas "si vous ne faites pas l’anneau des sciences, on ne vient pas". La première chose qu’ils me demandent c’est ce qu’on met en transports en commun. Personne ne dit qu’il vient si vous faites l’Anneau. Améliorer la mobilité, c'est améliorer l'attractivité et le fonctionnement des entreprises.

Et l’argument de certains membres du BTP : "pas d’anneau des sciences, pas d’emplois" ?

J’ai pris les devants, je suis allé les voir, on a évoqué le sujet. Ce n’est pas l’Anneau des sciences ou le néant, c’est l’Anneau des sciences ou des autres infrastructures. Le BTP va s’y retrouver, sans doute plus encore, car on sait que les grands projets profitent avant tout aux grands groupes et rarement au tissu local. On ne peut pas être dans un débat caricatural qui voudrait que sans Anneau des sciences, c’est le chômage.

Si vous êtes élus en mars, que mettez-vous en place pour ne pas attendre 2030 ?

On planifie ce qu’on peut faire très rapidement, c’est un plan Marshall de la mobilité. On peut déployer des bus à haut niveau de service, mettre en place des bus express comme c’est le cas à Madrid, inciter financièrement le covoiturage, il faut que les chauffeurs et passagers aient un intérêt. S’il faut, on peut aller jusqu’à un service public de covoiturage.

On peut aller très vite sur un plan massif vélo express, le développement des navettes fluviales, nous avons déjà une discussion avec VNF pour permettre aux bateaux taxis de naviguer à des vitesses plus importantes. Il faudra aussi aller chercher les gens en dehors de la métropole. Aujourd’hui, certains viennent en voiture tous les jours et entrent dans la ville. Cela passera par le déploiement de parcs relais, on a déjà repéré du foncier pour nous permettre d’agir rapidement.

On voit aussi que sur les projets de cofinancements sont possibles avec l’État ou l’Union européenne. Cette dernière revoit ses priorités. Dès le prochain mandat, il faudra monter au combat pour obtenir des financements. Si on vient avec une infrastructure routière, ce n’est pas la peine de perdre son temps, ils ne suivront pas. Par contre, la métropole est déjà présente à Bruxelles via une délégation, nous devons la muscler.

Les verts sont à 20 % dans les sondages, votre abandon de l’Anneau des sciences ne risque-t-il pas d’être vu comme une manière de récupérer cet engouement ?

Non, ma décision est posée, elle s’inscrit dans un processus de réflexion et de documentation, pas une opposition purement dogmatique. Abandonner l’Anneau des sciences, ce n’est pas le plus important, ce qui l’est c’est de proposer un plan de mobilité métropolitain très ambitieux. Un plan à la hauteur des problématiques rencontrées dans cette métropole. Cette décision ne répond pas à un enjeu électoral, c’est un enjeu de santé publique, de transports, de transitions énergétiques. Je propose un engagement fort.

À l’inverse, vous auriez pu continuer de nourrir l’Anneau pour en faire ensuite un cadeau à sacrifier en cas d’accord entre les deux tours…

J’ai des convictions, j’avais promis que je prendrais une décision avant les élections sur une base solide. Il y a plusieurs lumières rouges qui s’allument dès maintenant : santé publique, financement, capacité à proposer des alternatives... On ne peut pas raisonner en matière de calcul électoral. Nous avons perdu vingt ans en restant bloqués sur cet Anneau dont le financement n’existe pas. Quand on regarde tout cela avec recul, ce n’est pas un abandon, c’est une autre façon de bâtir la ville dans l’avenir. Au bout du compte, on sent bien qu’à l’exception de Gérard Collomb qui campe sur sa position, tout le monde se questionne, y compris François-Noël Buffet. Ce même Gérard Collomb qui pense prendre un temps d’avance avec une infrastructure qui a déjà 30 ans de retard.

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