Procès Preynat : “Mi-prêtre, mi-traître”, selon un expert

Mercredi, pour la deuxième journée du procès Preynat, un expert a analysé le comportement du prêtre pédophile. Il a dressé le portrait d’un homme “pervers sexuel”, jamais aidé par sa hiérarchie. Lequel a avoué pour la première fois avoir été violé dans sa jeunesse.

“Bernard Preynat est un pervers sexuel.” Le professeur Debout, expert judiciaire des risques psychosociaux près la cour d'appel de Lyon, a dressé le portrait d'un homme tiraillé entre sa charge pastorale et les faits qu'il a commis. “Pervers sexuel signifie qu'il n'a pas accès à la souffrance de l'autre”, précise-t-il. Cette perversion s’est construite autour de deux termes, selon lui : “le déni” et le “clivage”. Le premier est là pour rendre les choses supportables à Bernard Preynat. Pour lui, la victime n'en est pas une. Il n'a jamais évoqué ce mot durant les trois entretiens avec l'expert. “Il ne pense pas avoir fait de mal. Il dit que ces enfants sont satisfaits de cette tendresse”, décrit Michel Debout. Le second est la tension permanente que vit le prêtre entre sa charge sacerdotale, donc son vœu de chasteté, et le fait de perpétrer des agressions sexuelles. “Il y a d'un côté l'homme de bien et de l’autre le pédophile agressant des enfants. Il est mi-prêtre mi-traître. Il a trahi les autres, mais aussi la hiérarchie ecclésiastique. Être un prêtre, c'est un choix de vie. Du fait du déni, il ne pouvait pas le reconnaître. Il savait bien que c'était grave, interdit parce que c'était un péché de chair. Autrement dit, la question, ce n'était pas de comprendre la souffrance des enfants, mais d'aménager sa conscience vis-à-vis de ses vœux.” Sa vocation pourrait avoir été choisie pour assouvir ses tendances pédophiles : “La prêtrise est une situation sur le plan social qui permet d'éviter de régler sa propre sexualité et d'y répondre socialement. Je ne dis pas que tous les prêtres choisissent la prêtrise pour ça, mais pour lui, c'est une option.”

L’Église doublement coupable, selon Preynat

Dans la gestion de ses émotions, Bernard Preynat serait resté au stade de l'enfance. La faute à “l'image d'une mère inaccessible et peu émotive”. Présent ce mercredi à l'audience, Michel Debout a vu apparaître une autre explication durant les débats. Avant l’intervention de l’expert, au fil des discussions, Bernard Preynat a déclaré pour la première fois avoir été agressé sexuellement durant son enfance. Un fait qu’il n’avait jamais avoué au psychiatre, au cours des trois entretiens. Le prêtre raconte. “J'ai écrit avant l'audience à monseigneur Dubost [le remplaçant intérimaire du cardinal Barbarin, NdlR]. Dans un article, il avait parlé de faits abominables à la paroisse Saint-Luc. L'adjectif m'avait blessé. Je lui ai dit : “Je vais vous dire les faits abominables que j'ai subis quand j'étais enfant. Quand j'ai été victime d'un sacristain de ma paroisse qui m'appuyait sur le sexe en disant “qu'est-ce qu'il y a là ?” Quand j'ai été victime d'un séminariste qui me caressait les cuisses sous les douches. Quand j'ai été victime d'un prêtre au petit séminaire entre la 6e et la 4e””, lance le prêtre dans une forme de soulagement, acculé après des heures de questions. “Pourquoi ne pas en avoir parlé plus tôt ?” demande la juge. “Parce que j'avais honte, répond l’ancien prêtre. La première fois que je l'ai avoué, c'est à l'inspectrice venue m'interroger en 2016.” L'Église à l'origine de ses maux, l'Église qui ne les a jamais vraiment pris en compte. Plusieurs fois, Bernard Preynat a déclaré “regretter” ne pas avoir été jugé en 1991 plutôt qu'aujourd'hui. De ne pas avoir été exclu ou soigné lors de sa formation de prêtre, alors que sa hiérarchie était au courant de sa pédophilie. Elle n’a pas non plus réagi en 1978, 1985-86, quand des parents ont averti le diocèse. “Quand il a rencontré ses supérieurs, qu’ont-ils fait ? Ils auraient pu dénoncer ces faits à la justice, mais ils ne l'ont fait que récemment, pour la justice ecclésiastique. Autrement dit, l'Eglise est elle-même dans une situation de clivage. Elle choisit la justice de Dieu plutôt que celle des hommes”, analyse l’expert.

Peut-il avoir arrêté ses agressions en 1991 ?

En 1991, Bernard Preynat est débarqué, sur demande de plusieurs parents de scouts agressés de la paroisse de Sainte-Foy-lès-Lyon, où il a sévi pendant vingt ans. Il rencontre alors le cardinal Decourtray. Ce dernier lui demande d'arrêter, mais coupe le prêtre quand celui-ci veut évoquer les détails. “Il a fait un grand geste du bras comme s’il ne voulait pas entendre ce que j'avais à dire sur mon passé”, raconte Preynat. Depuis, aucun fait nouveau n'a été signalé à la justice. “Que s'est-il passé en 1991, selon vous ?” demande un avocat à l’expert. “Cette pédophilie, il était honteux d'en avoir été la victime, mais aussi l'auteur. Il avait construit un équilibre dans son travail en parallèle de sa pédophilie. C'est cet équilibre qui a été fragilisé, quand il a été muté. C'est pourquoi, en 1991, sans reconnaître la souffrance des victimes pour autant, il a eu la volonté de préserver son image sociale et ça a pu prendre le pas sur ses pulsions. Quand il dit qu'il a péché, c'est lui par rapport à la religion, pas par rapport aux victimes”, analyse Michel Debout.

Des parties civiles ambivalentes

Pédophile en série, cette analyse psychologique a offert une vision humaine du mal, incarné par Bernard Preynat. Une situation plus ou moins acceptée par les parties civiles. Quand certains préfèrent entendre la maladie d’un homme, d’autres ne voient qu’un salaud. “Moi, j'ai accepté il y a longtemps que Preynat est un être humain. C'était intéressant d'entendre l'expert, mais ça peut être compliqué pour quelqu'un qui n'a pas accepté ce côté humanisant de l'analyse”, confie Laurent Duverger, victime prescrite du prêtre. Pierre-Emmanuel Germain-Thill, partie civile, semble moins convaincu : “L'expert oublie l'angle pervers narcissique. Ce qu'est Bernard Preynat dans chacun de ses choix. À Cours-la-Ville, où il est resté douze ans à partir de 1999, les paroissiens disent encore aujourd'hui qu'il était hautain et craint. Il ne faut pas oublier qu'à Sainte-Foy-lès-Lyon, il n'était que vicaire du père Plaquet. Mais, très vite, il l'a mis de côté. Plaquet rasait les murs. Pour tout le monde, c'était la paroisse de Preynat, alors qu'il n'était qu'adjoint. Aujourd’hui [mercredi, NdlR], il a parlé de sa mutation à Neulise, il a dit qu’il a été envoyé dans un “trou”. Cette ville ne suffisait pas à son narcissisme.”

Une autre analyse psychologique, demandée par la défense, est prévue ce jeudi matin avant les plaidoiries des parties civiles.

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