Vendredi 24 janvier s'est tenue l'audience solennelle de rentrée du tribunal judiciaire de Lyon, sous l’égide de Thierry Polle, premier président, et de Nicolas Jacquet, procureur de la République, en présence de nombreuses personnalités politiques, civiles, militaires, universitaires et judiciaires lyonnaises.
"Luttant de notre mieux pour nos idées (pour répondre à vos attentes légitimes, NdlA), nous ne demandons que le bénéfice de cette inscription placardée dans certains bars de l’Ouest américain : ne tirez pas sur le pianiste, il fait vraiment tout ce qu’il peut." La citation est d'Édouard Herriot. Son citateur n'est autre que le procureur de la République de Lyon près le tribunal judiciaire de Lyon (fusion du tribunal d'instance et de grande instance). Si l'énoncé a fait sourire la salle C du tribunal judiciaire de la rue Servient, comble à l'occasion de la rentrée solennelle 2020, c'est très certainement pour dédramatiser une situation qui n'a rien d'une comédie. Selon un sondage de l'Ifop pour L'Express (septembre 2019), seuls 57% des Français font confiance en la justice – en recul de dix points par rapport à l'année précédente. Les propos de Nicolas Jacquet font écho à celles énoncées, dix jours plus tôt, par Régis Vanhasbrouck, le premier président de la Cour d'appel de Lyon. Si l'année dernière, la rentrée solennelle de rentrée du TGI s'était tenue le même jour qu'une manifestation de Gilets jaunes, cette année, elle a eu lieu alors que 400 avocats manifestaient en silence, main droite gantée de blanc en l'air (symbole de leur prestation de serment).
Lire aussi : La cour d'appel de Lyon aspire à faire retrouver confiance en la justice.
Action pénale dans les quartiers
Déclinant "la petite prise d'otages institutionnelle" du chef de juridiction qui consisterait à "profiter d'un public captif", "pour évoquer les malheurs et complaintes de institution judiciaire (…) formidable exutoire qu’elle constitue pour l'ensemble de la communauté judiciaire, l'objectif (étant) bien de tenter de faire naître auprès de ses victimes un "petit syndrome de Stockholm" qui les conduirait dans le prolongement de l’audience à relayer les attentes légitimes d’une Justice en recherche de soutien et de moyens à hauteur de ses missions", et celle de la "litanie des statistiques", Nicolas Jacquet a insisté sur la démarche territoriale conduite par le Gouvernement dite de reconquête républicaine – lancée par Gérard Collomb, alors ministre de l’Intérieur en septembre 2018 – à laquelle l'institution judiciaire se trouve étroitement associée. Autrement dit, comment adapter l'action pénale à certains quartiers minés par les "deals de rue, les agressions de voie publique, les rodéos, les atteintes à l’autorité et d’une manière générale contre tous les comportements qui entravent les actions conduites au titre de la politique de la ville et le bien vivre ensemble. "
Ce "rapprochement" avec les élus (Vaulx-en-Velin, Vénissieux, Lyon 8) a permis une réflexion sur le périmètre de l'action pénale, a poursuivi le procureur de la République. Il s'agit ni plus ni moins que de mesures de rappel à l’ordre mises en place l'année dernière qui consistent, pour les forces de l'ordre, en une injonction verbale actée par écrit pour faire cesser un trouble (ordre, sécurité ou tranquillité publics). "Certains comportements inciviques, bien que susceptibles de relever de qualifications pénales contraventionnelles, sont avant tout des atteintes au bien vivre ensemble du quotidien qui impliquent une réponse de proximité immédiate avant d’envisager de se tourner vers l’autorité judiciaire."
Alternative aux poursuites
Mise en place l'année dernière, cette adaptation de la réponse judiciaire représente aujourd'hui 50% de la réponse pénale (médiations, réparations, injonctions thérapeutiques, rappels à la loi, etc.) à Lyon. Elle porte essentiellement sur les faits de petite et moyenne délinquance, "ceux qui pèsent le plus sur le sentiment de sécurité ou d’insécurité de nos concitoyens et dont la prise en compte s’est traduite par une augmentation de notre taux de réponse pénale qui est aujourd’hui de près de 92%". En gros, dans 9 cas sur 10, une réponse pénale est trouvée lorsque l'auteur a été identifié, soit au travers de poursuites pénales soit d'alternatives.
Les risques de la réforme des peines
Un enjeu qui rejoint les principales orientations des réformes pénales, notamment celle qui doit prendre effet le 1er avril prochain : la réforme des peines. Plus que de simples aménagements techniques ou juridiques, il s'agit d'"une vrai révolution culturelle" selon le procureur de la République de Lyon. L'idée : mettre fin aux emprisonnements de courte durée "considérés comme inutiles, désocialisants et de nature à nourrir la récidive". Dans les faits, pour les peines en-dessous d'1 mois, pas de prison ; entre 1 et 6 mois, la juridiction de jugement aménage la peine ; au-delà d'1 an, les peines d'emprisonnement sont exécutées sans possibilité d’aménagement avant mise à exécution par le juge d’application des peines. Et le procureur de prévenir que "ces objectifs tendant à éviter l’incarcération sont ambitieux mais risquent bien de se confronter à la réalité de nos affaires et notamment de celles relevant des comparutions immédiates qui imposent, dans le prolongement de la garde à vue, des réponses immédiates à des faits ayant gravement troublé l’ordre public et commis par des individus à fort risque de réitération."
18 mois pour qu'un mineur soit jugé à Lyon
Nicolas Jacquet a aussi évoqué la réforme de la justice des mineurs (en 2019 à Lyon, 2 500 mineurs ont été jugés, 2 800 saisis par le juge au civil), soulignant que l'ordonnance de 1945 a été modifiée plus de trente-neuf fois depuis son entrée en vigueur et ainsi "devenue aujourd’hui illisible ou à tout le moins inadaptée aux enjeux actuels". Dans le ressort du tribunal judiciaire de Lyon, il faut aujourd'hui 18 mois pour qu'un mineur soit jugé et 45% des affaires sont jugées après que le mineur a atteint sa majorité. "Pour ce faire, la procédure est inscrite dans un calendrier précis qui s’impose au juge consistant à statuer sur la culpabilité dans un délai de 3 mois, à ouvrir une période de mise à l’épreuve d’une durée maximum de 9 mois comportant des mesures éducatives et à statuer sur la sanction dans le délai d’un an."
Et de conclure ses réquisitions par "ne tirez pas sur le pianiste (la justice, NdlR), il fait vraiment tout ce qu'il peut".