ROUGIER Bernard ©Hannah Assouline
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“Les islamistes veulent empêcher la distinction entre islam et islamisme”

Bernard Rougier est professeur des universités à Paris 3 - Sorbonne-Nouvelle et directeur du Centre des études arabes et orientales. Avec une équipe de chercheurs, il documente dans Les Territoires conquis de l’islamisme (PUF) le maillage de l’espace par les islamistes et trace une cartographie de la géographie islamiste du pouvoir, révélant croisements, nœuds de communication et flux idéologiques, économiques et interpersonnels qui la traversent.

Lyon Capitale : Qu’est-ce que raconte votre ouvrage ? Bernard Rougier : Il raconte le fonctionnement d’une prédication idéologique, la manière dont des réseaux religieux qui se réclament de l’islam cherchent à prendre le contrôle de la population d’origine musulmane en France, l’installation et le fonctionnement de réseaux islamistes qui tentent de transformer l’appartenance religieuse pour mieux parler au nom d’un collectif qui serait celui des musulmans de France ou de l’islam en France. Il s’efforce de décrire les dynamiques matérielles, idéologiques et intellectuelles qui assurent la transmission de cette nouvelle idéologie en rupture avec la société française. Est-ce aussi l’histoire d’une prise en otage de la population musulmane ? Exactement. Les islamistes cherchent à simplifier la très grande hétérogénéité des populations issues de l’immigration en France à partir d’une seule définition religieuse de l’identité. Comment est entendu l’islamisme dont vous parlez ? Comme la volonté de faire prévaloir des règles religieuses dans l’espace social ou de soumettre l’espace social, voire l’espace politique, à des règles religieuses dégagées et interprétées par une minorité. L’islamisme est ici entendu comme le refus assumé de distinguer l’islam comme religion, comme culture et comme idéologie.
"Une idéologie discriminante dénonce les "discriminations contre l’islam" et en interne, un discours patriarcal et misogyne défend la mise en tutelle de la femme."

Pour quelle raison écrivez-vous que votre ouvrage n’échappera sans doute pas à l’accusation d’islamophobie ? Je suis parfaitement conscient du caractère inflammable du livre parce que le discours contre l’islamophobie est précisément produit par les islamistes pour empêcher la distinction entre islam et islamisme. On remarquera à cet égard la très grande plasticité tactique de l’islamisme, capable d’épouser toutes les modes, même, et surtout, celles qui lui sont contraires, pour son intérêt propre. C’est ainsi qu’une idéologie discriminante dénonce les “discriminations contre l’islam” et qu’en interne, un discours patriarcal et misogyne défend la mise en tutelle de la femme. Cette épistémologie apporte ici une caution inespérée aux prétentions idéologiques des réseaux islamistes. Ces derniers disposent ainsi d’une nouvelle ressource pour préserver l’omerta sur leurs pratiques et leurs stratégies. Vous précisez, en introduction, que les chercheurs qui ont participé au livre sont des Français d’origine maghrébine ou subsaharienne, eux-mêmes issus des quartiers populaires. Est-ce une façon de vous disculper d’éventuelles accusations ? J’ai une position ambivalente car je les vois d’abord comme des étudiants, tout en n’ignorant pas qu’étant originaires de ces quartiers, ils peuvent y travailler alors que c’est très difficile pour un chercheur qui n’en est pas issu. Dans certains secteurs d’Argenteuil, du Val-de-Marne ou de Mantes-la-Jolie, sans motif précis de visite, des barbus vous demandent de partir. Je suis resté quatre ans dans des camps palestiniens, jamais je n’ai été rejeté. Al-Zarqaoui, l’inspirateur de Daesh en Irak, est même passé dans le camp d’Aïn el-Héloué (Sud-Liban) quand j’y étais. Le camp était devenu un lieu stratégique dans la géographie régionale du djihadisme. Pour les groupes qui contrôlent les quartiers, mêlant volontiers islamisme et délinquance, je suis vu comme un intrus qui n’a pas à se trouver là, dont ce n’est pas le territoire, qui représente la mécréance française et donc un élément dangereux car n’étant pas du groupe. Il y a une attitude de défiance quasi immédiate. À ce titre, mes élèves ont observé, mieux que quiconque, les modalités idéologiques et pratiques de la prise de pouvoir des islamistes sur l’expression de l’islam en France. Ils ont montré comment leur foi était transformée en idéologie par des réseaux qui se réclament de l’islam.

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