Vous avez peur d’aller travailler ? De contaminer votre famille ? Quels sont vos droits ? Pouvez-vous invoquer votre droit de retrait ? Allez-vous continuer à toucher votre salaire ? Pouvez-vous être sanctionné par votre entreprise ? Explications avec une avocate, Alison Dahan.
Alison Dahan, avocate associée du Cabinet DBA AVOCAT (intervenant en conseil et contentieux employeur du droit du travail et de la sécurité sociale) est spécialisée dans le secteur de l’aide à domicile des services à la personne. Elle évoque, pour Lyon Capitale, toutes les problématiques autour du droit de retrait. En pleine épidémie de coronavirus.
Quand est-ce qu’un salarié peut invoquer un droit de retrait ?
ALISON DAHAN. On a des dispositions dans le code de travail pour cela. Le droit de retrait, c’est le salarié qui peut se retirer d’une situation de travail quand il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie et sa santé. Le cadre, au départ, c’est cela. Après, on est en train de parler d’un danger imminent pour sa vie ou pour sa santé, on est donc dans une situation particulière de travail. Attention, ce n’est pas une situation générale de pandémie. Par principe, le droit de retrait qui serait invoqué uniquement sur « j’ai peur d’aller travailler à cause du Covid-19 », ça ne marche pas.
Pour prendre un exemple concret, une femme de ménage employée à domicile chez des personnes. Peut-elle invoquer son droit de retrait ?
C’est une problématique extrêmement compliquée. Sur le principe, quand on regarde les préconisations du gouvernement, et on a eu une réponse de la DGE (Direction générale des entreprises) à ce titre ce vendredi matin, les prestations de confort telles le que ménage, le repassage, doivent être poursuivies si l’employeur prend soin de la santé et de la sécurité des salariés. La question qui se pose à ce moment-là, c’est « est-ce que l’employeur prend soin de la santé et de la sécurité de ses salariés ? ». Il s'agit ici de respecter les dispositions du code du travail et les recommandations nationales COVID-19 en matière sanitaire comme la distance d’un mètre, les gestes barrière etc… En définitive, si l’employeur a bien pris toutes les mesures et a mis à jour son document unique d’évaluation des risques en intégrant le Covid-19, ces prestations de travail, juridiquement, doivent se poursuivre.
Est-on payé lorsqu’on invoque son droit de retrait ?
Oui. Si votre employeur vous met dans une situation de danger pour votre santé ou votre sécurité, vous pouvez invoquer le droit de retrait et continuer à bénéficier du payement de votre salaire. C’est fixé par l’article L 4131-3 du Code du travail, qui dispose « aucune retenue sur salaire ne peut être prise à l’encontre d’un travailleur ou d’un groupe de travailleurs qui se sont retirés d’une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu'elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou pour la santé de chacun d’eux ».
Le droit de retrait s’inscrit-il dans le temps ?
Oui. Le droit de retrait est fait pour protéger les salariés. Si un salarié utilise valablement son droit de retrait, le droit de retrait persiste jusqu’à ce que l’employeur ait fait cesser la situation de danger. Par exemple, un salarié qui n’aurait pas les équipements de sécurité pour exécuter sa prestation de travail, tant que l’employeur ne lui donne pas des équipements, il exerce son droit de retrait, il continue à être payé. Ce n’est qu’au moment où l’employeur prend les mesures de sécurité que le droit de retrait cesse. Il n’y a pas besoin de le renouveler sans arrêt.
Une autre problématique. Dans le bâtiment. De nombreuses entreprises avaient stoppé leur activité mardi. Elles ont repris depuis ou vont reprendre lundi 23 mars. Les ouvriers en bâtiment peuvent-ils invoquer un droit de retrait ?
Sincèrement, je n’aurai pas de réponse tranchée. Ils pourront utiliser leur droit de retrait si les consignes ne sont pas respectées (dont par exemple les 1 mètre de distance dans les camions). Ce qui pose problème, c’est surtout comment ils vont aller sur les chantiers. Pour le reste, au regard des prescriptions du gouvernement, au 20 mars, si on a la distance d’un mètre, les gestes barrières et les consignes respectées, l’activité doit reprendre.
Certains partent à 3 devant dans un même camion sur les chantiers le matin…
Ils ne sont pas censés partir à 3, si l'on veut respecter les consignes et recommandations nationales.
Chacun doit avoir une voiture, un camion ?
Je ne sais pas comment ça va se passer en pratique. Quid aussi de ceux qui prennent les transports en commun pour aller travailler ? Mais les transports en commun, ce n’est pas du ressort de l’employeur.
Un magasin doit fermer car il n’est pas dans la liste des commerces de première nécessité. Mais s’il décide de faire des livraisons à domicile. Est-ce qu’il a le droit et est-ce que les salariés ont-ils le droit d’invoquer leur droit de retrait ?
Alors, dans ce cas, on ne se situe pas dans le champ du droit de retrait pour les salariés. On n’est plus dans le champ du contrat de travail. Vous avez été embauché pour faire une prestation et là on va vous demander d’en faire une autre. Est-ce que ça constitue une modification du contrat de travail et dans ce cas, il faut l’accord du salarié, ou est-ce que c’est un simple changement des conditions de travail ? Est-ce que je change de métier ou pas ? Cela va vraiment dépendre des secteurs d’activité. On déclare un champ d’activité, on dépend d’une convention collective, d’un secteur. Si au départ vous êtes sur de la vente sur place, ce n’est pas la même chose que de la vente à emporter ou de la vente à distance.
Le salarié risque-t-il une sanction disciplinaire en invoquant un droit de retrait ?
Si le droit de retrait est utilisé d’une manière abusive, oui il y a un risque de sanction disciplinaire. Ce qui va être très compliqué, c’est de déterminer à quel moment on estime que le droit de retrait est abusif, et ça c’est le juge qui va en décider. Au regard de la jurisprudence, le juge doit se placer dans les conditions de l’évaluation du danger des salariés. Ce ne sont pas les juges qui peuvent se baser sur leur appréciation du danger. C’est subjectif. C’est au cas par cas. L’appréciation du caractère légitime du droit de retrait se fait au cas par cas, au regard des circonstances de faits et des connaissances du salarié.
Dans la situation actuelle, si vous deviez conseiller un employeur…
Respectez toutes les consignes qui sont données par le gouvernement, respectez l’ensemble des mesures sanitaires, mettez à jour votre document unique d’évaluation des risques pour que les salariés travaillent dans des conditions de sécurité acceptables. Après dans mon secteur d’activité, ça va provoquer un tollé car on me dira « Maitre, on n’a pas de masques, donc comment on fait… »
Et pour les employés…
Bien respecter l’ensemble des consignes (le mètre de distance, porter des gants, les gestes barrières) et dès qu’il y a un problème, immédiatement informer l’employeur pour éviter d’en arriver à des situations comme celle du droit de retrait, qui vont avoir des conséquences dramatiques.
Un salarié qui a peur de travailler car il a peur de contaminer sa famille, ça ne peut donc pas être pris en compte ?
Non… La position du gouvernement, c’est : « Dans le contexte actuel, dans la mesure où l’employeur a mis en œuvre les dispositions prévues par le code du travail et les recommandations nationales visant à protéger la santé et assurer la sécurité de son personnel, qu’il a informé et préparé son personnel, le droit individuel de retrait ne peut en principe pas trouver à s’exercer ». Malheureusement, si on a juste peur d’aller travailler, ça ne rentre pas en compte dans ces conditions.