@Antoine Merlet

Lyon : les injonctions contradictoires des municipales

Quand l’urgence sanitaire laissera place au bilan de la gestion de cette crise, le chapitre des municipales se rouvrira. Parce que la date d’un hypothétique second tour approchera, le 21 juin, mais aussi pour une raison médicale : des candidats ou des assesseurs ont contracté le Covid-19 le jour d’un premier tour dont le maintien n’est plus vraiment assumé.

À l’échelle d’un confinement qui remodèle la perception du temps, le premier tour des municipales paraît désormais très lointain. Alors que de profonds bouleversements politiques avaient marqué le premier tour à Lyon, la percée des écologistes ou l’effondrement de Gérard Collomb, ces éphémères leçons électorales semblent aujourd’hui dater d’un autre temps. "Je suis passé devant les affiches électorales dans la rue. Il y avait encore les photos de tous les candidats. J’avais l’impression que ces panneaux n’avaient pas été enlevés depuis des années", confie David Kimelfeld, l’un des principaux protagonistes du feuilleton métropolitain.

Des assesseurs infectés

Le retentissement des déflagrations électorales du premier tour a été étouffé par l’épidémie de coronavirus. Et c’est par le Covid-19 que le scrutin a refait parler de lui quinze jours plus tard. Quand les premiers dépistages positifs d’assesseurs ou de présidents de bureaux de vote sont remontés un peu partout en France. Lyon n’a pas fait exception. Dans le 7e, un bureau de vote a été concerné. En de nombreux endroits  dans la métropole, des candidats ont déclaré des signes de l’infection virale. À Saint-Fons, c’est toute une liste, celle de Chafia Zehmoul, qui a été touchée. Huit de ses colistiers ont été malades. La candidate envisage de porter plainte devant la Cour de justice de la République estimant que le scrutin n’aurait pas dû être maintenu. Son avocat, Me Banbanaste, pointe en particulier les signaux contradictoires du gouvernement.

Le jeudi 12 mars au soir, à trois jours du premier tour, Emmanuel Macron déclare la fermeture des écoles pour le 16 mars, au lendemain des municipales. Une mesure qui fait office de prélude à un confinement général annoncé le samedi 14 mars à 19 h 30 par son Premier ministre Édouard Philippe. Les rassemblements publics sont proscrits. Les commerces non essentiels sont fermés avec effet quasiment immédiat. Au détour d’une phrase, le Premier ministre maintient les élections municipales. Au moins le premier tour. "Le jeudi soir, Emmanuel Macron avait dit aux plus de 70 ans de ne plus sortir de chez eux. Édouard Philippe avec son ton martial a foutu la trouille à tout le monde le samedi soir. Alors forcément les personnes âgées ne sont pas venues", peste encore un proche de Gérard Collomb pour qui son mauvais score ne s’explique que par l’abstention.

Le dimanche, jour de vote, moins d’un électeur sur deux se déplacent. Le soir, l’ensemble des partis politiques réclament un report des municipales. Même les écologistes qui sont en position de force à Lyon et dans la métropole. LREM et LR se renvoient la responsabilité du maintien du scrutin, plus vraiment assumé, sur fond de calculs politiciens. Dès le lundi 16 mars, le report du second tour des municipales est acté. Il aura lieu le 21 juin. Une manière de ne pas rendre vain l’effort fait par les électeurs qui se sont mobilisés. "C’était la seule décision raisonnable au regard des conditions sanitaires", pointe Cédric Van Styvendael, candidat PS en ballottage favorable à Villeurbanne. Les maires élus dès le premier tour ont leur élection acquise. Même si, coronavirus oblige, ils n’ont pu être intronisés. Dans 30 000 communes, l’affaire est entendue. Sauf rebondissement juridique. Le directeur de campagne de Gérard Collomb a déposé une plainte auprès du tribunal administratif pour faire annuler le scrutin dans sa commune de Saint-Germain-au-Mont-d’Or où il a été défait. "Je ne fais pas un recours parce que je suis mauvais perdant. Les gens ne sont pas venus voter à cause du coronavirus. Quand j’ai été élu en 2014, nous avions un taux de participation de 65 %. En 2020, il n’est que de 38 %. Le résultat de l’élection n’est pas sincère. Je vais proposer à d’autres candidats de se joindre à moi. Tous les scrutins ont été altérés", peste Renaud George.

Le débat mort-né

La campagne du premier tour s’était achevée dans un contexte surréaliste. Lors de la dernière ligne droite, le coronavirus l’emporte sur tous les autres sujets. Les meetings s’annulent les uns après les autres. Sur le marché, les candidats ne se départent jamais de leur gel hydroalcoolique devenu plus précieux que leurs tracts. Le débat démocratique qui avait mis du temps à émerger est mort-né. Les candidats, lancés depuis des mois dans l’aventure, font encore des plans sur la comète à la veille du scrutin. "Nous allons faire plus de phoning pour rassurer les gens et les garder mobilisés. Nous avons un élan dans la dernière ligne droite et il ne faut pas lâcher maintenant", confie la directrice de campagne d’Étienne Blanc à deux jours de l’échéance. Dans l’entourage de Gérard Collomb, la confiance est toujours de mise au lendemain de la première allocution d’Emmanuel Macron : "L’abstention sera plus haute que prévue, mais à qui cela va-t-il profiter ? Des personnes âgées que je côtoie au travail m’ont dit qu’il était hors de question de ne pas aller voter. Elles iront tôt avec une enveloppe prête. J’ai plutôt croisé des trentenaires qui ont peur d’y aller."

Les confidences glaçantes d’une ministre

Dès le dimanche matin, la gueule de bois est violente. "Je tenais un bureau de vote et je voyais bien que les seniors n’étaient pas là et que ça allait être compliqué pour nous", se souvient un proche du maire de Lyon. Très vite plus personne ne parvient à justifier le maintien des municipales. "Les gens ont besoin de cohérence dans les situations de crise, en médecine comme en politique. On ne peut pas dire à un malade que c’est très grave mais qu’on l’opère dans trois mois. Après le doute s’insinue. Les choses ont commencé à déraper avec le match Lyon-Juventus. La veille du scrutin, Édouard Philippe a demandé aux Français de prendre le confinement au sérieux puis il leur a dit d’aller voter. Ces allers-retours sont compliqués", déplore Georges Képénékian, candidat à la mairie de Lyon. Agnès Buzyn, qui a démissionné du ministère de la Santé en février pour se lancer à la conquête de Paris, a pris encore moins de pincettes. Elle a fait des confidences glaçantes au Monde : "Quand j’ai quitté le ministère, je pleurais parce que je savais que la vague du tsunami était devant nous. Je suis partie en sachant que les élections n’auraient pas lieu (…) On aurait dû tout arrêter, c’était une mascarade. La dernière semaine a été un cauchemar. J’avais peur à chaque meeting."

Le maintien des municipales fera partie des sujets sur lesquels le gouvernement devra rendre des comptes sitôt le confinement levé. Surtout que celles-ci se réinviteront vite au cœur des débats. Le second tour est prévu pour le 21 juin. Une date qui devient chaque jour un peu plus hypothétique. "Je ne vois pas comment on peut faire campagne en juin alors que le chômage aura explosé, que les gens seront marqués par les drames. Je ne me vois pas expliquer le plan cyclable. Les gens vont se dire que nous sommes ‘dingos’, redoute David Kimelfeld. Ça ne va pas arranger l’image des politiques." Surtout que le processus reprendra par le jeu des alliances. Une étape de campagne qui n’est pas toujours bien appréhendée par les électeurs. Si le scrutin ne peut se tenir le 21 juin, le premier tour sera considéré comme caduc et tout recommencera en octobre, rendant les efforts et les prises de risques du 15 mars vains.

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