(Photo by JEFF PACHOUD / AFP)

Coronavirus à Lyon : les hôpitaux lyonnais face à l’urgence sanitaire

C’est un hôpital français en crise qui se retrouve en première ligne. Les personnels soignants se mobilisent courageusement sur tout le territoire. Étudiants et jeunes retraités compris. Jusqu’à le payer de leur vie, parfois. Et si les HCL, deuxième plus grosse structure hospitalière de France derrière l’AP-HP, se sont largement réorganisés pour faire face à l’afflux de malades, comme ailleurs, les équipements manquent afin de protéger ceux qui les soignent.

En première ligne sur le front de la recherche, Lyon doit aussi soigner ses troupes. Pas d’hôpitaux de campagne, comme en Chine ou en Alsace, mais une réorganisation à la hauteur du verbe martial du président de la République. Quantité d’opérations non essentielles ont été déprogrammées afin de libérer des services et du personnel dans les différentes structures des HCL. Ceux qui ne se trouvent pas immédiatement remobilisés font office d’armée de réserve, attendant que les premiers tombent malades. Mais, sans protection, certains ont l’impression d’être envoyés au casse-pipe. Les initiatives de la société civile pour les soutenir apportent un peu d’aide. Comme ce carton de masques FFP4 récupéré par une syndicaliste d’Édouard-Herriot dans une entreprise à l’arrêt. Système D.

Aide-soignante à l’hôpital de la Croix-Rousse, Sarah* attend son diagnostic. Ce matin elle a été testée au Covid-19. Elle a les symptômes. Dans son service de gériatrie, sept collègues sont en arrêt. Deux sont positifs. L’une d’elles a un enfant en bas âge. "C’est le bazar, on manque de masques, on n’a pas d’information, raconte-t-elle. Comment voulez-vous qu’on soigne si nous ne sommes pas protégés ? On va tomber les uns après les autres." Sarah élève seule ses enfants, avec la crainte de rapporter le virus à la maison. Loin des applaudissements de 20 heures, plusieurs médecins sont morts en France d’avoir soigné le Covid-19. Une certaine idée du devoir. Sans encore atteindre les 10 % de médecins italiens supposés contaminés, le personnel soignant est évidemment en première ligne, des éminents chefs de service aux équipes de ménage. Et ils ne cessent de le répéter, ils manquent de matériel.

“La boule au ventre”

Sur les dotations de matériel c’est effectivement très compliqué, confirme Geoffroy Bertholle, responsable CGT HCL, infirmier à l’hôpital de la Croix-Rousse et adjoint au maire du 4e arrondissement. On compte des difficultés d’approvisionnement en matériel pour des raisons qu’on ne maîtrise pas. Cela concerne tous les équipements de protection individuelle.” Les commandes sont passées au niveau national et réparties par les ARS (agences régionales de santé). Mais les HCL tentent aussi de s’approvisionner par eux-mêmes, en Chine notamment. Sans compter les dons d’entreprises, de labos, d’universités. “Nous essayons d’avoir une gestion responsable et sécurisée des stocks car nous n’avons pas de perspective certaine de réapprovisionnement régulier, assure Guillaume du Chaffaut, directeur général adjoint des HCL. Aujourd’hui, aux HCL, tous les personnels en contact avec les patients portent des masques chirurgicaux. Ceux qui doivent réaliser des manipulations sur des patients à risques ont des FFP2.”

Pas suffisant visiblement. Car sur le terrain les anecdotes se succèdent pour illustrer le manque d’équipements. À l’hôpital Édouard-Herriot (HEH), où il a été demandé au personnel de se raser la barbe et la moustache, on manque aussi de blouses jetables, nous annonce une syndicaliste. “Les masques chirurgicaux, qui ne sont efficaces que quatre heures, on nous a officiellement demandé de les garder huit heures”, confie une autre, à Lyon Sud. S’ils sont ardemment mobilisés, les soignants craignent pour leur santé dans cette situation. “Au fur et à mesure qu’on voit les patients arriver, on s’aperçoit que ça prend de l’importance, les pavillons dédiés se remplissent et on se rend compte de la dangerosité, raconte cette aide-soignante à HEH. On apprend que des collègues sont infectés, on appréhende, on a la boule au ventre, d’autant que le pire reste à venir.”

Le 27 mars, les syndicats FO, CGT et SUD de HEH ont demandé des dépistages systématiques pour les soignants et non plus seulement sur symptômes. Concernant les produits réactifs des tests de dépistage, au rythme de 600 tests par jour, entre les patients et les professionnels, la direction des HCL en fait “un sujet de préoccupation important”, et dit veiller à garder ses stocks. La pharmacie des HCL fabrique désormais sa propre solution hydroalcoolique mais là aussi, il y a eu des difficultés d’approvisionnement en glycérine, selon une syndicaliste de HEH.

Des lits Covid partout

Après avoir accueilli tous les cas, depuis le premier cluster haut-savoyard, à la Croix-Rousse, les HCL ont annoncé, le 17 mars, l’ouverture de lits de réanimation Covid à Lyon Sud et HEH, portant leur capacité à 320 lits de réanimation, contre 260 habituellement. À ce moment-là, 136 patients Covid sont hospitalisés à la Croix-Rousse, dont 28 en réanimation, et 4 en réanimation à HEH. “Notre stratégie est, à ce stade, de ne saturer aucune de nos capacités, nous indiquait Guillaume du Chaffaut fin mars. Nous avons ouvert des lits à HEH et Lyon Sud avant que Croix-Rousse ne soit saturé. Et avant même que les HCL ne soient remplis, nous avons ouvert des lits dans le privé.” Avec à la clé une jauge de plusieurs centaines de lits dans le département. “On voit bien que la capacité de l’hôpital de la Croix-Rousse arrive à ses limites et on prépare les autres établissements HCL à devoir se transformer en hôpital de la Croix-Rousse”, résume Geoffroy Bertholle. Pour cela, les opérations non urgentes sont déprogrammées afin de pouvoir fermer des services et les passer en “services Covid”. “Tout ce qui est ambulatoire, on déprogramme”, explique une infirmière de HEH. Avec la consigne de limiter à un patient par chambre. En réanimation la question ne se pose pas puisqu’il n’y a qu’un respirateur par chambre. “On garde les interventions vitales mais on déprogramme celles pour les gens qui peuvent attendre afin de dégager des places, confirme une aide-soignante de Lyon Sud. Quand un service arrête son activité initiale, le personnel reste en place.

Armée de réserve

Déprogrammer les interventions non urgentes donc "pour libérer un réservoir de soignants", comme l’explique cette syndicaliste de HEH, dont certains sont placés en repos obligatoire, "pour pallier un potentiel épuisement". Une véritable armée de réserve. "Ils ont une autorisation d’absence avec disponibilité immédiate et peuvent être appelés à tout moment, abonde Geoffroy Bertholle. Ce ne sont pas des vacances. Ils sont écartés de l’hôpital pour les garder en réserve et qu’ils puissent échapper à l’onde de choc afin que, quand nous serons malades, ils puissent prendre la suite.

Les employés administratifs sont mis en télétravail. “On est obligé d’organiser tout le personnel, reprend Geoffroy Bertholle. Lyon n’est pas dans l’œil du cyclone pour l’instant. La tempête a commencé mais nous n’en sentons encore que les embruns. Nous sommes sur le pont depuis un mois et nous le serons encore très longtemps. On se préparait à courir un cent mètres, mais on est partis pour un marathon. Et peut-être faudra-t-il le courir au rythme d’un cent mètres.” La direction des HCL assure pourtant ne pas créer de réserve de personnel. “L’immense majorité de nos professionnels sont mobilisés, nuance ainsi Guillaume du Chaffaut. Ils ont été réaffectés dans des unités renforcées. Nos ressources sont mobilisées pour les soins. Mais nous avons ce souci de tenir dans la durée. Les équipes ont donc été suffisamment consolidées avec des roulements. En n’étant pas à saturation, on arrive à préserver les personnels.” Des étudiants et retraités sont venus en renfort. Les élèves infirmiers officient comme aides-soignants, ils en ont le diplôme au bout d’un an de formation. Les internes en médecine travaillent comme infirmiers ou viennent prêter main-forte dans les centres du Samu.

Formation sur le tas

En effet, plusieurs soignants sur le terrain ont reconnu que si le matériel manque, les ressources humaines sont encore suffisantes, du moins elles l’étaient fin mars. “Nous n’avons pas de souci en termes d’effectifs, les moyens humains sont présents”, constate cette aide-soignante à HEH. “Les personnels soignants travaillent dans de bonnes conditions, on n’a jamais eu autant de monde, ironise une syndicaliste du même établissement. Une partie du personnel des services fermés est en réserve à la maison à côté du téléphone. Et une partie est là pour être formée. On nous fait une remise à niveau. Un collègue me disait que c’est royal parce qu’il peut prendre le temps de former les gens correctement.”

Une formation sur le tas pour les services qui passent Covid. “On forme aux mesures barrières, à l’hygiène et à la protection des professionnels, explique Guillaume du Chaffaut. Nous bénéficions de l’expérience de Croix-Rousse et des autres services qui sont passés Covid avant et connaissent les niveaux de soin nécessaires.” Sur le terrain, les personnes interrogées confirment. “On est formé pour l’habillage et le déshabillage, les entrées et sorties des patients Covid, raconte cette aide-soignante de HEH. On nous a appris les précautions à avoir au niveau de l’hygiène et de la prise en charge.” “Une de nos fonctions au-delà du traitement des patients est d’apporter les savoir-faire acquis depuis des années mais aussi sur la période très courte qui vient de s’écouler, présente Geoffroy Bertholle. L’expertise des collègues des services infectieux sert à cela. Tous les jours, ils forment des dizaines de soignants et on leur explique comment, avec les moyens qu’on a, on peut maîtriser la propagation du virus en interne.” Les lignes téléphoniques chauffent et on ne compte plus les téléconférences. “La Croix-Rousse a un rôle majeur, une responsabilité envers nos collègues, puisque nous sommes aussi l’établissement référence vis-à-vis des non HCL, reprend Geoffroy Bertholle. On prépare nos homologues de Sainte-Foy, d’Albigny.

“Quoi qu’il en coûte” ?

Des moyens que l’hôpital public espère conserver au-delà de la crise actuelle. Le solennel “quoi qu’il en coûte” du 12 mars, ils espèrent qu’Emmanuel Macron le fera perdurer. À Mulhouse, deux semaines plus tard, le chef de l’État a d’ailleurs laissé entendre que des moyens seraient donnés à la santé, comme le réclament les soignants voilà plusieurs mois à travers le pays où l’on ne comptait plus les services en grève depuis le printemps dernier. “Dire qu’on est des héros c’est bien gentil mais ça fait des années qu’on manque de lits, lance une syndicaliste de Lyon Sud. Le personnel hospitalier est mobilisé et quand tout cela sera fini il faudrait lui accorder une augmentation du point d’indice.” “En ce moment on est mis sur un piédestal, nous personnels hospitaliers, comme cela a pu être le cas avec les policiers à d’autres moments dramatiques, parce qu’on en revient à l’essence même du personnel soignant. C’est notre métier de s’occuper des gens, on l’a choisi et on sait que l’on prend des risques, développe Geoffroy Bertholle. Depuis des années, on nous parle des avantages des fonctionnaires, mais on se rend compte aujourd’hui que le fonctionnariat, c’est la garantie de la continuité de l’État et de la démocratie. Si on va travailler, c’est parce qu’on est fonctionnaire, pas seulement parce qu’on est soignant. On peut avoir peur pour notre peau mais au moment où il faut y aller, le statut de fonctionnaire oblige à défendre la démocratie, la République, la nation. Ces avantages, en situation d’urgence, deviennent des devoirs.”

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Quid des établissements hors HCL ?

Au nord du département, les hôpitaux de Villefranche et Tarare ont établi des parcours spéciaux pour cloisonner les patients suspects, avec notamment l’installation de tentes extérieures pour les accueillir. Les HCL interviennent avec le concours de l’ARS sur tout le département du Rhône ainsi que sur le territoire de Vienne et de Bourgoin. “On essaie à la demande de l’ARS d’animer tous les établissements – publics et privés – qui accueillent des patients Covid, présente Guillaume du Chaffaut. Sous l’égide de l’agence régionale de santé, nous avons déterminé le rôle de chacun : accueil de patients Covid en hospitalisation conventionnelle, en réanimation, en surveillance continue ; accueil d’autres types d’urgences ou renforts aux établissements mobilisés.”

- Les établissements privés sont inclus dans le dispositif. “Nous avons aussi beaucoup de patients dans les structures privées, par exemple à Saint-Luc-Saint-Joseph, au Médipôle, à la Sauvegarde, à la Protestante, Charcot, Mermoz, etc. Chaque établissement travaille avec un de nos groupements dans des sortes de “hubs” pour que des solidarités se créent, poursuit Guillaume du Chaffaut. Il y a aussi certains lieux qui ferment ou voient leur activité réduite parce qu’on déprogramme des interventions non urgentes, et on utilise leurs ressources matérielles, comme les respirateurs, ou humaines, les médecins et les infirmiers. Par exemple le centre des Massues (Croix-Rouge) a fourni des respirateurs et des personnels pour aider Lyon Sud.

- Avec la médecine de ville aussi des ponts se créent, comme en témoigne Vincent Rebeille-Borgella secrétaire départemental URPS. “On a eu une réunion avec la directrice générale des HCL et nous avons proposé d’établir une liste de médecins capables de prendre, sur régulation du centre 15 du Samu, les patients suspects Covid-19, ce qui a été validé”, raconte le praticien installé dans le 8e arrondissement de Lyon. En cabinet, des plages horaires Covid sont dégagées par les professionnels qui souhaitent intégrer le dispositif. Pour éviter au maximum que les patients à risque ne se croisent, des rendez-vous sont fixés. Le Samu peut aussi rediriger vers une des maisons médicales assimilées au dispositif.

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