Julie Guibert, nouvelle directrice du ballet de l’Opéra de Lyon

Entretien avec Julie Guibert, nouvelle directrice du ballet de l’Opéra de Lyon

Récemment nommée à la direction du ballet de l’Opéra de Lyon, Julie Guibert souhaite faire apparaître la figure de l’interprète à l’intérieur du ballet et transformer sa vision de la danse.

Âgée de 46 ans, Julie Guibert est aujourd’hui – avec l’ex-étoile Aurélie Dupont à l’Opéra de Paris – une des très rares femmes à diriger un ballet en France. Formée à Lyon, elle danse au ballet du Nord à Roubaix auprès de Maryse Delente, puis au Ballet Cullberg à Stockholm dirigé par Mats Ek. Entre 2003 et 2005, elle intègre le ballet de l’Opéra de Lyon avant de repartir vers de nombreuses aventures en tant qu’interprète. Elle danse auprès des plus grands : Trisha Brown, William Forsythe, Russell Maliphant et Christian Rizzo, qui crée pour elle le magnifique solo b.c, janvier 1545, fontainebleau. S’inspirant de son parcours, elle s’est fixé une mission fondamentale qui portera sa vision de la danse pour le ballet : mettre en lumière la figure de l’interprète et le rendre acteur du processus de création. C’est ce qu’elle fait avec son premier projet Danser Encore conçu autour de trente solos chorégraphiés par trente artistes différents pour chaque danseur du ballet. Sept d’entre eux seront présentés en ouverture de la saison de l’Opéra. Entretien.

Lyon Capitale : Qu’est-ce qui vous a décidé à accepter la direction du ballet de l’Opéra ?

Julie Guibert : J’avais très envie de m’inscrire dans une histoire, j’ai dansé dans cette compagnie puis avec d’autres. Des personnes ont dirigé pour moi alors que j’étais danseuse et je me suis dit qu’il était temps d’effectuer une passation, comme d’autres le feront après moi. J’avais le désir d’être ailleurs que sur la scène et cette proposition était un rendez-vous à ne pas manquer. J’espère l’honorer de la plus belle des manières mais ce qui m’importe avant tout c’est de diriger le ballet tout en restant la danseuse que je suis.

Qu’est-ce que cela signifie ?

J’ai besoin de me dire que la peau que j’ai et que j’ai toujours eue jusqu’à aujourd’hui est celle de la danseuse et de la femme qui danse. Je n’ai pas envie de m’éloigner de la compréhension que j’ai des choses, des gens, des saisons, de la manière dont je regarde le monde. Je continuerai à danser dans quelques projets et même si je passe des journées assise, je serai dans le studio avec les danseurs. Il m’est impossible de penser la programmation, les invitations, le monde de trop loin, il faut vraiment que je comprenne avec mon corps ce qui a lieu.

Est-ce que cet état d’esprit va modifier la manière dont le ballet sera amené à travailler ?

Oui, je pense radicalement même. Avec le projet des solos, je veux porter une véritable attention à chaque danseur, avant d’aborder le ballet, qui souvent provoque un écrasement des singularités. Cette attention à la figure de l’interprète est sans doute liée à mon parcours de danseuse puisqu’en quittant l’Opéra de Lyon, j’ai travaillé avec beaucoup d’autres personnes, notamment sur des solos. Quand je vais voir un spectacle, je me rends compte que je regarde au travers des yeux des danseurs, l’écriture chorégraphique vient juste après. Si j’analyse, c’est la manière dont le danseur porte l’écriture que je lis. C’est à cet endroit que les choses me bouleversent, que je tisse un lien entre lui et moi.

Les danseurs du ballet n’ont jamais eu cette reconnaissance selon vous ?

On a toujours reconnu, et c’est vrai, que cette compagnie est d’une grande virtuosité avec de multiples qualités. Ce que j’adorerais, c’est que les choses s’inversent, que les chorégraphes viennent ici parce qu’il y a ces danseurs, ces hommes et ces femmes qui dansent. Jusqu’à présent, on était fasciné par la figure de l’auteur, qui on invite ou pas et le danseur, le corps de ballet, rien. Est-ce que vous connaissez un nom de danseur de la compagnie ? Si on est si attaché à l’Opéra de Paris c’est aussi parce qu’il y a des danseurs étoiles. On reconnaît la splendeur du ballet et moi je voudrais que l’on reconnaisse celle de chacun, quand ils interprètent les pièces de tous les chorégraphes avec lesquels nous avons la chance de travailler à l’Opéra de Lyon.

‟La peau que j’ai est celle de la femme qui danse”

La saison démarre avec le projet Danser Encore, comment l’avez-vous conçu ?

J’ai entretenu une correspondance avec chaque danseur pour faire un état des lieux de leur nécessité de danser aujourd’hui. Je voulais aussi ouvrir le spectre des artistes que l’on pouvait inviter : photographe, plasticien, musicien. J’ai perçu une grande réjouissance dans le fait qu’ils puissent exprimer leurs désirs, des audaces cachées m’ont été livrées, on a échangé, on a proposé mutuellement pour créer la rencontre. Pour certains c’était une surprise, pour d’autres il était temps que cela arrive. Ce qui m’intéresse aussi c’est de questionner la manière dont on invite un chorégraphe pour qu’il crée une pièce, comment le projet est amené avec le scénographe, les costumes et comment ce processus est partagé par les danseurs. C’est une façon de les rendre responsables, de retisser le lien avec le chorégraphe et qu’ils éprouvent le sentiment que le travail leur appartient à eux aussi et je sais, pour l’avoir vécu, qu’ils se sentiront différents sur le plateau.

Vous travaillez actuellement sur de nombreux projets ?

Beaucoup de projets sont en cours mais je ne peux pas encore les citer tant qu’ils ne sont pas confirmés. Concernant le ballet, il y a les tournées en France et à l’étranger, mais j’aimerais qu’il s’ancre davantage dans le territoire, qu’il soit plus visible dans la ville, la métropole et la région. Nous allons mener des actions culturelles que je veux aborder avec la même exigence que nos créations. Avec la prison de Saint-Quentin-Fallavier par exemple, j’ai proposé à des danseurs de constituer un binôme et de faire en sorte que les détenus puissent leur créer un duo. C’est une manière d’investir une autre scène et de les rendre plus autonomes par rapport à leur pratique. Il y aura des collaborations avec le Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Lyon autour de la transmission de pièces. Je voudrais former une jeune compagnie justement avec le Conservatoire, le CCN de Rillieux et l’Opéra. J’aurais aimé créer une jeune compagnie au sein même du ballet mais ce ne sera pas possible.

Vous vous sentez comment dans cette nouvelle fonction ?

J’éprouve de l’inquiétude mais aussi de la joie. Je suis inquiète parce que je ne suis pas une directrice, je le deviens. Mais peut-être qu’on ne se sent jamais tranquille, c’est un sentiment de responsabilité que je n’ai jamais éprouvé auparavant. J’ai très envie que l’on se remette au travail, non pas pour faire comme avant, car cette pandémie a mis nos corps à distance, mais parce qu’il y a quelque chose à reconquérir. Je pense que l’Opéra est disposé à accueillir des choses inattendues, qu’il peut apprendre à improviser dans toute cette incertitude. Un autre regard se met en place, je vais inviter d’autres auteurs avec cette liberté dans le choix des esthétiques qui peuvent s’opposer l’une à l’autre. J’espère que l’on va arriver à être audacieux, j’ai la sensation qu’il y a quelque chose de nouveau devant nous et qu’il nous faut le saisir pour que l’Opéra soit un puissant outil de création.

Danser Encore (7 solos) – Du 17 au 27 septembre à l’opéra de Lyon.

opera-lyon.com

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