Édito du magazine de décembre – Dans les kiosques à partir du 27 novembre
Une grande partie de nos concitoyens ne leur font plus confiance : l’État, ses institutions, la police, la justice, mais aussi l’école, les syndicats, les autorités sanitaires et les médias… Ce sont, en réalité, tous les piliers de notre société qui font l’objet d’une défiance sans précédent. Tous ces pans essentiels de notre démocratie vacillent face aux coups de boutoir de la contestation et de la colère, fissurant peu à peu notre socle commun. La crise sanitaire, qui a elle-même succédé au mouvement des Gilets jaunes, a accentué de manière inquiétante cette fracture entre les citoyens et les institutions.
L’incroyable succès du documentaire Hold-Up est, à cet égard, un indicateur de cette suspicion envers tout ce qui ressemble à une autorité publique, morale ou scientifique.
Il est le révélateur de l’impuissance que ressentent bon nombre de citoyens français, face au pouvoir qui leur échappe, aux privations de liberté ou à leur détresse face à une crise durant laquelle ils ont le sentiment d’avoir beaucoup perdu.
Complotiste ou pas, au fond, peu importe. Libre à chacun de regarder ce film et de se faire une opinion, d’aller piocher dans ce qui lui semble pertinent, ou rejeter ce qui est délirant. La liberté d’expression ne peut pas se concevoir comme un principe à géométrie variable.
N’a-t-on pas vu d’ailleurs le président sortant – pas tout à fait encore sorti – d’une des plus grandes démocraties mondiales se livrer sans complexe à la contestation de ses propres autorités électorales ? S’appuyer sur l’opinion publique en suscitant de l’émotion, de l’indignation et de la colère pour légitimer ses propres vérités est presque devenu une norme dans l’action politique.
En réalité, nous n’avons pas vraiment d’autre choix que de rester confiants et de nous en remettre au bons sens du plus grand nombre pour gagner la bataille de la raison.
Sauf à instaurer une dictature, les contre-vérités, les manipulations voire les infamies sont aujourd’hui difficiles à endiguer quand tout peut être dit, diffusé, amplifié ou falsifié grâce aux nouvelles technologies et leurs canaux de prédilection, les réseaux sociaux.
Nouveaux contre-pouvoirs, espaces de diversité d’opinions mais aussi officines politiques ou militantes, ces récents médias sont de plus en plus nombreux, mais de moins en moins identifiables, et leurs outils de diffusion virale sont redoutables.
Cette réalité est d’autant plus accentuée que la méfiance qui se cristallise sur les médias traditionnels est de plus en plus forte et qu’elle favorise l’émergence de médias alternatifs, ou le meilleur peut côtoyer le pire. Nouveaux contre-pouvoirs, espaces de diversité d’opinions mais aussi officines politiques ou militantes, ces récents médias sont de plus en plus nombreux, mais de moins en moins identifiables, et leurs outils de diffusion virale sont redoutables.
Par ricochet, ce phénomène risque de porter préjudice à une liberté essentielle : celle d’informer. Après une première loi déjà très contestée du gouvernement d’Emmanuel Macron pour lutter contre les fake news en 2018, la loi de sécurité globale, qui a été adoptée par l’Assemblée, a pour conséquence d’ajouter une disposition qui risque de mettre sur le même banc des accusés le vrai travail d’information et les dérives diffamatoires.
L’article 24 prévoit de punir “d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende” le fait de diffuser des images non floutées d’un policier ou d’un militaire “dans le but manifeste qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique”.
Protéger nos forces de l’ordre, comme tous les citoyens, contre le lynchage sur Internet est une priorité absolue, mais rappelons que la loi prévoit déjà de sanctionner ce type de délit. Ce qui est plus délicat dans cet article, ajouté dans la loi de 1881 sur la liberté de la presse, est l’utilisation et l’interprétation qu’en feront les autorités publiques dans le feu de l’action, par exemple lors de manifestations houleuses.
Vent debout, la grande majorité des journalistes et des photographes s’inquiètent également des conséquences de cette loi, inscrite dans le marbre, aux mains d’un gouvernement qui serait malintentionné et qui pourrait alors en faire un outil pour contrôler l’information.
Ce texte divise au sein même de la majorité. Le député MoDem Erwan Balanant, par exemple, s’y oppose : “Aujourd’hui, il y a déjà un arsenal juridique qui protège les policiers et les gendarmes. Fallait-il en créer un supplémentaire qui a suscité un trouble avec les citoyens et la presse ?”. Un trouble qui vient faire grandir la défiance citoyenne au moment où elle est déjà au plus haut.
Ce débat souligne à quel point notre société de l’information, bouleversée par les nouvelles technologies, a du mal à trouver les parades pour se protéger des dérives, sans nourrir les suspicions de censure qui font aussi le lit du complotisme.
Au sommaire de ce numéro
Pas facile d'être objectif à 100% lorsque tout n'est plus que manipulation et violence. Une image ou une vidéo captée n'est que le reflet d'une ou quelques secondes, que s'est-il passé avant ? On condamne le policier qui donne un coup de pied mais pas la personne qui la giflé juste avant ? Doit-on trouver normal de lire dans vos colonnes qu'une voiture police est obligée de "battre en retraite" face à la charge de nombreuses personnes violentes ... Pas facile d'être journaliste, pas facile d'être un lecteur sans avoir parfois le sentiment d'être aussi manipulé.
Comment un média quel qu'il soit pourrait être neutre alors qu'il lui suffit de parler ou de ne pas parler d'un événement, pour le faire "disparaître" de l'espace public ?
Comment avoir une absolue confiance en des médias "classiques", propriété de grands groupes ou de milliardaires qui n'investissent jamais "pour rien" ? En face, des médias alternatifs, citoyens, qui évidemment n'échappent pas à la critique de ces concurrents...
Face aux complotismes et autres manipulations habituelles, il n'y a qu'une seule réponse possible :
liberté d'informer, pluralité des points de vue, transparence totale de la sphère publique.
Car l'obscurantisme déteste être mis en lumière.