Laurent Wauquiez © AFP

Guéguerre entre Doucet et Wauquiez : faut-il tester en masse à Lyon et dans la région avant Noël ? On vous explique tout

Laurent Wauquiez, le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes,et Grégory Doucet, le maire de Lyon, ne sont pas d'accord sur la stratégie de dépistage à adopter à Lyon et dans la région avant Noël et les fêtes de fin d'année. Chacun campe sur ses positions. La population, légitimement, peut s'interroger. Et n'y comprend plus grand-chose. On vous résume tout. Que faut-il faire alors ? Tester en masse avant Noël ? Après ? Ou les deux ? Décryptage.

En grandes pompes, Laurent Wauquiez, le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes annonçait mi-novembre une campagne de dépistage massive avant les fêtes de Noël dans la région, la plus touchée par cette 2e vague de l'épidémie de coronavirus, la région de France où le virus circule toujours le plus. Le lendemain, le ministre de la Santé, Olivier Véran, avait notamment qualifié "d’effet d’annonce" l'annonce de Laurent Wauquiez.

Qu'en est-il désormais ? Faut-il tester un masse avant les fêtes ? Jeudi 3 décembre, les villes de Lyon et de Villeurbanne se sont déclarées "circonspectes sur une campagne de tests massive avant Noël".

Jeudi, de manière plutôt conciliante, Grégory Doucet, le maire de Lyon expliquait : "nous saluons la proposition de la Région d’organiser également une campagne de dépistage massive avant Noël. Nous soulignons toutefois le risque de superposition des politiques sanitaires. Etant donné l’engagement des dépenses, le coût de la crise sanitaire, économique et sociale, et si nous voulons optimiser notre capacité à tester efficacement, nous pensons que la campagne proposée par la Région aurait toute sa place au retour des fêtes".

Doucet dénonce une proposition "pas appropriée, pas assez travaillée" de la région

Ce vendredi, le maire de Lyon a appuyé un peu plus fort, dénonçant une proposition de la région "pas appropriée, pas assez travaillée, pas assez concertée". "Le test est masse avant Noêl n'est pas le choix le plus approprié. J'ai un doute sur ce qui est proposé (par la région). Ce choix ne nous paraît pas opportun. Un test en masse n'a d'intérêt qu'en phase ascendante de l'épidémie", a ajouté le maire de Lyon.

Centre de dépistage coronavirus du Palais des Sports de Gerland. @OrianeMollaret

En résumé, Lyon et Villeurbanne défendent une stratégie de "testing massif" après Noël. Pas avant. Avant Noël, ils veulent continuer à s'appuyer sur leurs propres systèmes de test, notamment au grand centre de dépistage du Palais des sports de Gerland où 42 000 tests ont déjà été effectués, ou à la salle sportive des Gratte-Ciel, à Villeurbanne, où plus de 15 000 tests ont été réalisés. "Nous disposons du savoir-faire et des équipes nécessaires au bon fonctionnement des centres de tests. Lyon et Villeurbanne ont démontré leur capacité à répondre à la crise, notre travail de coordination est premier en France" se félicite Céline De Laurens, adjointe à la santé de la Ville de Lyon. Lyon et Villeurbanne ont indiqué saisir le conseil scientifique et réclament un avis indépendant sur la stratégie sanitaire dans la Rhône-Alpes Auvergne.

Wauquiez contre-attaque

Peu après, ce vendredi après-midi, Laurent Wauquiez a annoncé une grande semaine de tests massifs dans la région, entre le 16 et le 23 décembre. Juste avant Noël. 10 000 personnes vont être mobilisées un peu partout dans la région. 1000 centres vont être ouverts, en plus de ceux qui existent déjà.

"L’objectif est de tester, sur la base du volontariat, un maximum de personnes avant les fêtes de Noël pour casser les chaînes de contamination et éviter au maximum la propagation du virus lors des rassemblements familiaux. Cette campagne doit également permettre de cibler des milieux fermés (lycées, entreprises...). Cette démarche est unique en France, il est important qu’elle puisse servir dans l’approche de santé publique de notre pays", précise la région Auvergne-Rhône-Alpes.

Et Wauquiez a plusieurs cordes à son arc. "On travaille avec l'ARS, l'Assurance Maladie, avec le rectorat. La Haute Autorité de Santé a émis un avis assez intéressant et favorable à ce qu'on essaye de mener.  Le Président de la République et le Premier Ministre ont décidé eux-mêmes de lancer des expérimentations sur du "testing de masse". C'est ce que nous souhaitons mener à l'échelle de la région", insiste-t-il ce vendredi.

Bruno Lina à la tête d'un comité scientifique de la région

Surtout, Wauquiez a enrôlé ce qui s'apparente à une prise de guerre, le très réputé Professeur lyonnais Bruno Lina, membre du très influent conseil scientifique. Bruno Lina, virologue aux HCL (Hospices civils de Lyon) est rattaché à l’hôpital de la Croix-Rousse. C'est un peu le "Monsieur covid-19" à Lyon. "L'un des meilleurs virologues du monde", selon le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes.

Lina a accepté de piloter un comité scientifique, propre à la région Auvergne-Rhône-Alpes, pour guider la région au mieux aux côtés de l'exécutif régional. "C’est quelque chose qui avait été discuté au sein du conseil scientifique, qu’on puisse décliner  localement un certain nombre d’actions pour la maîtrise de cette épidémie, on ne peut pas tout faire partir de haut (de Paris), il faut aussi des déclinaisons locales et régionales qui s’installent. Il semble important de pouvoir accompagner les initiatives qui peuvent être prises localement. Ce comité va se réunir régulièrement. On retournera faire nos propositions au président de région", détaille Lina.

Bruno Lina, virologue © AFP

5 membres composeront ce comité scientifique de la région. Le Professeur Lina donc, mais aussi Jean Beytout, médecin infectiologue, ancien professeur d’université, faculté de médecine de Clermont-Ferrand, Olivier Épaulard, praticien hospitalier, service des maladies infectieuses au CHU Grenoble, Elisabeth Botelho-Nevers, responsable de l'unité clinique du service infectiologie du CHU de Saint-Étienne et Philippe Vanhems, praticien hospitalier de l’Université Claude Bernard Lyon 1 et des Hospices Civils de Lyon. Un conseil scientifique made in AURA en quelque sorte.

Quelle stratégie faut-il donc adopter, selon Bruno Lina ? "Les techniques PCR qui sont utilisées dans les centres de dépistage gardent un rôle majeur. Mais on va combiner à cela des stratégies de dépistage plus massives qui vont donner une image plus complète et peut-être une mise en œuvre plus générale de l’ensemble de la stratégie que peut apporter les tests dans la philosophie tester/tracer/isoles/accompagner", précise le virologue lyonnais.

Le passage du diagnostic au dépistage. Explications.

Il poursuit : "Il est nécessaire, alors qu’on a des signaux plutôt favorables actuellement, de rester le plus longtemps possible dans cette tendance favorable. C’est tout l’enjeu des différentes campagnes qu’on va essayer d’organiser pour maintenir le niveau de circulation du virus à un niveau suffisamment bas pour éviter une reprise épidémique dans quelques semaines. Ce serait catastrophique pour plein de raisons. On a les outils, on a les moyens, il faut maintenant les décliner de manière intelligente et collective, il faut probablement améliorer un certain nombre d’éléments de communication et de compréhension de façon à ce qu’il y ait une appropriation complète de l’ensemble de la démarche des habitants d’Auvergne-Rhône-Alpes".

Il faut donc tester beaucoup ? Et souvent ? "Il faut répéter dans des populations ciblées ce dépistage. On n’est plus dans une stratégie de diagnostic, on est dans une stratégie de dépistage et c’est ça qu’il faut comprendre. On n’est pas intéressé par le cas individuel mais par ce que nous donnent les chiffres du dépistage et finalement le taux de positivité. Au-delà d’un certain taux de positivité, on peut être dans une situation dangereuse notamment lorsque si on répète les tests, ce taux de positivité a tendance à augmenter dans la même population. C’est qu’il y a une dynamique épidémique qui est entrain de s’enclencher et elle n’est peut-être pas visible encore, du fait des asymptomatiques, de l’âge etc… Dans un premier temps, on peut faire une approche purement dépistage, basée essentiellement sur des tests antigéniques, qui peuvent être répétées, et si on a un signal défavorable basculer ensuite une stratégie de diagnostic élargi ou on changera d’outil parce que le dépistage n’a pas été en capacité de marquer l’arrêt de la dynamique épidémique - ce qu’il peut faire de temps en temps - et à ce moment-là, il faudra revenir vers des tests PCR. C’est pour ça que la combinaison des 2 est extrêmement importante", explique Lina. Quelle différence entre les tests PCR et les test antigéniques ? Les tests antigéniques sont notamment moins fiables que les tests PCR (lire le décryptage ici).

Avant Noël alors ? Ou après ? Ou les deux ?

Dans leur communiqué commun, jeudi, Lyon et Villeurbanne partaient du principe qu'il fallait mieux tester en masse après Noël.  "Au regard des premières préconisations médicales que nous avons eues, engager les fonds de la Région à partir du mois de janvier nous paraît être une proposition intéressante. Cela permettrait de tester les personnes après les fêtes et réguler une potentielle troisième vague. En effet, il apparaît que les tests antigéniques réalisés en masse sont plus pertinents dans une phase croissante de l’épidémie, ce qui n’est pas le cas actuellement" expliquait notamment jeudi Cédric Van Styvendael, le maire de Villeurbanne.

Mais quand faire ces tests alors ? Avant ? Après Noël ? "Cela n’aurai aucun sens de faire une politique de tests de masse ce vendredi 4 décembre puis le 15 décembre, car on est aujourd’hui dans une phase décroissante. De toute façon, on aura forcément moins de positifs le 15 décembre que le 4 décembre", témoigne Lina. "C’est beaucoup plus dans une situation plus « normale », non confinée, où il y a un risque de reprise épidémique, et on sait à quel point il faut être prudent sur les périodes de Noël et de fêtes. On voit ce qu’il se passe aux Etats-Unis après Thanksgiving. Une semaine après  Thanksgiving, on bat les records de contamination aux USA. La documentation que l’on a, les lieux de contamination, ce sont les regroupements familiaux, c’est très clair. Si on veut éviter de se retrouver dans cette situation, il faut que l’on s’approprie le contrôle de la diffusion du virus en intra-familial", explique de son côté Bruno Lina.

"Pour Noël, il ne se passe rien de magique entre 6 et 7 à table. Ce n’est pas parce qu’on est 6 que tout ira bien, et parce qu’on est 7 que tout ira mal. Quand on organise le repas, on doit le penser : « qu’est-ce que je dois faire en plus de d’habitude pour éviter que je transmette le virus à mes convives si jamais j’étais infecté sans le savoir. C’est s’approprier le comportement de prévention. J’aimerais que la région joue un rôle moteur là-dessus, qu’on donne les clés de compréhension aux habitants", souligne Bruno Lina

Laurent Wauquiez abonde dans ce sens : "Cette campagne, c’est aussi un support d’information et de sensibilisation de l’ensemble de nos habitants, c’est aussi pour ça qu’on veut le faire avant les fêtes de Noël, donner de l’information, ça nous permet aussi de sensibiliser la population. Le comité scientifique à nos côtés va nous permettre de décliner pédagogiquement leurs préconisations. On va toucher beaucoup de monde sur cette semaine".

Bruno Lina : "Si on a fait nos armes... (avant Noël)"

Bruno Lina et Grégory Doucet au Centre de dépistage coronavirus du Palais des Sports de Gerland.

Oui mais quand ces tests massifs, avant ou après Noël Professeur Lina ? "Il y a un temps pour faire ces tests. Le faire aujourd’hui n’aurait pas de sens. Et le faire un peu plus tard ? Je ne sais pas quelle sera la dynamique épidémique à Noël. On est dans la durée, et à un moment donné il faut commencer. On peut commencer après la période de Noël, et faire le premier essai après la période de Noël ou on peut commencer avant la période de Noël", souligne le Professeur, un brin embarrassé.

Car il est virologue aux HCL, et il ne veut pas opposer les actions de la ville de Lyon et de la région. Alors il appuie ses arguments tel un équilibriste, pour ne froisser personne : "Il ne faut pas mettre en opposition les choix pris par la région et ceux pris par la ville de Lyon. La ville de Lyon s’est investie très fortement dans le centre de dépistage de Gerland, un outil magnifique. On va continuer à s’appuyer dessus, ce centre de dépistage va rester ouvert. On vient en complément. C’est une démarche complémentaire. On est dans une démarche de dépistage associée à une démarche de diagnostic".

"Cette démarche de dépistage, il faut qu’elle commence à un moment donné, pour qu’on la challenge. L’issue de la période de Noël, c’est le moment le plus important, je suis d'accord...Si on a fait nos armes avant... On reproche trop souvent de ne pas avoir acquis de l’expérience, de ne pas avoir essayé de système avant de les mettre en œuvre. Là, c’est ce qui va être fait", concède-t-il.

Si 25% d'habitants de la région se font tester, ça commence à devenir intéressant

Combien d'habitants de la région sont visés ? "Plus le taux de participation est élevé, plus c’est informatif. Dès 25%, ça commence à devenir informatif. Mais cette information elle sera moins robuste que si on a 50% ou 80% de participants", répond Lina. Le Professeur Lina n'a toutefois pas précisé quand il pensait pouvoir atteindre ce seuil des 25%. Pour rappel, il y a 8 millions d'habitants dans la vaste région Auvergne-Rhône-Alpes.

Laurent Wauquiez le martèle. Il y aura des testings de masse dans la région avant Noël. 10 000 personnes vont être mobilisées un peu partout dans la région. 1000 centres vont être ouverts, en plus de ceux qui existent déjà. Et ce du 16 au 23 décembre.

"Je regretterai personnellement que Lyon et Villeurbanne ne soient pas avec nous" (Wauquiez)

"Je ne comprends pas le propos du maire de Lyon. On peut faire les 2. Et tant mieux si on peut faire les 2. Commençons avant les fêtes de Noël. On vient tous de faire le bilan de l’expérience américaine, Thanksgiving, ça a quand même abouti à des dégâts. Ca valide l’importance de pouvoir faire une action avant. Et de commencer. Ensuite, ça ne veut pas dire que parce qu’on a fait avant les fêtes, qu’il ne faut pas faire après. Je ne comprends pas, je dis au maire de Lyon « travaillons sur les deux »", insiste le président de la région.

"430 communes de la région sont partenaires de notre démarche, la quasi-totalité de toutes les villes de notre région. Je regretterai personnellement que Lyon et Villeurbanne ne soient pas avec nous. Je ne vois pas du tout d’opposition entre les deux visions, je tends la main au maire de Lyon, travaillons en commun. Il serait dommage que les Lyonnais passent à côté. Ce qu’on fait avant (Noël), ça nous donnera autant d’expérience qu’on pourra évidemment essayer d’enclencher après, c’est notre intérêt à tous. Travaillons ensemble la-dessus. C’est notre intérêt commun", conclut Laurent Wauquiez.

Le président de la région doit détailler la semaine prochaine cette stratégie de "testing massif " du 16 au 23 décembre dans la région. De nombreuses questions subsistent. Où va-t-on tester ? Qui va tester ? Qui vont être les 10 000 personnes mobilisées ? Laurent Wauquiez et Grégory Doucet se sont vus la semaine dernière. "On s'est exprimés avec franchise avec Laurent Wauquiez. Il y a du flou. Ca ne m'a pas rassuré. J'ai un doute sur ce qui est proposé, je l'ai partagé. Attention aux effets d'annonces", explique ce vendredi Grégory Doucet.

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