Le "90 km du Mont-Blanc" est considéré comme "l'un des ultratrails les plus techniques et exigeants de sa catégorie" selon l'International Trail Running Association (ITRA). Lyon Capitale y était.
On l'attendait comme le loup attend l'agneau, comme l'éclair attend le tonnerre, comme le cochonnet attend les boules, comme la frite attend les moules...
Les pentes tourmentées et minérales du Brévent, les cairns aux allures d'êtres fantastiques du Signal Forbes, les hauteurs du Montenvers, face aux Drus, aux Grandes Jorasses et en surplomb de la Mer de Glace, le soleil rose levant sur le mont Blanc, les alpages de la Loriaz, les "toboggans" de neige glaciale pour (re)descendre à Planpraz...
Et puis ces éminences aux noms mythiques : le Brévent (2 274 mètres d'altitude), Tête aux Vents (2 121 m), l'Aiguillette des Posettes (2 201 m), Plan Joran (1 898 m), le Plan de l'Aiguille (2 022 m)...
L'appel de la nature
Aucune compétition en 2020. Année blanche. Aucune course non plus en 2021. L'appel de la nature était donc espéré. Désiré.
Les 596 partants (42 femmes) n'ont pas été déçus. Météo idéale, pas trop chaud, juste ce qu'il faut, en journée, mais nocturnes fraîcheurs sur les hauteurs.
Et un parcours exigeant, technique, vertical à certains endroits. 86,3 kilomètres et 6 735 mètres de dénivelé positif précisément. Soit 78 mètres de dénivelé positif pour 1 kilomètre. Pour une première course depuis Le Grand Raid (Diagonale des Fous) en octobre 2019, soit vingt mois, le challenge était osé.
Lire : Diagonale des Fous vécue de l'intérieur : voyage au centre d'un volcan
Départ à 4h10 du matin, exceptionnellement déporté sur l'aire des parapentes, à l'écart du centre de Chamonix. Covid oblige. Trois SAS, selon le classement Itra des coureurs (indice de performance). Pour le "90 km du Mont-Blanc", course XL inaugurale de l'événement "Marathon du Mont-Blanc" (sept courses sur trois jours), la cote recommandée est de 450 points. En-deçà, explique l'organisation, un coureur n'a que très peu de chances de terminer la course.
4h10 donc. Le stress naturel d'avant course s'efface rapidement au profit d'une envie de courir et d'aller crapahuter sur les sommets. Vingt mois sans compétition !
Frontales allumées, le peloton s'étire pour serpenter sur le sentier étroit et escarpé qui mène au refuge de Bellachat, au-dessus duquel s'élance une série d'aiguilles accidentées. Le soleil s'est levé à 5h40. Rose pâle sur le mont Blanc. Le silence est extatique. La nature s'éveille.
Hypersollicitation sportive
Brévent. 1 200 m de dénivelé positif et 11,1 km depuis Chamonix. Redescente en glissade contrôlée sur la neige. Puis sur les fesses dans les toboggans artificiels "dessinés" par les coureurs de tête de course. Ravitaillement de Planpraz, premier de cordée. L'heure est à un petit déjeuner à base de bouillons de pâtes pour l'endurance et de deux verres de coca pour le coup de fouet.
Jusqu'à la Flégère, le parcours est roulant et agréable. De quoi souffler un peu après la belle grimpette jusqu'au Brévent.
Je bute sur une pierre, ou une racine. La cheville gauche dévisse. Grosse déconvenue, avec à peine vingt kilomètres au compteur. La petite montée à Tête aux Vents se fait au milieu des rhododendrons. Puis 5,8 km de descente technique et raide jusqu'au Buet. Arrêt aux stands pour un strapping cheville.
On attaque une belle côte de 6,8 km et 730 m de dénivelé positif jusqu'aux panoramiques chalets de la Loriaz. 7 heures de course. L'heure de l'apéro. Tournée d'eau fraîche pour tout le monde !
La descente de 5,5 km jusqu'à Barberine est un calvaire. Ma cheville sera mon chemin de croix. Je mets bien en tête la formule pour me forger un mental à toute épreuve.
Vallorcine, quelques petits kilomètres plus tard. C'est ici que la course commence. 43 km et 3145 mètres de dénivelé positif déjà courus. La moitié du chemin. L'organisation enregistrera un record d'abandons ici même : 48 sur 596 partants (8%). 68 au total depuis le départ.
Les 7,6 km de montée et 1000 m de dénivelé positif jusqu'au col des Posettes ne poseront pas de problème articulaire. Mais quel morceau ! Ce sera, de mon point de vue, le plus éprouvant de la journée.
De jambes, j'en manquerai foncièrement dans la descente à cause de ce que j'apprendrai quatre jours plus tard de radiographies et échographies de la cheville gauche comme des "stigmates de remaniements inflammatoires et oedémateux hypervasuclaire du rétinaculum supérieur des extenseurs. Souffrance du nerf fibulaire superficiel au contact." Outch ! En d'autres termes, une douleur de la face antérieure de la cheville gauche dans les suites d'une hypersollicitation sportive.
Pentes entre 18% et 22%
Une pente à 18%, une allure de sénateur et, nouveauté physiologique, un "essuie-glace" (les mouvements flexion-extension du genou font frotter un gros tendon sur le fémur, à la manière d'un essuie-glace, et tel une armée d'aiguilles à coudre), un à droite, un autre à gauche en plus de la fameuse "cheville-chemin-de-croix". En gros, dès que je plie un peu le genou de 20°, c'est un éclair de douleur. Je vous laisse imaginer sur une descente de 5 km aussi raide qu'un passe-lacet...
Ça roule jusqu'à La Rosière. Je m'arrange pour courir le plus "droit" possible, dans une démarche assez insolite.
Le sentier s'élève copieusement jusqu'au domaine des Grands Montets, via un sentier en forêt de 2,9 km et 632 m de dénivelé positif (pente à 22%). Des passages "dré dans l'pentu" comme on y dit dans le coin, raides comme une jambe de bois, jusqu'au Plan Joran (1 898m).
Là-haut ? Rien, on rempile pour une bonne grosse descente par un chemin carrossable qui se poursuit par un single dans les Alpages de La Pendant, superbes, puis la forêt, quasi le long de L'Arveyron, le torrent exutoire de la Mer de Glace.
Les Bois (1 081 mètres). dernier ravitaillement grand public, avec les accompagnateurs. On est en bord de rivière, il fait bon, on souffle un peu pour le dernier gros morceau que la plupart des coureurs ont tendance à minimiser. Il reste encore 18,6 km et 1 600 mètres de dénivelé positif. 6 heures pour moi...
Il est temps d'attaquer la superbe montée vers le Montenvers et son point de vue sur la Mer de Glace (à tout le moins ce qu'il en reste). Jusqu'à la buvette des Mottets, un petit coin de paradis situé au pied des Drus majestueux, c'est facile, plutôt tranquille. Le passage en forêt par une montée de rochers plus hauts les uns que les autres est en revanche nettement moins "crème" (rappel de certains passages de La Diagonale des Fous, cette traversée de La Réunion du Sud au Nord sur 165 km et 9 570 mètres de dénivelé positif).
L'arrivée au Montenvers se fait avec des nausées (comme en 2018, sur la 1ere édition du "90 km du Mont-Blanc" , en réalité un 91,5 km /6220 mètres de dénivelé positif) et un gros coup de froid. On est à 1 836 mètres d'altitude. Il est 20h45. Erreur de débutant : je n'avale rien. Résultat immédiat : dans la montée au Signal, je m'effondre. Impossible d'avancer. Sentiment d'impuissance à la fois physique... et psychologique, la nuit tombant amplifiant ces sensations, la (quasi) absence de coureurs en prime.
Descente de la muerte
Arrivée-tortue au Signal (2 198 m), une heure après être parti du Montenvers ! Deux secouristes de Thônes-Aravis, d'une grande bienveillance, me font un test de glycémie (OK), rassurent, recommandent, conseillent. J'e n'ai pas eu la présence d'esprit de leur demander leur prénom mais sans eux, la possibilité de l'abandon enflait comme ma cheville.
Une vingtaine de minutes plus tard, c'est reparti pour une traversée nocturne du Grand Balcon Nord, avec vue imprenable sur les lumières de Chamonix, mille mètres plus bas. Spectacle unique. De jour, le panorama est époustouflant sur les aiguilles chamoniardes : l'M, les Charmoz, Blaitière, le Plan, l'Aiguille du Midi... et le mont Blanc. Du roulant, de la descente et de la montée.
Refuge du Plan de l'Aiguille. 22h49. Une bande de jeunes bénévoles tiennent en musique et tout en bonne humeur le dernier ravitaillement de ce "90 km du Mont-Blanc".
Il ne reste "que" la descente jusqu'à Chamonix. C'est la quatorzième et dernière "station" de mon chemin de croix pour reprendre la formulation biblique - vendredi saint oblige. "Ce qui nous procure le sentiment d'être véritablement vivants - ou du moins, en partie - , c'est justement la souffrance, la souffrance que nous cherchons à dépasser." écrit Haruki Murakami dans son "Autoportrait de l'auteur en coureur de fond".
Il me faudra 1h50 dans de véritables souffrances pour rallier l'arche d'arrivée. Une demi-heure de plus qu'en 2018 ! Là où Martin Kern, le grand vainqueur de cette édition, mettra 37 minutes et ses poursuivants de podium, le Cantalien Mathieu Delpeuch (gauche sur la photo) et le Russe Dmitry Mitayev (droite), respectivement 41 mn et 38 mn.
Malgré l'heure avancée, une quarantaine de spectateurs sont présents et applaudissent à tout rompre. 20h37 de course. La bière du Mont-Blanc n'en a qu'un goût plus éternel.
Les stats du "90 km du Mont-Blanc"
Nombre de partants | 596 | |
---|---|---|
dont femmes | 42 | 7,05% des partants |
Nombre d'arrivants | 477 | 80,03% des partants |
dont femmes | 38 | 7,97% des arrivants 90,48% des partantes |
Nombre total d'abandons | 119 | 19,97% des partants |
dont femmes | 4 | 3,36% des partantes |
Répartition des partants par catégorie
Femmes | M0 F | M1 F | M2 F | M3 F | M4 F | M5 F | SE F | ||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
42 | 10 | 8 | 2 | 9 | 2 | 1 | 10 | ||
Hommes | ES H | M0 H | M1 H | M2 H | M3 H | M4 H | M5 H | M6 H | SE H |
554 | 1 | 107 | 95 | 102 | 71 | 32 | 19 | 1 | 126 |
Répartition des abandons par catégorie
M0 F | M1 F | M2 F | M3 F | M4 F | M5 F | SE F | ||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|
1 (10,00%) |
1 (12,50%) |
0 (0,00%) |
0 (0,00%) |
1 (50,00%) |
0 (0,00%) |
1 (10,00%) |
||
ES H | M0 H | M1 H | M2 H | M3 H | M4 H | M5 H | M6 H | SE H |
0 (0,00%) |
17 (15,89%) |
24 (25,26%) |
22 (21,57%) |
16 (22,54%) |
10 (31,25%) |
9 (47,37%) |
1 (100,00%) |
20 (15,87%) |
Répartition des abandons sur le parcours
aire parap | Brévent | Planpraz r | Flégère 90 | T.Vents | Buet | Loriaz | Barberine | Vallorcine | Col des po |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
1 | 2 | 1 | 10 | 2 | 10 | 1 | 3 | 38 | 7 |
Le Tour 90 | Rosière 90 | plan joran | Bois | Montenvers | |||||
22 | 2 | 3 | 16 | 1 |
Répartition des finishers en fonction du temps
Temps | Nombre de coureurs | % |
---|---|---|
< 11:00 | 8 | 1,68% |
≥ 11:00 & < 12:00 | 12 | 2,52% |
≥ 12:00 & < 13:00 | 11 | 2,31% |
≥ 13:00 & < 14:00 | 16 | 3,35% |
≥ 14:00 & < 15:00 | 33 | 6,92% |
≥ 15:00 & < 16:00 | 28 | 5,87% |
≥ 16:00 & < 17:00 | 57 | 11,95% |
≥ 17:00 & < 18:00 | 57 | 11,95% |
≥ 18:00 & < 19:00 | 52 | 10,90% |
≥ 19:00 & < 20:00 | 55 | 11,53% |
≥ 20:00 & < 21:00 | 42 | 8,81% |
≥ 21:00 & < 22:00 | 40 | 8,39% |
≥ 22:00 & < 23:00 | 35 | 7,34% |
≥ 23:00 & < 24:00 | 27 | 5,66% |
≥ 24:00 | 4 | 0,84% |