Vue de Lyon – Au centre, le toit de l’opéra dessiné par Jean Nouvel © Tim Douet

Villa Gillet, Biennale, Opéra : la Région baisse ses subventions, c’est la "douche froide" à Lyon

Depuis 24 heures, le monde la culture à Lyon est secoué par l’annonce soudaine et "sans concertation" de la décision de la région Auvergne-Rhône-Alpes de couper ou baisser ses subventions à la Villa Gillet, l’Opéra de Lyon et la Biennale d’art contemporain. Un "rééquilibrage solidaire et équitable", au profit du reste du territoire, vivement critiqué par les institutions concernées et l’adjointe à la culture de la Ville de Lyon dans Lyon Capitale, alors que l’avenir de la Villa Gillet s’assombrit. 

C’est peu dire que l’annonce vendredi matin dans les colonnes du Progrès de la baisse ou suppression des subventions régionales accordées à un certain nombre de structures culturelles lyonnaises a eu l’effet d’une "douche froide". Présentée à nos confères comme un "rééquilibrage solidaire et équitable" entre les acteurs culturels des douze départements d’Auvergne-Rhône-Alpes la décision a été très mal accueillie à Lyon. 

L’argumentaire développé dans le quotidien régional par la vice-présidente à la région en charge de la culture Sophie Rotkopf, que nous avons essayé de joindre en vain, mais dont l’intégralité des propos nous a été confirmée par les services de la collectivité, fait bondir la direction de la Villa Gillet. La collectivité régionale ayant fait le choix d’un désengagement total de l’institution installée à la Croix-Rousse, celle-ci pourrait être durement ébranlée par ce "rééquilibrage". 

Menace sur la Villa Gillet, jugée pas assez régionale

La Région estime en effet ne pas avoir à subventionner une structure dont elle juge "l’empreinte strictement lyonnaise et métropolitaine. Son financement revient aux collectivités locales concernées", précisent les services du président du conseil régional Laurent Wauquiez (LR). "C’est faux, le bâtiment de la Villa Gillet se trouve dans la ville de Lyon, mais notre action est régionale", dénonce la direction de l’institution, qui voit ainsi disparaître 1/3 de son budget annuel d’1 million d’euros, soit 350 000 euros. "C’est une attaque contre l’existence même de la Villa Gillet, qui menace la structure dans son ensemble", s’émeut-on derrière les murs du 25 rue Chazière. Un sentiment partagé par l’adjointe à la Culture de la ville de Lyon, Nathalie Perrin-Gilbert, pour qui "c’est quasiment la condamner".  


"Pour moi c’est une attaque à la Villa Gillet, mais aussi à la démocratie et donc rien que pour ça je ne laisserai pas fermer la Villa Gillet", Nathalie Perrin-Gilbert, adjointe au maire de Lyon déléguée à la culture


La sentence de la Région, la Villa Gillet en a eu vent par courrier en début de semaine, au moment de l’ouverture de la billetterie de son festival littéraire, prévu du 16 au 22 mai, auquel plus de 50 auteurs français et étrangers doivent participer. Pas question pour autant pour l’institution de revoir ses ambitions à la baisse, alors que des événements sont annoncés dans plus de 40 établissements scolaires, dont plus de la moitié sont situés dans l’Ain, l’Isère, la Drôme, la Loire, la Savoie et la Haute-Savoie. Dans le même temps, 15 rencontres itinérantes seront organisées "en région, à Chamonix, Saint-Étienne, Volvic, Roanne, Saint-Romain-en-Gal…", fait valoir l’institution pour illustrer son emprise régionale et mettre à mal l’argument développé par Sophie Rotkopf. "Quand la Région dit que la Villa Gillet c’est Lyonnais ils se moquent du monde", s’emporte Nathalie Perrin-Gilbert, encore excédée d’être mise devant le fait accompli et de ne pas avoir été consultée par la Région.

Villa Gillet
La Villa Gillet installée à La Croix-Rousse. © DR

Pour l’ancienne maire du 1er arrondissement, la décision prise par Laurent Wauquiez va "contre la culture et  la diversité culturelle", la Villa Gillet étant "un lieu de débat, de soutien aux librairies indépendantes, de rencontre, de la pensée. Tout ce dont on manque aujourd’hui quand l’extrême droite est à la porte de la présidence en France", lâche l’élue, sans cacher son attachement très fort à la structure. Malgré le désengagement régional, elle ne compte pas abandonner l’institution et s’active déjà pour la sauver. "J’ai écrit à la ministre à ce sujet et j’attends son retour, je me suis aussi entretenue avec la présidente du Centre national du livre (CNL) en lui demandant un soutien de fonctionnement et s’il faut faire des efforts on en fera", confie-t-elle à Lyon Capitale avant d’assurer avec fermeté, "je ne laisserai jamais la Villa Gillet fermer". 

La Biennale d’art contemporain pas épargnée

Plus menacée, de par l’importance du désengagement régional, la Villa Gillet n’est toutefois pas la seule institution lyonnaise à faire les frais de cette réorganisation des subventions culturelles en Auvergne-Rhône-Alpes, dont "le budget culture 2022, voté, reste identique au budget 2021", tempère la Région. Au banc des structures "sous le choc", se trouve également la Biennale d’art contemporain dont l’édition 2022 se tiendra en septembre prochain, pour partie dans l’ancien Musée Guimet de Lyon. Au Progrès, Sophie Rotkopf explique que "l’événement est vraiment très métropolitain. Nous savons que leur trésorerie est suffisante, ils peuvent accepter cette baisse. Et nous restons fortement présents". 


"On l’a appris ce matin dans Le Progrès. Si près de l’événement c’est dur à encaisser. Les budgets sont déjà fléchés, il y avait eu un engagement sur trois ans qui s’était fait avant la période Covid et un événement comme ça ça ne se prépare pas trois mois avant", Isabelle Bertolotti, co-directrice de la Biennale d’art contemporain


À l’inverse de la Villa Gillet informée quelques jours en amont de la décision, la co-directrice de la Biennale d’art contemporain, Isabelle Bertolotti, a appris dans la presse que l’événement dont elle a la charge serait amputé de 200 000 euros, sur son budget global de 7,5 millions d’euros. Soit une baisse d’environ 39% de l’engagement de la région, qui apportait jusqu’ici un peu plus de 500 000 euros au pot commun. Une annonce reçue comme une véritable "douche froide" à l’heure où les équipes de l’évènement culturel sont  "en pleine recherche de mécénat. On n’a pas pu tout boucler parce que beaucoup d’entreprises sont en difficulté et c’est un peu compliqué", déplore Mme Bertolotti. 

Isabelle Bertolotti, la co-directrice de la Biennale, entourée par Sam Bardaouil et Till Fellrath, les commissaires de la Biennale d'art contemporain 2022. © Blandine Soulage

Contactée vendredi matin, quelques heures après les révélations de la Région la co-directrice de la Biennale ne cachait pas être dans le flou le plus total. "On ne sait même pas si c’est quelque chose qu’ils envisagent de faire plus tard ou sur cette année. Il y a pas mal d’incertitudes qui nous laissent presque un peu d’espoir", nous expliquait-elle. Selon nos informations, la coupe serait bien effective dès cette année, ce qui ne devrait pas faciliter les affaires de la Biennale qui, pour cette édition 2022, avait en plus "développé des projets en région, un peu plus chers, avec des déplacements à Clermont-Ferrand, Tarare…". De quoi laisser un goût amer aux organisateurs. 

Levée de boucliers des élus lyonnais 

Le choix politique de Laurent Wauquiez n’a pas manqué de faire réagir la Ville et la Métropole de Lyon. Pour la première, Grégory Doucet s’est ému de la méthode prise "sans concertation avec les partenaires et en pleine année civile, menaçant ainsi les activités et les emplois de structures culturelles majeures et remarquables". Pour la seconde, Cédric Van Styvendael, le vice-président de la Métropole en charge de la culture, s’est interrogé sur le message envoyé par la décision du président de la région, "d’autant plus incompréhensible qu’elle diminue les financements de structures qui ont su allier travail de proximité et renommée nationale, voire internationale. N’est-ce pourtant pas le rôle de la Région de soutenir les acteurs dont le travail rayonne dans son périmètre, et au-delà ?". 


"Elle est où la dimension internationale et nationale de la Région dont les élus de droite du conseil municipal n’arrêtent pas de se gloser ? À un moment donné, ça suffit" Nathalie Perrin-Gilbert, adjointe au maire de Lyon déléguée à la culture


Nathalie Perrin-Gilbert, elle, est bien plus incisive au moment d’analyser le nouveau fléchage des subventions régionales : "Laurent Wauquiez veut se retirer des projets où il est en co-financement pour pouvoir faire ses propres projets bien à droite, où il peut briller et mettre le logo de la Région. Ce n’est même pas contre les villes écolos ou socialistes, c’est un projet très réactionnaire et d’une culture qui n’est pas de la culture. Et pour mener ces projets là il faut bien qu’il fasse des économies ailleurs".

Ces économies, le Festival Lumière en fera, lui, temporairement les frais à l’instar du TNP à Villeurbanne  et d’autres structures régionales pour permettre à la Région de déployer un fonds d’urgence de 500 000 euros pour prévenir la disparition des petites structures impactées par la crise du Covid. La mesure sera en revanche beaucoup plus pérenne pour l’Institut Lumière, qui devrait voir ses aides baisser de 100 000 euros, ou l’Opéra de Lyon, l’autre grosse structure lyonnaise touchée par cette coupe sèche, qui va de son côté devoir se passer de 500 000 euros, sur les 2,8 millions d’euros jusqu’ici accordés par la région. 

L’Opéra de Lyon encore amputé de 500 000 euros 

Cette fois, la collectivité régionale justifie son choix en expliquant s’aligner sur la décision de la Ville de Lyon, en 2021, de réduire de 500 000 euros sa subvention à l’opéra national, qu’elle finance à hauteur de 18 millions d’euros chaque année, sur un budget global de 38 millions. (MàJ) Il y a un an, la décision de la mairie avait été vertement critiquée par l'opposition et Nathalie Perrin-Gilbert s'était alors justifiée ainsi dans les colonnes du journal Le Monde : "Je me suis engagée durant la campagne électorale pour une répartition des aides municipales plus équilibrée entre les secteurs indépendants et subventionnés. Nous souhaitons favoriser davantage la création et l’ouverture à d’autres publics". Un choix qui avait surpris l'ex-directeur de l'opéra, Serge Dorny, qui s'inquiétait alors d'une "idéologie anti-Opéra que semble sous-tendre cette décision", auprès de France Musique.

Un an plus tard rebelote donc, mais cette fois du côté de la Région. Invitée à réagir, l’institution culturelle n’avait pas encore répondu à nos sollicitations au moment de publier ces lignes, en revanche l’adjointe à la culture de Lyon juge l’explication de la Région "profondément malhonnête". "La Région enlève 500 000 euros sur 2,8 millions d‘euros, ça n’a rien à voir. Il faut comparer ce qui est comparable, chaque collectivité doit prendre ses responsabilités pour soutenir un équipement qui rayonne au-delà du territoire", développe Nathalie Perrin-Gilbert. Avant de rappeler, que l’Opéra de Lyon "n’est pas qu’un équipement lyonnais […] seulement 40 % de son public est lyonnais". 

Irriguer toute la région, pas seulement les métropoles

Attaquée de toute part, vendredi 22 avril, la Région, elle, maintient sa ligne de conduite en assurant qu’il n’y a pas "de jugements portés sur les actions conduites par ces structures, simplement le souci de conduire l’action culturelle régionale sur l’ensemble du  territoire". Alors qu’aujourd’hui "près de 60% des engagements régionaux se portent  sur des structures basées dans les métropoles", dont celle de Lyon.


"Il n’y  a pas de jugements portés sur les actions conduites par ces structures, simplement le souci de conduire l’action culturelle régionale sur l’ensemble du  territoire", la région Auvergne-Rhône-Alpes


Pas convaincue par ce désir d’irriguer toute la culture du territoire, et à l’heure où elle assure n’avoir "toujours pas de réponse officielle sur l’engagement de la Région pour la Maison de la danse, le Théâtre de la Croix-Rousse et le TNG", Natalie Perrin-Gilbert se demande plutôt "si la région Auvergne-Rhône-Alpes est vraiment la mieux gérée de France et s’il elle n’est pas en fait en difficulté financière ?". Une dernière pique lancée à Laurent Wauquiez, qui vantait il y a un an, au moment des élections régionales, son bilan à la tête de la collectivité. Après la sécurité et les mobilités, la Ville et la Métropole de Lyon sont une fois de plus à couteaux tirés avec la Région, cette fois sur le terrain de la culture.

Lire aussi : Lyon : comment Wauquiez s’immisce dans les affaires des écolos

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