Le géant pharmaceutique Sanofi, basé à Lyon, a reconnu "un échec" dans le développement d’un vaccin contre le Covid-19. L'analyse de Frédéric Bizard, professeur d'économie à l'ESCP Business School et président de l'Institut Santé.
Lyon Capitale : Comment se fait-il que Sanofi, géant pharmaceutique n'a pas réussi à développer un vaccin contre le Covid ?
Frédéric Bizard : Il faut quand même savoir que la grande majorité de ceux qui ont essayé n'ont pas réussi. Il ya eu pas moins de 98% d'échec pour le développement de ce vaccin. La technologie de l'ARN messager est très compliquée et nécessite d'avoir une expérience de plusieurs années années pour le faire. Les deux seuls laboratoires qui ont réussi à produire un tel vaccin travaillent sur cette technologie depuis plus de dix ans. Si vous laissiez 5 à 10 ans pour développer un vaccin, comme c'est le cas normalement, Sanofi aurait réussi. La problématique était de sortir une innovation en un temps extraordinairement court.
Les deux seules sociétés de biotechnologie qui y sont parvenues ont ainsi été capables d’être extrêmement concentrées sur un objectif précis et de mettre toutes leurs ressources humaines financières et d'infrastructures sur cet unique objectif. Ce qu'une big pharma n'est, en revanche, pas capable de faire parce qu'elle est moins flexible.
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"Sanofi a fait un drôle de choix en désinvestissant dans la R&D (...) elle a mis en place une stratégie davantage financière qu’industrielle sur le long cours."
Ensuite il y a les lacunes propres à Sanofi, que l'on connaît depuis des années. D'abord, Sanofi a beaucoup perdu de compétitivité en maintenant sa capacité à innover sur les années 2007/2008 à 2020. L'entreprise a fait un drôle de choix en désinvestissant dans la R&D, comprenez qu'elle a mis en place une stratégie davantage financière qu’industrielle sur le long cours.
En d'autres termes, plus de croissance externe qu'interne ?
Oui, bien sûr. Les investissements R&D sont le nerf de la guerre. Or, Sanofi doit être aujourd’hui à 7 milliards d'euros d'investissement, quand elle était à 6 milliards en 2007. La même année, Gilead dépensait 600 millions en R&D, il est à 11 milliards aujourd'hui. Le groupe suisse Roche était au même niveau que Sanofi, il est désormais à 14 milliards. Sanofi a fait le choix d'externaliser. C'est, à mon avis, une grande erreur stratégique d'avoir voulu externaliser ce qui est le cœur du réacteur nucléaire d'un laboratoire pharmaceutique. Y compris quand vous êtes dans les biotechnologies, parce que si vous pouvez toujours miser sur le rachat de pépites, cela doit être une stratégie complémentaire et non pas le coeur de la stratégie. On voit bien que dans les biotechnologies et la génomique, il est absolument nécessaire de maîtriser la technologie. L'ARN message est un très bon exemple. Sanofi a parié sur la société de biotechnologie Translate Bio, spécialisée dans les essais cliniques et dans les traitements à ARN messager, comme partenaire en vue de concevoir et de développer une plateforme technologique d’ARN messager. Cela n'a pas fonctionné, peut-être parce qu'il ne s’agissait pas du bon partenaire. On voit bien les limites de l'exercice. Dès lors que vous externalisez, vous n'avez plus le contrôle de ce qui se fait en matière de R&D a fortiori quand il s'agit de le faire dans un temps extrêmement court.
Et à cette erreur stratégique se rajoute une défaillance historique et structurelle parce qu'en définitive Sanofi a été créé de bric et de broc. Il ne faut pas oublier qui c'est Synthelabo labo qui fusionne avec Rhône-Poulenc Rorer et Hoechst, qui va ensuite opérer une série de rachats... Ce n'ets pas une entité organique qui a grandi gâce à l'innovation et le développement de produits innovants.
"La question est de savoir si Sanofi s'est donné les moyens de véritablement avoir une capacité d'innovation forte en interne. On peut en douter aujourd'hui."
Donc la question, à vous entendre, est de savoir si Sanofi est capable d'innover ?
Oui. La question est de savoir si Sanofi s'est donné les moyens de véritablement avoir une capacité d'innovation forte en interne. On peut en douter aujourd'hui. Je vous rappelle qu'en janvier 2021, Sanofi en était encore à vouloir se séparer de 300 à 400 chercheurs. Sanofi est l'entreprise qui, sur la période 2015-2019, a le plus diminué ses effectifs dans le Top 50 de l'industrie pharmaceutique. Soit une baisse de plus de 15 000 salariés. Sanofi est aussi l'entreprise qui a probablement enregistré la capitalisation boursière la plus stable, donc la moins croissante, du Top 10 : son cours de bourse est sensiblement le même qu'il y a cinq ans. Et donc, contrairement à ce que les syndicats disent, cette stratégie est perdante-perdante pour toutes les parties prenantes : à la fois pour les salariés, les actionnaires et la collectivité. Et Sanofi est l'entreprise qui a fait le moins fait croître son budget de R&D ces dix dernières années.
Après, si on essaie de comprendre le pourquoi du comment, on voit qu'il y a quand même des injonctions paradoxales de l'Etat français. Par exemple, l'Etat compte sur Sanofi pour sa stratégie ARN message, fait des annonces avant Sanofi. Il y a donc un problème d'autonomie de Sanofi en matière stratégique vis-à-vis de l'Etat. Je vous rappelle que M. Viehbacher, le directeur général, avait été licencié pour des raisons plus politiques qu'autre chose. Ce n'est pas neutre pour une entreprise de cette taille, mondialisée, dont l'essentiel de la rentabilité se fait aux Etats-Unis. Sanofi n'est plus une entreprise française, plus de 60% des capitaux sont étrangers.
"L'enjeu est la mise au point d'un vaccin nouvelle génération contre la grippe."
Selon vous, Sanofi a raté le virage des biotechnologies ?
Oui. Je suis incapable de vous dire exactement sur quelle plateforme technologique cette entreprise va se développer à l'avenir, sans compter le fait qu'il y a toujours une grande opacité dans la communication du groupe. Il faut bien voir que l'un des grands défis de Sanofi sera la maîtrise de l'ARN messager. Si Sanofi ne maîtrise pas rapidement cette technologie rapidement, c'est le cœur de son portefeuille qui est menacé. L'enjeu est la mise au point d'un vaccin nouvelle génération contre la grippe. Or, Moderna et BioNTech n'ont pas caché qu'ils étaient déjà sur des candidats vaccins ARN messager. C'est un choix qu'a fait très tardivement Sanofi.
Début 2021, l'Institut Santé que je préside avions suggéré à l'Etat français la création d'un "Airbus biotech de l'ARN messager" pour faire face aux besoins de la lutte anti-Covid et faire de la France un acteur majeur des biotechnologies. Il s'agirait d'un consortium d'entreprises de la biotechnologie aussi bien publiques que privées qui occuperaient tous les maillons de la chaîne, de la recherche fondamentale à la distribution. Il faut agir groupé. La France ne manque pas de compétences en génomique. Mais nous travaillons à l'allure d'un escargot avec de petits moyens. Il faut une dimension européenne à cette vision, avec une forte composante française. Et c'est dans l'intérêt de Sanofi de s'intégrer dans cet écosystème. Quand Sanofi annonce mettre deux milliards pour se positionner dans l'ARN messager, combien mettent les Américains ? 400 millions d'euros pendant cinq ans dans l'ARN messager, ce n'est rien du tout, c'est peanuts ! Il y a donc aussi donc une responsabilité des pouvoirs publics français. L'échec de Sanofi est aussi celui de la recherche française.
"Il faut une forme de capitalisme d'Etat dans les biotechnologies."
Rien de très rassurant pour l'avenir ?
Pour l'avenir à cinq dix ans, ce n'est pas très rassurant non. Ce qui s'est passé chez Sanofi s'est passé à l'échelle française puisqu'on a désinvesti en matière de cherche médicale dans les budgets publics qui sont passés de 3,5 milliards à 2,5 milliards entre 2008 et 2018. Là où l'Allemagne est passée à 6,5 milliards. Tout n'est pas qu'une question budgétaire mais en matière de recherche il y a quand même une taille critique. Ensuite, on sait que la recherche aujourd'hui doit se faire avec des écosystèmes qui regroupent les universités, les centres de recherche type Inserm, les CHU. Ces écosystèmes doivent également permettre, à la fois sur le plan juridique et capitalistique, à des sociétés de biotechnologies et à des sociétés de génomique de grandir rapidement. C'est pour cela qu’il faut un pôle public. On pense que le développement se fera par le privé. Non, parce que c'est à la fois beaucoup trop capitalistique, avec un taux d'échec beaucoup trop important et sur des durées trop longues pour le capitalisme privé. Il faut une forme de capitalisme d'Etat dans les biotechnologies. C'est pour cette raison que l'Etat américain a tout de suite mis énormément d’argent dans la recherche du vaccin Covid, parce que vous ne pouvez pas avoir un tel niveau de risque financé par du privé. L'Europe et la France ont tout à fait les moyens, sous réserve de savoir si on considère que la santé est un secteur stratégique.
Ce n'est pas un échec que de la recherche française, c'est un échec de la France qui n'est plus bonne à rien à part donner des aides et récupérer des réfugiés.