Mardi, sur les coups de 23h30 une violente fusillade a fait deux morts, de 16 et 20 ans, au pied de la barre Sakharov à La Duchère dans le 9e arrondissement de Lyon. (Photo Hadrien Jame)

Lyon : vive émotion à La Duchère après la mort de deux jeunes dans une nouvelle fusillade

Dans la nuit de mardi à mercredi l’effroi s’est une nouvelle fois emparé des habitants de la barre Sakharov, immense bâtiment blanc dominant Lyon depuis les hauteurs de la Duchère, dans le 9e arrondissement. Deux jeunes âgés de 16 et 20 ans ont perdu la vie au pied de l’immeuble, fauchés par des tirs d’arme de guerre, dont les stigmates témoignent de la violence de la scène. Sur place ce mercredi matin, l’émotion était très forte, la peur pour les enfants du quartier encore plus. Reportage. 

"J’ai la chair de poule, je n’ai pas dormi de la nuit", souffle une habitante de la barre Sakharov assise ce mercredi matin devant l’immense HLM qui domine Lyon et le 9e arrondissement. Le visage marqué par la fatigue et l’émotion, à l’instar des autres habitants qui se mêlent aux nombreux policiers, elle confie avoir "envie de vomir " ce matin. Une dizaine d’heures plus tôt, mardi 14 juin, sur les coups de 23h30, deux jeunes âgés de 20 et 16 ans ont perdu la vie à quelques mètres de là, fauchés par des tirs d’arme lourde au niveau d’un escalier et de la coursive de la barre. Blessés, l’un au visage et l’autre à la cuisse, deux autres mineurs de 15 et 17 ans ont pu être sauvés par les secours. 

Lire aussi : Lyon : une fusillade fait deux morts à La Duchère, dont un mineur, une enquête ouverte

Stigmates d’une scène de guerre

Une balle a été oubliée par la police dans un mur. (Photo Hadrien Jame)

En fin de matinée, combinaison blanche sur le dos, masque sur le nez et gants sur les mains les membres d’une équipe de nettoyage tentent tant bien que mal d’effacer les traces de cette scène de guerre, en vain. Le long de la coursive, les stigmates en sont encore bien visibles et laissent deviner avec effroi la violence de l’attaque. Ici, une flaque de sang contenant des morceaux de corps humain, là, une balle perdue encore logée dans un mur criblé d’impacts et partout bien sûr le désarroi d’habitants, femmes, hommes et enfants, désemparés. 

De nombreux impacts d'arme lourde témoignent de la violence de la scène qui s'est déroulée mardi soir au pied de la barre. (Photo Hadrien Jame)

Témoin d’une partie du drame auquel il a assisté depuis son appartement, Théodore Ali, 66 ans, retrace le déroulé de la scène telle qu’il l’a vécue. "J’étais assis sur la terrasse, on a entendu deux coups de rafales et en regardant par le balcon j’ai vu une personne courir le long de l’escalier de l’école. Au début, j’ai cru que c’était un feu d’artifice. En passant de l’autre côte de l’appartement [qui donne sur la rue et le stade de Balmont, NDLR] j’ai vu une voiture noire partir à grande vitesse. Une personne, qui rentrait chez elle, je pense, a alerté tout le monde en criant : "Il est mort, il est mort, il y a de la cervelle partout. Allahu Akbar, Allahu Akbar". Le pauvre il était comme un fou".


"Il le tenait sur le côté en disant "Il a un pouls, il faut qu’ils se dépêchent il se vide de son sang", Théodore Ali, un habitant de la barre Sakharov


À son arrivée en bas de l’immeuble après avoir appelé la police, il confie, la voix chargée d’émotion, avoir découvert un homme accroupi auprès du corps de l’une des victimes, "il le tenait sur le côté en disant : "Il a un pouls, il faut qu’ils se dépêchent il se vide de son sang"". D’après plusieurs habitants, l’intervention des secours se serait fait attendre longtemps, trop longtemps pour Théodore. "Je comprends qu’ils veuillent être en sécurité, mais pour se regrouper et venir en masse il ne faut pas 45 minutes. Surtout qu’on leur a dit, il y a un blessé, un mort. Il y a beaucoup de choses que l’on ne comprend pas", témoigne-t-il.

C'est ici que l'une des deux victimes a été retrouvée. (Photo Hadrien Jame)

Le trafic de drogue en toile de fond ? 

L’origine de ce drame qui laisse deux familles endeuillées, elle, semble un peu plus claire. L’enquête ouverte hier soir par le parquet de Lyon pour "tentative de meurtre et meurtre en bande organisée, participation à une association de malfaiteurs en vue de la commission d’un crime", permettra de le confirmer avec certitude, mais déjà se dessine en toile de fond l’hypothèse d’un règlement de compte sur fond de trafic de drogue. Nos confrères du Progrès relèvent d’ailleurs le fait que toutes les victimes étaient déjà connues de la justice pour des affaires liées au trafic de stupéfiants.


"Ça fait 47 ans que je suis là, c’est un bon quartier, on a tout ce qu’il faut, mais depuis 5 ans c’est horrible", une habitante de la barre Sakharov


Présent sur place ce mercredi matin, le préfet délégué à la sécurité, Ivan Bouchier, déclarait "l’enquête dira la part que les trafics ont ou pas dans cette fusillade". Peu après lui, le maire de Lyon, Grégory Doucet, reconnaissait aussi devant un petit groupe de journaliste, "on sait qu’ici il y a un point de deal qui est enkysté", sans s’étendre sur ce volet, dévolu à la justice, mais en concédant néanmoins "les images qui ont été prises hier soir par les caméras de vidéosurveillance pendant la fusillade ont immédiatement été transmises aux services de la police". 

Sur place ce mercredi matin, le maire de Lyon a échangé avec les habitants, dans un climat parfois tendu. (Photo Hadrien Jame)

Une peur constante pour les enfants 

Malmené à son arrivée par des habitants en colère réclamant des explications, l’élu apparaissait encore très touché au moment de dévoiler l’ouverture d’une cellule psychologique et de dénoncer un drame "inacceptable" survenu "en pleine ville avec des armes de guerre".  Inquiets pour leurs enfants après la mort de ces deux jeunes, alors que le quartier a déjà vu cinq mineurs être blessés lors d’une fusillade il y a moins de deux mois, plusieurs parents cherchaient à connaître la teneur des actions mises en place par la municipalité.


"Je ne me résouds pas à ce qu’il y ait un tel niveau d’insécurité au pied de cette barre Sakharov", Grégory Doucet, maire de Lyon


Grégory Doucet, explique que "plusieurs enquêtes sont en cours pour démanteler le trafic de stupéfiants qui s’est installé ici", mais "ça ne se fait pas d’un coup de baguette magique, ça va prendre du temps". D’un autre côté, pour lui, il ne faut pas oublier le fait que "la réponse ne doit pas être que policière. Elle est sur le travail avec les acteurs sociaux, la MJC, la mission locale", mais elle porte aussi sur la rénovation de la barre qui débutera dans les prochains mois. "Tout le monde doit prendre sa part" abonde Anne Braibant-Thoraval, la maire du 9e arrondissement. 


"J’ai une fille de 12 ans, elle ne sort pas, on est très sévère avec elle, trop, mais il vaut mieux. Hier, elle a compris pourquoi", Théodore Ali, un habitant de la barre Sakharov


Des arguments et les promesses d’un avenir meilleur que les habitants ont du mal à entendre à l’heure où ils sont nombreux à évoquer leur envie de déménager. Très attachée à son quartier, une habitante de la barre qui préfère rester anonyme par peur d’éventuelles "représailles" confie : "Ça fait 47 ans que je suis là, c’est un bon quartier, on a tout ce qu’il faut, mais depuis 5 ans c’est horrible. Heureusement mes enfants sont partis, mais j’ai peur pour mes petits enfants quand ils viennent". Théodore Ali, qui s’est installé ici il y a trois ans, n’en dit pas moins, "c’est rare qu’il s’écoule deux semaines sans qu’il ne se passe rien. La Duchère c’est génial, mais le jour où je trouve un autre logement je pars. J’ai une fille de 12 ans, elle ne sort pas, on est très sévère avec elle, trop, mais il vaut mieux. Hier, elle a compris pourquoi. Elle a saisi pourquoi on la flique, ce n’est pas une vie pour des enfants". Mardi 14 juin, à 23h30, la vie de deux d'entre-eux s'est arrêtée et en attendant un changement, les habitants devront compter sur la présence de CRS en plus dans le quartier pour ramener le calme.

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