Si les Fédés ne sont pas le plus vieux bouchon de Lyon, elles sont sans conteste le plus international. Lyon Capitale vous conte la petite histoire dans la grande.
"Il y a deux dates à retenir en août : le 4 août de 1792 avec l'abolition des privilèges et le 24 août de 2015 avec la libération de la fraise de veau !". Yves Rivoiron savoure l'effet de sa formule sur l'assistance. Avec sa cravate cafi de cochons, sa gouaille et sa "grande gueule", Rivoiron est le type même du patron de bouchon. Dès leur entrée dans la maison, "fondée ici depuis bien longtemps", Rivoiron harponne les clients, leur donne du "tu" et du "vous" façon ping-pong verbal, les assied à une table, leur sert sans coup férir des grands coups de Morgon ("maison s'il vous plaît"), impose ses plats et récite le menu avec une conviction chevillée au cœur. C'est que Les Fédés comme tout Lyon les appelle est un mythe. Plus qu'un lieu, c'est une boîte à souvenirs, un conservatoire de la gourmandise et de la décoration à la lyonnaise. Saucissons géants qui pendent au comptoir, improbable collection de cochons (emblèmes du restaurant), bois lustré, carrelage préhistorique, miroirs à la gloire des crus du beaujolais (autre étendard du restaurant), vieux objets chinés ici et là, voûtes, néons... Il n'y a qu'à Lyon qu'on peut voir ce style très particulier.
Et que l'on peut manger de l'andouillette à la fraise de veau (tenter une fulgurance cérébrale sur celle de Troyes et c'est la porte assurée). Bannie depuis la crise de la vache folle au début des années 2000, la fraise de veau (ensemble de l'intestin grêle et du gros intestin) a de nouveau été autorisée par le gendarme européen à l'été 2015. Autant dire que l'annonce a eu un retentissement monstre dans tous les bons bouchons de la ville, l'andouillette étant la concurrente directe de la "qu'nelle" pour le rayonnement international de la ville. Au Café des Fédérations, on fait de l'andouillette depuis la nuit des temps. Et des tripes. "On faisait dix quinze kilos par semaine, se souvient Roland Fulchiron, l'ancien patron, aujourd'hui âgé de 85 ans. C'était une cuisine masculine, il y avait peu de femmes. C'était des messieurs, ils faisaient leurs repas d'affaires à midi : ils venaient casser la croûte et repartaient vers quatre ou cinq heures, après le petit Marc."
Herriot, Pradel... Tous aux Fédés !
Roland Fulchiron a tenu Les Fédés de 1972 à 1997, à la suite du "père Chauvin" (dès 1947). À l'époque, Herriot et Pradel s'attablaient régulièrement rue du Major-Martin. Était-ce uniquement parce que l'endroit était couru de toute la ville ou parce que les trois étaient franc-maçons (on peut à ce propos parler de pléonasme, étant avéré que tout "bon" Lyonnais est "logé"). Petite histoire dans la grande histoire, il se murmure même que le "père Chauvin" était le fils illégitime de Marius Berliet...
Bref. Quand Roland Fulchiron descend à Lyon de sa Loire natale, il commence par tenir un restaurant avec sa mère et l'un de ses frères en face de l'Île Barbe, à l'arrivée du "train bleu" - un tramway reliant Lyon à Neuville et permettant aux Lyonnais de se rendre en bord de Saône, à l'Île Barbe, Collonges, Rochetaillée, Caluire ou Fontaines.
À cette époque, un certain Paul Bocuse s'arrêtait boire un coup en revenant du marché Saint-Antoine. Vu que le restaurant ne tournait que l'été, Paul Bocuse lui propose une place de responsable du bar dans sa concession de l'aéroport de Bron. Quelques années plus tard, une connaissance lui apprend que le Café des Fédérations, "une bonne affaire", était à vendre. "Le père Chauvin avait de l'âge et sa fille ne voulait pas reprendre, j'ai dit pourquoi pas. Mais ça a été difficile pendant les six premiers mois car je ne vous cache pas que quand on reprend après une telle personnalité, les gens vous font la gueule." Et puis l'affaire reprend... comme en quarante. "Ça marchait du tonnerre. Je n'avais qu'à répondre au téléphone pour dire qu'on était complet."
"T'as qu'à suivre les mouches !"
Il faut dire que Françoise, un petit bout de femme qui a (quasiment) fait la pluie et le beau temps aux Fédés de 1989 à 1994, attirait le chaland. Son style ? Quand Michel Noir débarquait avec son adjoint Henri Chabert, vers 13h30, elle lui criait du fond de la salle "C'est à c't' heure-ci qu't'arrives !?". "Noir adorait car tout le monde se retournait et le saluait".
Où cette fois lorsqu' un homme, "avec sa cour de nanas", claque des doigts pour l'appeler. "Hé ! Votre vin il est bouchonné !". Et elle, du tac au tac : "Bougre de con, il est tiré au tonneau, comment tu veux qu'il soit bouchonné !". Où quand une dame, "bien mise" lui demande où sont les commodités. "T'as qu'à suivre les mouches, je lui réponds. J'ai pas fait gaffe, j'avais tellement l'habitude de remballer les mecs trop obséquieux que c'était devenu une habitude...". Inimitable Le Café des Fédérations.
Si aujourd'hui, Rivoiron a quelque peu adoucit les mœurs, il n'empêche que ses serveuses ont de la répartie et du caractère. "C'est ce qui fait l'âme d'un bouchon" légitime un habitué.
Ce fameux souffle, Yves Rivoiron l'a connu un midi de juin 1997. Le cuisinier du Grain de Sel, à Vaulx-en-Velin, voulait changer de "bouclard". Un peu comme Fulchiron à l'époque, son expert-comptable lui assure que Le Café des Fédérations, "une très bonne affaire" est à vendre. "Je n'avais rien demandé, on me sert un pot de Morgon, puis les saladiers d'entrées, les plats, on boit des canons, ça me plaît tout de suite. Quand je vois la note, je me dis « quand-même" ! Le mec faisait un chiffre d'affaires dingue !". Re-petite histoire dans la grande histoire : Yves Rivoiron achète le bouchon au nez et aux moustaches de Jean-Louis Gelin (futur ex patron de La Meunière, autre bouchon de légende), avec qui il deviendra copain comme cochon.
Aujourd'hui, Les Fédés sont connus aux quatre coins de la planète. Le Café des Fédérations a récemment fait "treize télés en quinze mois". Entre deux tabliers de sapeur, il n'est d'ailleurs pas rare d'entendre parler japonais, américain, néerlandais, anglais, russe, etc. Preuve de la réputation internationale du bouchon de la rue Major Martin, les menus sont traduits en six langues. Du jamais vu à Lyon. "Koushi atama" lance à perdre voix Yves Rivoiron. Un patron de bouchon qui "parle" nippon, on n'a jamais vu ça non plus.
"Un bouchon, c'est une âme, tu peux pas labelliser". C'est sûr.
Le châtelain de Pramenoux amoureux des lyonnaiseries
Le 2 novembre 2017, Jean-Luc Plasse, un gone qui y aime bien la chopinaison, les copains, les petites et la Grande histoire, rachète Le Café des Fédérations.
Chenuses, fenottes et bons gones, qu'on se le dise, les Fédés ne vireront jamais de l'oeil ! Yves Rivoiron, son vigouret patron avec sa impayable cravate cafie de cochons, vient de tirer sa révérence, après vingt ans de bons et d'aloyaux services. Mais comme on n'abandonne pas un Temple de la bouffe lyonnaise1 sans en assurer la transmission, c'est en grandes pompes, avec cuchons de boustifaille et cenpotes de beaujolais, que le Canezou a vendu son bouchon à un agriâble châtelain de Pramenoux, amoureux du Beaujolais et du borjolais. Tablier sur le sapeur, clapoton sur le gras double, la passation de pouvoirs s'est faite le 2 novembre dernier... jour des défunts. Mais pas de quoi les faire partir à Loyasse ! Les deux gones sont bien bougeons et démenets. Et comme deux bessons : même gouaille et même amour des lyonnaiseries (et analogue cravate cochonnesque).
Montée en gamme
Alors que va changer ? Rien justement. Ou si peu et si subtilement. Le changement sans la révolution en quelque sorte. Depuis la reprise par Jean-Luc Plasse (également propriétaire du Café de la Soie, place Bertone à la Croix-Rousse), nous avons fait trois bouligantes chicaisons : c'était bon à s'en lécher les babouines. Le nouveau chef, Clément Taviot, qui vient directement des Adrets, un bouchon typique et indémodable du Vieux-Lyon, n'a bien évidemment rien touché aux spécialités qui ont fait la réputation des Fédés. Il y habilement ajouté - avec son second Giacomo (ex-Bouchon des Filles) - une petite touche de contemporanéité. Pour le caviar (les lentilles), il met plus d'échalotes et il faut dire que ça goûte mieux. Pour le gâteau de foies, il intègre un peu de pain pour la mâche (moins mousseux donc) et y adjoint cuchon d'ail et de persil : on reste sur le goût caractéristique du gâteau mais en beaucoup plus fin. La salade lyonnaise se voit quant à elle remarquablement assaisonnée : la frisée perd de son amertume avec une sauce très moutardée (forte et à l'ancienne). Dans la cervelle de canuts, il ajoute à l'ail et à la ciboulette de l'échalote et du persil qui relèvent le fromage blanc. Il y aura aussi quelques fins changements sur les desserts. La pâte de la tarte à la praline sera ainsi plus beurrée. "J'y vais avec des pincettes, explique le chef de vingt-six printemps. Je ne veux pas brusquer. Je n'enlève rien de ce que faisait Yves Rivoiron. J'apporte, au fur et à mesure, quelques petites touches un peu plus modernes."
Belle marge de manoeuvre
Aux Fédérations, il est bon ton qu'on fasse profession de foi culinaire. Vorace gardien du temple, le Café des Fédés a pour fil rouge la survivance des recettes lyonnaises. "Mais je crois qu'il y a une belle marge de manœuvre,complète Jean-Luc Plasse, le nouveau patron. L'idée, c'est de monter en gamme, dans une version peut-être un peu plus ʻgastronomiqueʼ.". Ainsi, à terme, la traditionnelle tête de veau sauce ravigote pourrait se voir jumeler avec avec une proposition plus moderne au pain d'épices. Et la carte de se voir embellir d'une terrine de queue de bœuf au boudin. Mais il restera toujours la formidable quenelle (de Pascal Bonhomme) sauce américaine, le ris de veau (ris de cœur, pas de gorge !) sauce morilles, l'andouillette (Bobosse) à la fraise de veau, le poulet au vinaigre, le saucisson au vin, la civet de joue de porc, les tripes mode et autres joyeusetés lyonnaises.
Chenuses, fenottes, bons gones, restons bien vigourets et bien bouligants pour se remplir l'embuni et se rincer le corgnolon aux Fédérations !
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Encadré
Les fédérations ?
Pourquoi le bouchon s'appelle Le Café des Fédérations ? Tout simplement, parce qu'en face, se trouve l'Hôtel municipal Major Martin, propriété de la Ville de Lyon qui comprend dix-sept salles, mutualisées ou non, qui sont mises à la disposition d’associations. À l'époque, on parlait de fédérations.
les Fédés ne sont pas le plus vieux bouchon de Lyon, ! ce genre d’établissement marquera à jamais la vie Lyonnaise.**
Ne pas s’éteindre sans avoir été se régaler de cette cuisine qui possède une âme, Chaque gone se doit d'y conduire sa fenotte pour un bon mâchon accompagnés de quelques conscrits de la classe.
1792 soit, mais 1793 la Terreur..!
Le Garet 62 ans, Café Hugon 85 ans, La Voute Lea 79 ans, Café Abel 92 ans, La mère Brazier 101 ans, Le Vivarais 105 ans, Café du Jura 155 ans.. Qui dit mieux !
ses 150 bougies, soit 1872, comme la basilique de Fourvière qui apprécie ausi le Jésus !