Olivia Sarton et Aude Mirkovic, juriste, maîtresse de conférences en droit privé, directrice juridique de Juristes pour l’enfance, une association qui poursuit la défense des droits de l’enfant. Olivia Sarton, ancienne avocate au barreau de Paris, en est la directrice scientifique.
“En pratique, les mots homme ou femme n’ont plus de signification objective, plus de contenu commun”
par Guillaume Lamy
Aude Mirkovic, juriste, et Olivia Sarton, ancienne avocate au barreau de Paris, cosignent, avec sept autres personnes (chirurgien, psychologue, pédopsychiatre, psychanalyste, docteur en philosophie), Questionnements de genre chez les enfants et les adolescents (Artège), une approche pluridisciplinaire qui donne des clés de compréhension pour cerner le phénomène et les enjeux sociétaux de l’identité de genre.
Olivia Sarton et Aude Mirkovic (à droite) juriste, maîtresse de conférences en droit privé, directrice juridique de Juristes pour l’enfance, une association qui poursuit la défense des droits de l’enfant. Olivia Sarton, ancienne avocate au barreau de Paris, en est la directrice scientifique.
Aude Mirkovic est juriste, maîtresse de conférences en droit privé, directrice juridique de Juristes pour l’enfance, une association qui poursuit la défense des droits de l’enfant. Olivia Sarton, ancienne avocate au barreau de Paris, en est la directrice scientifique.
Lyon Capitale : Les questionnements liés à l’identité et au genre sont classiques chez les enfants. Vous dites qu’ils sont “le propre de ces âges”. Comment expliquez-vous, en France, l’augmentation importante du nombre de mineurs revendiquant une “identité de genre” différente de leur sexe biologique ?Olivia Sarton : Votre question est très intéressante et elle devrait interpeller les chercheurs pour qu’ils diligentent des études afin d’y répondre. On constate aujourd’hui que non seulement il y a une augmentation du nombre d’enfants et de jeunes qui ne parviennent pas à trouver leur équilibre avec leur sexe biologique constaté à la naissance, mais qu’en outre une proportion importante d’entre eux s’identifient comme non binaires, par exemple “demi-boy” ou “demi-girl”. Cela pousse à interroger : pourquoi l’identité de femme ou d’homme apparaît-elle insupportable à des jeunes en construction ? Quelles images de la femme et de l’homme leur transmettent les adultes et la société pour que ces jeunes les rejettent si vivement ? Dans les consultations spécialisées, des jeunes filles qui s’identifient comme non binaires viennent demander une mastectomie, c’est-à-dire une ablation des seins. Elles ne forment pas d’autres demandes. Les directives données dans les derniers Standards Of Care (SOC 8) de la World Professional Association for Transgender Health (WPATH) sont d’accepter ces demandes. Mais s’agissant de mineures (ou même de très jeunes adultes), il serait urgent de questionner : qu’est-ce qui pousse une jeune fille à se mutiler ? De quoi veut-elle se protéger ? Quel bénéfice supposé recherche-t-elle ?
Par ailleurs, l’augmentation frappante du nombre de mineurs en questionnement de genre ne peut s’analyser seule, en soi. L’argument des militants trans-affirmatifs selon lequel les jeunes “sortiraient enfin du bois” car la société serait plus tolérante est simpliste.
L’apparition de ces questionnements de genre, qui étaient rarissimes dans les années et les siècles passés, doit être étudiée au regard des grandes difficultés identifiées de notre temps : la dégradation importante de la santé mentale des jeunes qui s’amplifie de plus en plus, les taux importants de violences faites aux enfants et aux femmes, la défiance (voire la haine) corrélative qui se développe contre le sexe masculin, le spectre d’une nouvelle guerre mondiale, les difficultés écologiques, économiques, etc.
L’avenir qui est présenté aux jeunes d’aujourd’hui n’est pas particulièrement riant et cela a nécessairement une répercussion sur l’appréhension de leur place dans le monde et de leur identité.
“L’état civil ne relaie plus le sexe constaté mais le ressenti subjectif de chacun”
Quelle est l’influence des réseaux sociaux sur les questionnements de genre ?Olivia Sarton : Le nombre de jeunes en questionnement de genre s’est considérablement accru depuis le début de la pandémie de Covid, laquelle, avec ses divers confinements et restrictions d’activité, a augmenté le temps passé par les jeunes sur les réseaux sociaux et corrélativement leur mal-être. Tous les témoignages montrent l’influence prépondérante des réseaux sociaux sur l’affirmation d’un jeune d’être “trans”. Dès qu’il dit qu’il ne se sent pas bien (dans son corps, dans ses relations avec les autres, avec sa famille) ou qu’il ne trouve pas sa place, il lui est suggéré ou même affirmé que c’est parce qu’il est trans. Les études menées montrent notamment que les vidéos de transition médicale visibles sur YouTube constituent, dans 63,6 % des cas, une source d’influence essentielle. Les influenceurs trans ont plusieurs centaines de milliers d’abonnés auxquels ils diffusent un contenu présentant le parcours médical sous un jour très favorable, et incitant les mineurs qui s’interrogent à suivre ce parcours.
Que dit aujourd’hui la loi française sur la question de la transidentité ?Aude Mirkovic : Depuis 2016, la loi permet à une personne majeure (ou mineure émancipée) de demander à modifier la mention de son sexe qui “ne correspond pas à celui dans lequel elle se présente et dans lequel elle est connue”, étant précisé que “le fait de ne pas avoir subi des traitements médicaux, une opération chirurgicale ou une stérilisation ne peut motiver le refus de faire droit à la demande” (art. 61-5 et 61-6 du Code civil). Il en résulte que l’état civil ne relaie plus le sexe constaté mais le ressenti subjectif de chacun.
Côté médical, c’est très confus car, d’un côté, la loi interdit les atteintes à l’intégrité physique sans nécessité médicale (article 16-3 du Code civil), mais d’un autre côté des interventions très invasives sont pratiquées sur les corps pour modifier leur apparence sexuée, alors même qu’est déniée toute dimension pathologique à la transidentité : comment justifier alors ces atteintes au corps ? Peut-on aussi, au nom de l’autodétermination, demander à un médecin de nous amputer d’un bras ou d’une jambe, si ce membre nous est insupportable ? La question mérite d’être posée car il y a une contradiction entre nier tout caractère pathologique et en appeler à la médecine, sans compter que ces interventions sur des “non pathologies” sont prises en charge à 100 % par l’assurance maladie, au titre des affections longue durée.
“La transition sociale ne fait pas disparaître les idées suicidaires des enfants qui vont mal”
Quelles sont les grandes étapes juridiques de la “question trans” en France ?Aude Mirkovic : Dans un premier temps, la Cour de cassation a rejeté les demandes de changement de la mention du sexe à l’état civil. La Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France au motif que ce refus porterait atteinte à la vie privée des intéressés, et la Cour de cassation a opéré un revirement en 1992 pour autoriser le changement d’état civil, à condition que le syndrome du transsexualisme soit médicalement établi et que l’intéressé ait procédé à des traitements modifiant son apparence corporelle et entraînant, de fait, la stérilité. Puis, la loi de 2016 a ouvert le changement d’état civil sans traitement ni intervention médicale : un homme peut donc demander à être identifié femme tout en gardant son corps d’homme et, en particulier, son appareil génital masculin (et vice versa). Ce qui devait arriver arriva, et la cour d’appel de Toulouse, en février dernier, a indiqué un homme identifié femme à l’état civil comme mère sur l’acte de naissance de l’enfant, alors que cette personne avait engendré l’enfant par éjaculation de spermatozoïdes lors d’une relation sexuelle. Que signifie
désormais le mot mère, si une personne peut être mère par fourniture de spermatozoïdes ? On comprend alors que la mention du sexe à l’état civil ne relève pas seulement de la vie privée de l’intéressé mais concerne en réalité les autres, jusqu’à l’état civil d’autrui, ici l’enfant.
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