Mood de Lasseindra Ninja © Théo Giacometti

Ballet national de Marseille à la Maison de la danse : le ballet du XXIe siècle ?

Depuis To Da Bone, le collectif (LA)HORDE fait souffler un vent nouveau sur la scène chorégraphique. À la tête du Ballet national de Marseille depuis 2019, il propose un programme avec quatre femmes chorégraphes illustrant sa vision d’un ballet au XXIe siècle !

Fondé en 2013, le collectif (LA)HORDE réunit trois artistes – Marine Brutti, Jonathan Debrouwer et Arthur Harel – qui créent des spectacles mais aussi des films, des performances et des installations avec l’idée de décloisonner les genres, explorant de nouvelles dynamiques de circulation et de représentation de la danse et du corps.

La culture, la danse et le corps sont pour eux des lieux de pouvoir qui permettent aux communautés d’exprimer leur visibilité et de revendiquer leur identité. La danse a une part importante dans les révolutions, les prises de parole et si elle est un refuge précaire, elle est aussi l’expression du plaisir et du partage.

Le collectif interroge ainsi sa portée politique autour des formes chorégraphiques de soulèvement populaire, qu’elles soient massives ou isolées, des rave parties aux danses traditionnelles en passant par le jumpstyle. Avec To Da Bone, il invente le concept de danse post-Internet, révélant le jumpstyle pratiqué dans le milieu techno hardcore des pays d’Europe du Nord que les jeunes se transmettent via Internet et les réseaux sociaux, constituant une communauté où chacun sort de sa solitude.

Avec Marry Me In Bassiani, il réunit quinze danseurs folkloriques géorgiens et s’empare de l’énergie des danses traditionnelles pour dénoncer le contexte culturel et politique de ce pays, hostile notamment aux communautés LGBT.

One of Four Periods in Times de Tânia Carvalho © Théo Giacometti

L’exception d’une direction tricéphale

En 2019, le collectif prend la direction du Ballet national de Marseille, fondé en 1972 par Roland Petit, et crée Room With A View, sa première pièce pour le ballet avec le compositeur électro Rone.

Il démontre un réel talent d’écriture qui transforme la troupe en une communauté prise dans les vibrations d’un monde au bord de l’explosion. Joyeuse et généreuse, sa vision de la danse interroge ce que pourrait être un ballet au XXIe siècle, portée par le désir d’explorer des pensées à travers le corps, de réfléchir à un monde ensemble, d’ancrer les corps dans la réalité d’aujourd’hui tout en insufflant aux danseurs des références de danses qui ont fasciné son propre imaginaire.

Laisser l’outil à d’autres chorégraphes pour d’autres aventures, l’ouvrir sur de nombreux territoires, sur les genres, les séniors, l’inclusion, fait partie de cette vision qui le mène aussi à réactiver et réactualiser le répertoire. Il invite des chorégraphes à s’emparer ou se ré-emparer, pour le ballet, de pièces qui appartiennent ou non à leur propre répertoire, et va encore plus loin en y faisant entrer des performances dansées par les danseurs qui pourront l’être par des amateurs mais aussi par les deux, ensemble. Histoire d’échapper, là encore, à cette notion de ballet d’entre-soi ! Entretien.


Lyon Capitale : Vous présentez votre premier programme avec le Ballet national de Marseille, en quoi correspond-il à votre vision de la danse ?

(LA)HORDE : Effectivement, c’est le premier programme que l’on signe en tant que directeurs et directrice du Ballet. Il devait représenter nos idéaux, nos valeurs car, pour nous, la danse c’est tout sauf décoratif. C’est quand les corps dans différentes esthétiques, différentes générations portent une histoire et il était important de faire dialoguer des écritures différentes. Il démarre avec Lucinda Childs, une icône de la danse post-moderne, qui représente l’engagement d’une femme qui a commencé sa carrière dans les années 1960 au sein du collectif de la Judson Memorial Church à New York avec des formes performatives et figuratives, pour développer ensuite des formes abstraites et géométriques.

Figuratif, très théâtral et proche de la commedia dell’arte, le travail de Tânia Carvalho s’assombrit avec des images étranges, des visages qui se déforment. Il interroge la forme ballet que pourrait attendre le public avec des grimaces, des positions approximatives de ballet. Elle crée ici des croisements entre modernisme et danse contemporaine.

Lasseindra Ninja et Oona Doherty sont aussi des femmes avec une identité forte !

Lasseindra Ninja propose une forme fondamentalement contemporaine, presque pop. C’est une chorégraphe afro-américaine et française trans issue de la vogue, une danse communautaire née dans les clubs aux États-Unis pour les personnes queers et racisées. Elle est peu mise en avant comme auteure mais plutôt comme animatrice de shows. Alors qu’on s’interrogeait sur ce que pouvait être un ballet au XXIe siècle, il nous a paru important de lui proposer une carte blanche.

Elle interroge ici la séduction, la part de sexualité dans la danse en se revendiquant auteure d’une écriture contemporaine. Le programme se termine avec Oona Doherty qui a retravaillé son solo Lazarus pour le transmettre aux vingt-deux danseurs du ballet et le déployer dans une écriture collective qui n’existait pas avant.

Elle explore dans une forme brute et très contemporaine la violence et les stéréotypes de la masculinité qu’elle a observés à Belfast. Ce programme est construit non pas pour opposer mais pour joindre finalement ce qui pourrait être perçu comme immettable les uns avec les autres. Le public est très intergénérationnel, il vient pour l’une ou l’autre et finalement découvre des choses qu’il n’était pas venu chercher au départ et, pour nous, c’est vraiment ça la danse, toutes ces esthétiques qui reflètent chacune des engagements différents.

Un ballet, pour le public et les danseurs, c’est du classique ou du néo-classique, même s’il y a des ouvertures contemporaines. Que représente pour vous cet outil ?

Nous avons candidaté en nous disant que nous n’aurions jamais la direction, mais après discussion, on a eu envie de proposer un manifeste sur ce que pourrait être une vision de la danse pour un ballet en 2019. On a mis un grain de sable dans la roue et on a été nommés.

Depuis, on ne cesse de réfléchir avec cette idée que le ballet est une immense œuvre à l’intérieur de laquelle il y a des questions de production, de recrutement, de quotidien, de tournées, qui a besoin d’un élan artistique continu. Quand on est arrivés, il avait vécu des tumultes et il ne restait que sept danseurs.

On a pu en recruter qui n’étaient pas issus uniquement de la danse classique, du coup il est fait d’interprètes véritablement contemporains. C’est un groupe de vingt-sept personnes qui reflète la société dans laquelle on vit, il y a seize nationalités, une parité hommes-femmes. Par-dessus tout, ce sont des artistes versatiles qui trouvent leur plaisir dans la diversité des esthétiques proposées.

Finalement, le ballet c’est le prolongement de votre collectif avec plus de moyens et de danseurs, il vous permet de continuer à réinvestir la danse de manière débridée !

Le ballet, comme l’institution, n’est pas à détruire ou isoler. Il a une histoire incroyable car Roland Petit l’a mené dans le monde entier, il a collaboré avec Zizi Jeanmaire, Versace et Yves Saint Laurent pour les costumes et avait dans son corps de ballet les plus grands danseurs. On n’invente rien, les temps ont changé, on met juste en place d’autres manières de collaborer.

La culture est faite de lieux qu’il faut préserver et réinvestir avec de nouvelles générations mais on a vraiment confiance en l’institution comme lieu de refuge et on croit aux principes fondamentaux de la République qui font que l’art doit s’adresser aux publics. Le Ballet est, entre guillemets, à nous, cela va nous permettre d’inviter beaucoup d’artistes, on a à cœur de le développer avec une responsabilité de citoyens car il est financé par des subventions publiques. Mais pas de mainmise, après nous il y aura autre chose et on repartira avec notre identité (LA)HORDE !


Childs, Carvalho, Lasseindra, Doherty - Ballet national de Marseille - Direction (LA)HORDE – Du 14 au 16 décembre à la Maison de la danse


À découvrir :
• Sur Numeridanse.tv, le Triptyque - Download and Run Zoom, Cultes, Ghosts - BNM (LA)HORDE – Du 9 au 11 décembre pour 72 heures (de midi à minuit)
• Pour les 50 ans du Ballet de Marseille, Danser l’image, l’exposition scénographiée par (LA)HORDE sur les costumes du Ballet de 1972 jusqu’à aujourd’hui – Du 3 décembre au 30 avril 2023 au Centre national du costume de scène à Moulins (Allier)

www.cncs.fr


 

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