Le Passage, racheté par le duo Fabien Chalard/ Julien Géliot (ex-Léon de Lyon, Pléthore & Balthazar)

Le mythique Passage repris par les anciens de Léon de Lyon

L'ancien havre de l'intelligentsia politico-économique lyonnaise et quartier général officieux du Festival Lumière accueillant le who's who du cinéma mondial change de main. Et pas n'importe lesquelles.

La première chose à faire pour jouer du piano, c'est soulever le couvercle*. Et quand on soulève le couvercle, on réalise que les pianos tournent, autant que les serviettes.

Le restaurant Le Passage, rue du Plâtre (Lyon 1er), réouvre jeudi 1er décembre à 18h. Le duo Fabien Chalard/Julien Géliot (fondateurs du groupe Les Gastronomistes)  reprend les rênes du mythique restaurant planqué dans une belle traboule dallée du quartier des Terreaux.

Une histoire de casseroles

Le Passage, racheté par le duo Fabien Chalard/ Julien Géliot (ex-Léon de Lyon, Pléthore & Balthazar)
Le Passage, racheté par le duo Fabien Chalard/ Julien Géliot (ex-Léon de Lyon, Pléthore & Balthazar)

Les deux nouveaux propriétaires sont les anciens de Léon de Lyon... à deux louches de homard du Passage.

Pour la petite histoire, le 18 octobre 2018, Laurent Gerra et le duo Fabien Chalard/ Julien Géliot signaient un accord avec Fabienne et Jean-Paul Lacombe pour le rachat de Léon de Lyon.

Le 19 août 2022, Laurent Gerra et Les Gastronomistes annonçaient se séparer. Après des désaccords, l'humoriste rachetait toutes leurs parts de plusieurs restaurants communs au capital desquels ils étaient jusqu'ici majoritaires :  Léon de Lyon donc, mais également Pléthore et Balthazar dans le 2ème, Chanteclair dans le quartier de la Croix-Rousse, ainsi que Mamma Osteria et La Cave d'à côté dans le 1er. L'homme de scène et d'affaires fait également main basse sur les trois boulangeries Pomponette. Il prenait ainsi 100% du capital de ces établissements. Et s'associait à les maisons Bocuse (lire ici).

Nouveau nom, cuisine japonaise-méditerranéenne

Le Passage, racheté par le duo Fabien Chalard/ Julien Géliot (ex-Léon de Lyon, Pléthore & Balthazar)Renommé Le Pas Sage, le lieu promet "un tout nouveau look et une nouvelle ambiance". Désormais, le speakeasy années 30, doublé d'un restaurant de "cuisine japonaise-méditéranéenne" et d'un "petit bout de paradis pour les amateurs de cigares et de cognac" ouvre uniquement de 18h à 2h du matin.

 

Extrait de Les Tables mythiques
(éditions Lyon Capitale (en vente ici)

 

On y entre d'un pas sage. Comme pourrait le faire un initié. Il faut emprunter une traboule, dans une rue qui ne paie pas de mine puis, dans une cour intérieure pavée, prendre une porte vitrée dérobée surplombée d'une marquise. Un faux rosier tige, un grand lustre, un tapis élimé... « Vous ici ! Quelle bonne surprise! » s'approche sourire affable Christophe Bon, le directeur. Plus qu'un simple restaurant, Le Passage est une maison où l'on reçoit comme on recevrait ses amis. Élégant métissage de standing et de décontraction. Vous ne le savez peut-être pas mais vous entrez dans le "sacrum sacrorum" de la bourgeoisie et des people de Lyon. Un lieu intemporel et à l'abri des regards indiscrets apprécié pour sa (relative) confidentialité. Très chic et très feutré. Tout ce qu'affectionnent les Lyonnais. On pourrait se croire dans un appartement d'Ainay, avec ses boiseries sombres, ses miroirs en bois doré, ses plafonds à la française, ses lustres et ses appliques à pampilles, ses levées de rideaux rouges pourpre, ses copies de toiles de Jongkind, Picasso et Modigliani.

« Plus connu à Hollywood que Paul Bocuse »

Au Passage, on cabote entre les clairs-obscurs, lumières douces, tamisées, pénombres, et les fauteuils de cuir rouge cloutés du mythique Majestic cannois. Ici, point de fenêtres.

« Un restaurant d'hiver en quelque sorte » convient le jeune et actuel propriétaire Guillaume Duvert. Pourtant, ce sont bien les quatre saisons qu'on célèbre ici.

Tout a commencé en mars 1985, le mois où le petit monde de la gastronomie lyonnaise a assisté à l'incendie d'une partie du marché gare, le « ventre » de la ville, notamment les 800 m2 de la poissonnerie René Ferret. 1985 donc. Vincent Carteron rachète le restaurant Chez Edouard, dont on n'a pas que très peu de traces si ce n'est qu'Édouard Herriot le fréquenta en son temps. Il sera judicieusement rebaptisé Le Passage en raison de sa situation quasi unique à Lyon : dans une cour intérieure nichée au beau milieu d'une traboule (l'une des 103 recensées sur la Presqu'Ile) qui relie la rue du Plâtre - celle de Léon de Lyon - et la rue Longue. Vincent Carteron, s'il n'est pas du sérail, n'est pas pour autant un perdreau de l'année. Connu dans le milieu de la presse, c'est le cofondateur, avec Jean-Claude Chuzeville et Guy Lescoeur, de l'hebdomadaire culturel Lyon Poche, une sorte de Pariscope ou de L'Officiel des spectacles à Paris.

Dès l'ouverture, les plumes du petit journal se donnaient rendez-vous pour des pots (sic) bien arrosés au Passage. Très discret dans la vie, Vincent Carteron fera de ce qui deviendra très rapidement une institution, un lieu à son image, à l'abri des regards, loin de l'agitation médiatique et des paillettes. Le credo du Passage : pour manger heureux, mangeons cachés. Les paillettes pourtant s'amoncelleront toutes seules. Car s'il a toujours préféré l'ombre à la lumière, Vincent Carteron a un carnet d'adresses de ministre. Dès l'ouverture, Bernard Chardère, le fondateur de l'Institut Lumière prend ses marques culinaires ici, flanqué d'un certain Thierry Frémeaux, bénévole de l'Institut depuis ses débuts et salarié depuis deux ans. Puis c'est Claude Chabrol, fin gourmet, qui rapplique dans la foulée de son Poulet au vinaigre, avec Jean Poiret et Stéphane Audran. Uma Thurman, Quentin Tarantino, Elia Kazan, Aki Kaurismäki, Clint Eastwood, Harvey Keitel, Pedro Almodovar, Keanu Reeves, Gérard Depardieu, Catherine Deneuve, Jean-Paul Belmondo et des centaines d'autres noms du cinéma inventoriés dans trois épais Livre d'or feront la légende du Passage et contribueront à en faire un restaurant de cinéphiles. Et Vincent Carteron de lâcher timidement que "Le Passage est plus connu à Hollywood que Paul Bocuse". En 1988, consécration suprême, le chef Daniel Ancel décroche une étoile Michelin. "Désormais, nous ne sommes plus le petit restaurant de quartier. C'est une grande promotion". Les deux spécialités, toujours à la carte et aujourd'hui mythiques : salade d'herbes, noix de Saint-Jacques rôties, sauce au jus de soja et ragoût de homard au cumin, lentilles croquantes confites au lard.

Dépoussiérer une belle endormie

Juin 2013. Après 28 ans de bons et loyaux services, Vincent Carteron cède Le Passage à un inconnu, Guillaume Duvert, âgé de seulement... 28 ans. La loi des chiffres. Né à l'Hôtel-Dieu - Lyonnais pur souche -, fils d'industriels à la tête de La chocolaterie des Princes, à Saint-Étienne, l'équivalent du Voisin lyonnais, Guillaume Duvert est en fait le petit-neveu de Paul Bocuse (la sœur de son grand-père, Raymonde, est l'épouse du pape de Collonges). Et en bon chocolatier, Guillaume Duvert a fait appel à Philippe Bernachon (marié à la fille de Monsieur Paul) pour la carte des desserts. Une histoire de famille en quelque sorte. 2013 donc, Guillaume Duvert reprend Le Passage. "La première fois que je suis venu déjeuner ici, j'avais 16 ans. Mes parents et moi sommes des habitués." Après un passage dans la PME familiale puis un détour de trois ans comme marchand de biens, Guillaume Duvert rachète le restaurant de la rue du Plâtre. "Un jour, Philippe Comoy (bijoutier et voisin du Passage, NdlR) m'invite pour la traditionnelle "table des amis" du vendredi. C'est à ce moment que je fais la connaissance de Vincent Carteron, avec qui je m'entends très bien." En deux mois, les deux hommes se mettent d'accord sur un prix. "J'ai toujours été amoureux de ce lieu et de son ambiance. De toute façon, c'était Le Passage ou rien d'autre." Manager dans l'âme, le nouveau patron garde l'équipe, le directeur Christophe Bon, quatorze ans de maison et le chef Stéphane Cordier, quinze ans de maison. "Dépoussiérer une belle endormie" au final. Trois mois de travaux, un nouveau salon à l'étage, la rénovation des cuisines, un recentrage de la carte et la réouverture du Bistrot du Passage, créé dans les années 90. Changer sans changer, telle est la clé du succès du Passage depuis trois décennies.

* dixit Jean-Marie Gourio

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